Le travail domestique n’est pas un simple «problème domestique»

Selon les estimations du BIT, il y aurait entre 50 et 100 millions de travailleurs domestiques dans le monde et beaucoup de pays les ont traditionnellement exclus de la législation protectrice des employés.

Selon les estimations du BIT, il y aurait entre 50 et 100 millions de travailleurs domestiques dans le monde et beaucoup de pays les ont traditionnellement exclus de la législation protectrice des employés. Reportage de Ian Williams depuis l’Etat de New-York qui fut, en août 2010, le premier Etat des Etats-Unis à adopter une loi établissant un mécanisme de protection sociale et juridique pour les travailleurs domestiques.

Leur situation désespérée n’est pas un simple problème «domestique». Les travailleurs domestiques sont pour la plupart des immigrés, venus dans les pays développés, souvent sans papiers. C’est particulièrement le cas aux Etats-Unis.

A part quelques irruptions sur le devant de la scène comme celui-là, les travailleurs domestiques travaillent dur, seuls ou en petits groupes au domicile de particuliers, loin des regards et oubliés de tous. Ils sont en position de vulnérabilité perpétuelle et risquent fort d’être exclus des mécanismes de protection sociale et juridique.

Mais il y a dorénavant un espoir que les choses changent. La nouvelle convention (no 189) de l’OIT sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011, qui a reçu un soutien massif de la part des délégués à la 100e session de la Conférence internationale du Travail en juin 2011, donne aux travailleurs domestiques les mêmes droits qu’aux autres travailleurs. Le Directeur général du BIT, Juan Somavia, a décrit la convention comme un «moment historique pour l’OIT, mais surtout pour tous les travailleurs domestiques, partout dans le monde».

Aux avant-postes de la promotion des droits des travailleurs domestiques se trouve l’Etat de New-York qui a anticipé la convention de l’OIT en adoptant, en août 2010, sa propre Charte des droits des travailleurs domestiques (Domestic Workers Bill of Rights). Première loi du genre aux Etats-Unis, elle garantit des temps de repos et des seuils minimaux de rémunération et promet l’application du droit du travail.

Cette charte avant-gardiste reflète la détermination et l’organisation de nombreux travailleurs domestiques de l’Etat qui ont réussi à obtenir du soutien grâce à un niveau d’organisation syndicale et de préoccupation sociale traditionnellement élevé. New-York abrite plusieurs organisations qui se mobilisent vigoureusement pour les nounous et les travailleurs domestiques. Avec l’appui de l’AFL-CIO (American Federation of Labor – Congress of Industrial Organizations), elles et leurs homologues d’autres Etats des Etats-Unis ont envoyé des représentants à Genève pour le vote de l’OIT sur la convention de 2011 sur les travailleuses et travailleurs domestiques. Avant cela, elles avaient soumis des propositions détaillées, fondées sur leur expérience, pour le projet final de la convention.

Un quart des nounous en dessous du seuil de pauvreté

Les besoins sont grands. Ai-jen Poo, de l’Alliance nationale des travailleurs domestiques (NDWA –National Domestic Workers Alliance) estime qu’un quart des 200 000 nounous de l’Etat de New-York vit en dessous du seuil de pauvreté. Elle précise que ces personnes sont «pour l’immense majorité, des femmes, des immigrées, des femmes de couleur, à 59 pour cent des mères célibataires, et des travailleuses pauvres qui sont le principal soutien de famille, ici et dans leur propre pays. Une bonne partie d’entre elles sont sans papiers, ce qui donne à leurs employeurs un autre moyen de pression et, de ce fait, elles sont souvent employées à temps partiel ou temporaire, sans assurance ou impôts».

Tout comme d’autres travailleurs américains, elles disposent rarement d’une couverture médicale, ce qui signifie, souligne Ai-jen, «qu’elles doivent aller travailler lorsqu’elles sont malades même si elles s’occupent des plus vulnérables, de personnes âgées ou d’enfants, parce qu’en se portant malades elles risquent de perdre leur emploi».

«C’est un moment historique pour l’OIT, mais surtout pour tous les travailleurs domestiques, partout dans le monde»

La NDWA représente 33 organisations locales de travailleurs domestiques dans 17 villes et 11 Etats à travers les Etats-Unis; celles de New-York ont lutté énergiquement pour cette charte des droits. Ai-jen revient tout juste d’un week-end d’orientation, où elle a formé des employés de maison pour la campagne des «ambassadeurs»: c’est «notre vecteur pour faire connaître cette nouvelle Charte, les droits et les protections qu’elle procure. Nous les formons comme ambassadeurs, presque comme des délégués syndicaux, pour qu’ils éduquent leurs collègues et leur montrent comment faire respecter leurs droits et négocier de meilleures conditions de travail». Il s’agit aussi d’une formation qualifiante; les employés y acquièrent des compétences comme la réanimation cardio-respiratoire (RCR) et les bonnes techniques de nettoyage, et peuvent ainsi avoir de meilleurs rendements pour leurs employeurs.

