L’égalité hommes-femmes au cœur du travail décent

Au cours de l’année écoulée, le Bureau pour l’égalité entre hommes et femmes du BIT a mené une grande campagne de sensibilisation: l’égalité hommes-femmes au cœur du travail décent. Dans les pages suivantes, Travail passe en revue les thèmes de la campagne explorés jusque-là et s’entretient avec Jane Hodges, Directrice du Bureau pour l’égalité entre hommes et femmes.

Quel sera l’impact de la crise financière sur les possibilités d’emploi pour les hommes et pour les femmes? Va-t-il se traduire par un retour en arrière par rapport aux avancées accomplies en matière d’égalité hommes-femmes ces dernières années?

Jane Hodges: Les Tendances mondiales pour l’emploi des femmes les plus récentes, qui ont été publiées cette année à l’occasion de la Journée internationale de la femme, nous livrent l’analyse d’un premier groupe de données. Les projections indiquent 22 millions de femmes au chômage de plus d’ici la fin de l’année! Dans l’ensemble, les hommes et les femmes ont été touchés différemment depuis le début du ralentissement économique, en raison de situations au regard de l’emploi déjà différentes avant la crise. Les états de faiblesse sur les marchés du travail sont exacerbés par les crises. Nous pouvons l’observer dans cette première phase: dans les économies développées, les hommes perdent davantage leur emploi que les femmes. Cela est dû au fait que les secteurs qui connaissent les plus fortes pertes d’emploi actuellement, tels que le secteur manufacturier et la construction, sont dominés par les hommes. Mais cette «partie émergée de l’iceberg» devrait être suivie par des pertes d’emploi chez les femmes lors de la prochaine vague de banqueroutes, de fermetures d’entreprises et de réductions d’effectifs.

Par exemple, les taux de chômage des femmes sont toujours plus élevés que ceux des hommes: en 2008, le taux de chômage mondial était de 6,3 pour cent pour les femmes comparé à 5,9 pour cent pour les hommes, et les estimations pour 2009 placent le taux pour les femmes à 7,4 pour cent et celui des hommes à 7 pour cent. En outre, les femmes continuent de pâtir d’inconvénients multiples en termes d’accès au marché du travail. On trouve davantage de femmes dans le secteur informel, dans l’emploi vulnérable, le travail à temps partiel et elles sont encore en moyenne moins bien rémunérées que les hommes pour un travail de valeur égale.

Le BIT doit continuer à suivre ces tendances et veiller à ce que les plans de reprise et les politiques développées pour traiter la crise actuelle aient une dimension hommes-femmes. En d’autres termes, elles doivent prendre en compte les situations de l’emploi différentes des hommes et des femmes. En ce sens, la crise actuelle pourrait se révéler une opportunité pour une meilleure égalité entre hommes et femmes dans le monde du travail plutôt qu’une menace ou un revers. Mais nous devons rester vigilants.

2009 est une année importante pour le BIT en termes d’égalité hommes-femmes: c’est le dixième anniversaire du plan d’action du BIT pour l’égalité entre hommes et femmes et, en juin, la CIT présente l’égalité hommes-femmes au cœur du travail décent comme thème de discussion générale. Comment évalueriez-vous le travail du BIT pour faire progresser l’égalité entre les sexes dans le monde du travail?

Jane Hodges: Au cours des dix dernières années, on a porté beaucoup d’attention à l’intégration des questions de genre dans le travail du BIT, à travers le plan d’action pour l’égalité, la promotion de l’égalité hommes-femmes comme thème transversal, l’établissement d’un réseau composé de correspondants pour l’égalité hommes-femmes dans les différentes unités du Bureau à Genève et dans les bureaux de terrain, ainsi que la poursuite du développement du Bureau pour l’égalité entre hommes et femmes. L’engagement du BIT envers l’égalité hommes-femmes a été réaffirmé dans l’Agenda pour le travail décent et la Déclaration de 2008 sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, stipulant que l’égalité des sexes et la non-discrimination doivent être considérées comme des questions transversales pour les objectifs stratégiques de l’OIT. L’égalité hommes-femmes et la création du travail décent pour tous, offrir aux hommes comme aux femmes le même accès aux droits, aux possibilités d’emploi, à la protection sociale et au dialogue social sont dès lors au cœur du travail du BIT. Cette année, la discussion de la CIT va contribuer à élaborer une ligne stratégique pour l’avenir qui indiquera quelles activités le BIT doit développer pour faire progresser encore l’égalité entre hommes et femmes dans le monde du travail.

