La crise et l’avenir de l’industrie automobile: Faire redémarrer l’industrie automobile

Rares sont les délégués présents à la réunion tripartite de l’OIT sur le secteur de l’industrie automobile qui s’est tenue il y a quatre ans qui auraient pu imaginer l’ampleur de la crise qui pourrait engloutir le secteur aujourd’hui, alors que la récession pèse sur la demande automobile des consommateurs. Andrew Bibby passe en revue les derniers mois qui ont vu des marques reconnues en grande difficulté, ainsi que des interventions gouvernementales sans précédent dans le secteur.

Mais les conclusions de cette réunion de l’OIT de 2005, et en particulier l’appel en faveur d’un «dialogue social dans l’industrie automobile qui devrait être une caractéristique permanente de l’industrie», demeurent pertinentes, étant donné le rôle clé que les partenaires sociaux ont joué pour contribuer à résoudre la crise actuelle.

Cela fut particulièrement frappant aux Etats-Unis, où les fonds contrôlés par le syndicat UAW (Auto Workers’ Union) sont censés devenir actionnaires des deux entreprises reconstruites que sont General Motors et Chrysler. En Europe aussi, la Fédération européenne des métallurgistes a joint ses forces à celles du Comité de liaison européen des fabricants d’équipements et de pièces automobiles pour créer un Partenariat européen pour l’anticipation du changement dans le secteur automobile, une initiative visant à maintenir une industrie durable avec des emplois de qualité.

En mai de cette année, l’OIT a accueilli une réunion spéciale d’experts de haut niveau pour discuter par quels moyens sortir le secteur de la crise. Comme le dit le Directeur général du BIT Juan Somavia, le défi consiste à lier les stratégies de long terme pour le secteur avec les solutions immédiates à court terme qui sont avancées.

Son défi a été relevé par plusieurs participants. Le Dr John Wormald d’autoPOLIS, un cabinet de consultants de premier plan pour l’industrie automobile, a souligné la nécessité d’un nouveau modèle économique pour le secteur, avec des cycles de vie du produit plus longs qui réduiraient le coût d’un nouveau véhicule d’environ 30 pour cent. Un autre intervenant, Barry Bluestone, professeur d’économie politique à la Northeastern University (E.-U.), a lié cette approche à la nécessité de réexaminer les relations sociales dans le secteur en déclarant: «Nous avons besoin d’un changement fondamental dans ce que l’industrie automobile construit et dans la façon dont elle élabore ses produits, mais aussi dans les relations sociales entre employeurs et syndicats.»

Reconstruire l’industrie mécanique grâce au partenariat social

Thomas A. Kochan, de l’Institut de recherche sur le travail et l’emploi du MIT (E.-U.), acquiesce: «Un simple sauvetage financier ne nous suffira pas. Le défi immédiat est de forger un nouveau contrat social pour l’industrie automobile afin de comprendre le monde du travail et d’impliquer les travailleurs, les employeurs mais aussi les autres parties prenantes», a-t-il déclaré lors de la réunion.

L’histoire de l’industrie automobile peut être perçue comme une composante essentielle d’une histoire plus vaste de la production industrielle au XXe siècle, quand le développement du travail à la chaîne a mis en pratique les théories tayloristes reposant sur la division du travail en tâches spécialisées. C’est aussi une industrie qui a connu des conflits sociaux tout en s’orientant vers le partenariat social. Dans le cas de GM par exemple, la décision prise par la société en 1937 de reconnaître le rôle de l’UAW comme partenaire de négociation a mis fin à une grève dure dans son usine de Flint, dans le Michigan, et a contribué à aller vers une période d’après-guerre faite de réussite économique et sociale. Dans les années 1950, GM ne générait pas seulement 3 pour cent du PIB du pays, mais il a également établi un modèle normatif pour tout le pays dans lequel ses employés sont récompensés par des salaires équitables et des allocations sociales.

L’industrie automobile est aujourd’hui devenue une source majeure d’emploi dans le monde. Un document de travail récent du BIT suggère qu’en 2004 quelque 8,4 millions de personnes travaillaient dans la production automobile (y compris les constructeurs et les fabricants de pièces détachées) sur l’ensemble de la planète: près de 2 millions en Europe, plus de 1,6 million en Chine, 1,1 million en Amérique du Nord, 750000 en Russie et au Japon, ainsi que des effectifs plus réduits mais tout de même significatifs ailleurs. Au total, la main-d’œuvre mondiale a probablement atteint un peu moins de 10 millions à la fin de 2007, ajoute le rapport du BIT.