Ai-jen explique que les organisations syndicales offrent un appui aux travailleurs: «En faisant campagne contre les employeurs abusifs: nous engageons des poursuites ou nous rendons publiques ces affaires pour faire pression; parfois, nous organisons des manifestations devant leur domicile. Nous disposons d’un ‘réseau des employeurs pour la justice’ qui regroupe des employeurs qui font les choses dans les règles.»

L’application de la loi dépendant de ministères dont les budgets ont été réduits, les fonctionnaires sont donc tentés de limiter leurs vérifications aux lieux de travail les plus vastes parce que cela semble plus efficace que de poursuivre des propriétaires qui maltraitent une nounou.

Ai-jen ajoute: «La syndicalisation a suscité une grande sensibilisation du public et l’adoption de la Charte des droits des travailleurs domestiques par l’Etat nous a réellement permis de nouer un partenariat avec le ministère du Travail pour améliorer la situation. Mais même ainsi, ils vous diront qu’ils ne peuvent pas donner la priorité à des lieux qui n’accueillent qu’un ou deux employés. Nous travaillons donc avec eux pour leur faire comprendre que l’exécution de la loi est stratégique, que même sur un petit site cela permet d’envoyer un message symbolique – ‘pour encourager les autres’.»

«Nous en sommes capables»

Certains travailleurs optent pour un autre mode d’organisation. Ainsi, le quartier de Brooklyn à New-York abrite plusieurs coopératives apparentées telles que Si Se Puede!, We Can Do It!, Inc. pour les personnels de nettoyage, et Beyond Care pour les gardes d’enfants.

Vanessa Brunsburg, coordinatrice du Centre pour la vie familiale basé à Brooklyn, qui accueille plusieurs organisations, rappelle que les 15 membres fondateurs de Si Se Puede! étaient pour la plupart des femmes de la province mexicaine de Puebla. Fondée en 2006, l’organisation n’a pas seulement survécu à la crise financière récente, mais elle a aussi connu une forte expansion cette année. Quinze nouvelles adhérentes sont sur le point de la rejoindre après avoir terminé un programme intensif de formation pendant trois mois. Elles sont toujours majoritairement originaires de Puebla, même si une coopérative bangladeshie est également présente. Beyond Care est plus diversifiée, bien qu’essentiellement latino-américaine et caribéenne.

Les programmes associent des formations à la fois professionnelles et organisationnelles, afin que les travailleurs disposent de compétences leur permettant non seulement de négocier et de recruter d’autres membres, mais aussi, sur le plan professionnel, d’apprendre quelles sont les meilleures méthodes pour nettoyer une maison, quels sont les meilleurs matériels, les plus sûrs à utiliser, ou des techniques vitales comme la RCR. Le résultat est que les adhérents peuvent apporter une valeur ajoutée à leurs employeurs qui, après tout, sont souvent eux-mêmes des employés des classes moyennes qui essaient, vaille que vaille, d’élever leurs enfants et de travailler dans une société qui n’offre guère de services publics de garde d’enfants.

Les coopérateurs ont commencé par distribuer des prospectus, surtout lors de la Park Slope Food Coop de Brooklyn, une opération de distribution à succès qui a réuni 20 000 membres. «Maintenant, ils fonctionnent surtout par le bouche-à-oreille», dit Mme Brunsburg. Le personnel de nettoyage gagne de 20 à 22 dollars de l’heure, ce qui est assez correct pour des employés de maison. Les coopérateurs de Beyond Care gagnent de 12 dollars pour un emploi à plein temps à 16 ou 18 dollars pour un emploi à temps partiel. Si le Centre les aide pour les questions administratives, Mme Brunsburg rappelle que les femmes sont elles-mêmes responsables de la gestion de la coopérative; elles se réunissent toutes les deux semaines pour discuter de tout, des réglementations à la meilleure façon de gérer leurs finances personnelles. Leurs cotisations permettent de rémunérer un(e) réceptionniste qui reçoit les appels et s’occupe des formalités administratives.

Jusqu’à présent, le Centre et les coopératives n’ont pas eu à poursuivre d’employeurs. Le fait que les travailleurs et leurs employeurs signent dorénavant un contrat – dont les termes reflètent à la fois la Charte des droits des travailleurs domestiques de New-York et la convention de l’OIT – joue certainement un rôle à cet égard. De manière générale, au travers d’organisations comme les coopératives et la NDWA, les travailleurs domestiques ont démontré que «Oui, ils en sont capables!».