En soi, cela devrait suffire à faire des problèmes actuels de l’automobile un sujet important de préoccupation. Mais la construction de véhicules à moteur crée aussi indirectement de l’emploi dans d’autres secteurs, parmi eux l’industrie de l’acier. Selon un rapport de l’an dernier rédigé par l’Economic Policy Institute, cabinet de réflexion américain indépendant, quelque 3,3 millions de postes rien qu’aux Etats-Unis dépendent de la prospérité des constructeurs automobiles du pays.

Principales questions soulevées par la table ronde de l'OIT

Plusieurs questions importantes ont été abordées pendant la table ronde de recherche.

  • Le modèle d’entreprise qui prévalait était lié à un phénomène mondial plus large de mécanisme de financement des entreprises. Cela a conduit certains dirigeants à se focaliser uniquement sur la rentabilité et la valeur des actions, parfois au détriment d’investissements à moyen terme dans la recherche et le développement. C’est ainsi que l’industrie automobile n’a pas encore répondu complètement aux défis du changement climatique et de la dépendance à l’égard du pétrole.
  • La concurrence effrénée et la guerre des prix entre constructeurs automobiles ont débouché sur des stratégies de réduction des coûts qui ont aussi affecté les relations avec leurs employés et leurs sous-traitants. Pour les travailleurs, cela signifiait une plus forte dépendance à l’égard d’emplois non standardisés, tels que les contractuels et les intérimaires. Pour les fabricants de pièces détachées en aval de la chaîne d’approvisionnement, cela voulait dire davantage de pression pour réduire les coûts et assumer plus de risques.
  • Dans les cas où le modèle d’entreprise basé sur les profits à court terme et l’ajustement des coûts éclipse des pratiques financières, technologiques et sociales solides, cela génère des fragilités pour les entreprises et les employés; cela crée également des frictions entre les acteurs clés alors qu’ils devraient plutôt être partenaires pour faire face à la crise.
  • La crise ne frappe pas tous les pays, toutes les entreprises ni tous les travailleurs de la même manière. Par exemple, l’impact considérable de la crise et la restructuration en cours dans l’industrie automobile aux Etats-Unis ne trouvent pas d’exact pendant sur d’autres marchés matures d’Europe ou du Japon. Parallèlement, une tendance tout à fait différente peut être observée dans les principales économies émergentes qui ont de vastes marchés intérieurs, telles que la Chine, l’Inde et le Brésil, et qui font l’expérience de hausses de production, ainsi que d’une consommation intérieure accrue de nombreux biens durables, y compris de véhicules. Des fusions et acquisitions devraient avoir lieu à l’échelle mondiale et de nouvelles sociétés locales comme en Inde et en Chine devraient se développer et devenir des acteurs mondiaux.

Ou, plus récemment, de leurs revers. Comme chacun sait, la demande automobile a chuté avec l’amplification de la crise économique. Les ventes automobiles mondiales se sont effondrées, passant d’un pic de 70 millions de véhicules atteint en 2007 à un rythme annuel de 56 millions, selon un récent rapport. Les recherches menées par le BIT montrent qu’en décembre 2008, comparé à décembre 2007, les ventes ont décliné de 50 pour cent en Espagne, de 35 pour cent aux Etats-Unis et de 22 pour cent au Japon. La production mondiale début 2009 était de 25 pour cent inférieure à celle de janvier 2008. Comme le souligne l’équipe sectorielle du BIT, cela pourrait se traduire par des suppressions d’emplois massives: «Si les entreprises devaient réduire leurs effectifs proportionnellement à leur production, alors les pertes d’emplois au cours de l’année à venir pourraient dépasser le million», indique-t-elle.

Ce ne sont pas seulement les travailleurs actuels qui sont touchés. Le syndicat UAW attire l’attention sur le grand nombre de travailleurs retraités parmi ses membres qui dépendent directement pour leur pension de retraite et leur prise en charge médicale de leurs anciens employeurs.

Il est possible que le pire soit derrière nous, en partie parce que les mesures gouvernementales prises à l’échelle mondiale pour aider l’industrie commencent à faire effet. Néanmoins, l’industrie automobile mondiale demeure en situation de faiblesse et celle qui émerge de la récession mondiale devrait être relativement différente de ce qu’elle était avant 2008. Cela est particulièrement vrai pour GM et Chrysler. Toutes deux ont dû accepter de déposer leur bilan cette année, cherchant la protection de leurs créanciers au titre du «Chapitre 11» de la loi sur les faillites. Le travail de restructuration de ces deux géants de l’industrie afin qu’ils puissent se relever de la faillite et recommencer à commercer se poursuivait alors que ce numéro de Travail était sous presse, mais l’allure générale de la solution la plus probable est claire, et implique dans chaque cas un haut niveau d’intervention de l’Etat, avec le soutien actif de la main-d’œuvre et des syndicats.

Dans le cas de General Motors par exemple, l’issue semble être la création d’un «nouveau» GM, les gouvernements américain et canadien détenant la majorité du capital de la nouvelle société. Les actionnaires actuels de GM, cela leur est proposé, vont recevoir une première allocation de 10 pour cent, les 17,5 pour cent du capital restants étant gérés par un fonds administré par les syndicats, qui prendra en charge les remboursements médicaux des employés retraités. Le «nouveau» GM sera allégé d’un grand nombre des responsabilités qui pesaient sur les comptes de l’ancienne société, ces parties les moins enviables de l’entreprise étant susceptibles de rester dans le giron de l’administration pour être finalement utilisées du mieux possible le moment venu.

Si tout se passe bien, cela devrait permettre de renouer avec le succès commercial pour un GM allégé, poursuivant la production automobile dans un grand nombre de ses usines traditionnelles et préservant au moins certains des emplois qui autrement auraient été menacés. Ce marché est inévitablement un compromis et personne n’est vraiment satisfait. Les anciens actionnaires de GM ont vu leur investissement perdre de sa valeur et certains porteurs de titres affirment que l’accord sous-évalue leur part (bien que les détenteurs de titres soient supposés acquérir davantage de capital ultérieurement, par l’émission d’actions). L’UAW relève les sacrifices consentis par les travailleurs aussi, y compris des modifications de la convention collective de 2007 négociée avec l’entreprise et des avantages conférés aux employés. Les retraités seront également touchés, selon le Directeur juridique de l’UAW, Alan Reuther. «Les retraités encourent des réductions substantielles et immédiates de leurs remboursements médicaux», a-t-il déclaré aux sénateurs et aux membres du Congrès américain en mai de cette année.

Un processus similaire a été entrepris au Canada, où le syndicat des travailleurs canadiens de l’industrie automobile CAW est parvenu à un accord temporaire avec l’entreprise pour une nouvelle convention collective en mai de cette année dans le cadre d’une restructuration globale. Les mesures de réduction des coûts ont été acceptées concernant les salaires, les prises en charge médicales, les conditions de travail, et les progrès de la productivité, bien que le Président du CAW Ken Lewenza affirme que l’accord contribue aussi à préserver de nombreux avantages acquis et à protéger de nombreux retraités de GM au Canada.

Si l’on se tourne vers l’avenir, il est clair qu’au XXIe siècle les populations conduiront des véhicules différents de ceux qui circulaient sur les routes du siècle passé. Le Président Obama a lié l’intervention de son gouvernement dans l’industrie automobile à une diminution stratégique de la consommation d’essence. La nécessité de progresser dans le développement de véhicules et de carburants plus propres a également été identifiée par la fédération syndicale mondiale pour ce secteur, la Fédération internationale de la métallurgie, dans une prise de position de son comité de direction en février.

Faire de la crise une chance

«La crise économique pourrait être transformée en chance de réduire l’empreinte carbone de l’industrie automobile et de créer des emplois verts», ajoute le document de travail du BIT. «De nombreuses mesures déjà adoptées par les gouvernements favorisent les investissements dans des véhicules plus respectueux de l’environnement. Produire ces véhicules exige davantage d’investissement dans la recherche et le développement et des employés hautement qualifiés. C’est pourquoi nous devons particulièrement mettre l’accent sur la formation qualifiante.»

Il est clair que le changement est déjà entamé: pour sa première importante voiture verte à faible émission de carbone, le nouveau modèle hybride Insight de Honda (qui roule à la fois à l’essence et à l’électricité) a dépassé ses rivales conventionnelles sur le marché intérieur japonais pour la première fois en avril dernier.

L’industrie automobile est sur la voie, en d’autres termes, qui la conduira loin de la dépendance aux véhicules à essence, polluants, du passé. Mais les événements des derniers mois, et en particulier le rôle qu’ont joué les syndicats dans les processus de restructuration, vont-ils mener à d’autres évolutions? Il est significatif que le Financial Times ait publié un article en mai sur l’intérêt renouvelé des syndicats allemands pour l’idée de négocier une participation au capital de la société. «Le secteur de l’automobile dont la situation fragilisée oblige la direction et les employés à faire leurs de nouvelles idées montre la voie», explique-t-il, poursuivant en relatant les mouvements chez Daimler pour envisager de convertir le système de participation aux bénéfices pour les employés en parts sociales.

Alors que le monde cherche à reconstruire le système économique de façon à éviter l’effet dommageable des investissements à court terme guidés par la recherche du profit immédiat, il y a place pour davantage de discussion. Le Financial Times a cité les remarques d’Erich Klemm, chef du comité d’entreprise de Daimler, lors d’une conférence syndicale récemment: «Nous sommes les seuls actionnaires qui avons un intérêt à investir à long terme dans l’entreprise, contrairement à ceux qui ne veulent que faire du profit rapidement.»