Le chômage sous l’angle de l’égalité hommes-femmes

La crise économique devrait faire augmenter le nombre de femmes sans emploi d’environ 22 millions en 2009, selon le rapport des Tendances mondiales de l’emploi des femmes (GET) publié par l’équipe TRENDS du secteur Emploi du BIT. Le BIT a également déclaré que la crise économique mondiale constituait un nouvel obstacle à la poursuite d’une croissance durable et socialement équitable, en rendant le travail décent pour les femmes de plus en plus difficile à réaliser, et a plaidé en faveur de «solutions imaginatives» pour faire face aux disparités entre hommes et femmes.

Le rapport indique que sur les 3 milliards de personnes employées dans le monde en 2008, 1,2 milliard sont des femmes (40,4 pour cent). Il affirme qu’en 2009 le taux mondial de chômage des femmes pourrait atteindre 7,4 pour cent, contre 7 pour cent pour les hommes.

Le rapport précise que l’impact de la crise économique sur la dimension de genre en termes de taux de chômage devrait être plus défavorable aux femmes qu’aux hommes dans la plupart des régions du monde. Il ajoute que les seules régions où les taux de chômage devraient être moins défavorables aux femmes sont l’Asie de l’Est, les économies développées, l’Europe du Sud-Est hors UE et la CEI, qui connaissaient de moins fortes disparités sexuelles en termes de possibilités d’emploi avant la crise économique actuelle.

Les projections d’emploi pour 2009 montrent une détérioration des marchés mondiaux du travail aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Le BIT prévoit que le taux de chômage mondial pourrait atteindre entre 6,3 pour cent et 7,1 pour cent, avec un taux pour les femmes compris entre 6,5 et 7,4 pour cent (contre 6,1 à 7 pour cent pour les hommes). Cela devrait se traduire par une hausse comprise entre 24 et 52 millions de chômeurs dans le monde, sur lesquels 10 à 22 millions devraient être des femmes.

Dans le même temps, le BIT prévoit également que le taux mondial d’emploi vulnérable* devrait se situer entre 50,5 et 54,7 pour cent pour les femmes en 2009, et 47,2 à 51,8 pour cent pour les hommes, indiquant que si le fardeau de la vulnérabilité incombe toujours davantage aux femmes, la crise pousse de plus en plus d’hommes dans l’emploi vulnérable, comparé à 2007.

Conséquences et mesures politiques

«Un taux d’activité plus faible, une maîtrise plus rare de la propriété et des ressources, une concentration dans l’emploi informel ou vulnérable, des rémunérations moindres, et moins de protection sociale, tout cela met les femmes dans une position de plus grande faiblesse que les hommes pour surmonter les crises», déclare la Directrice du Bureau pour l’égalité entre hommes et femmes du BIT, Jane Hodges. Elle ajoute que «les femmes peuvent s’en sortir en travaillant davantage ou en cumulant les petits boulots mal payés, mais elles ont encore à assumer des tâches domestiques non rémunérées».

Le Directeur général du BIT, Juan Somavia, a affirmé que l’égalité entre hommes et femmes devait être un principe de référence de toute réponse politique, parce que les effets de la crise financière et économique vont au-delà de la place des femmes dans le monde du travail et ont un impact sur la stabilité générale de la société, compte tenu des différents rôles que les femmes jouent.

Dans une allocution publiée à l’occasion de la Journée internationale de la femme, M. Somavia a déclaré: «Les inégalités entre hommes et femmes dans le monde du travail sont connues de longue date, mais elles risquent d’être exacerbées par la crise. Dans cette période de bouleversements économiques, les femmes subissent souvent les conséquences négatives plus rapidement mais ne jouissent des bienfaits de la reprise que lentement. Dès avant la crise, la majorité des femmes actives travaillaient dans l’économie informelle avec des rémunérations plus faibles et moins de protection sociale.»

M. Somavia a cité un certain nombre de mesures politiques qui pourraient contribuer à rééquilibrer le fardeau qui pèse sur les femmes et à faire face aux conséquences de la mondialisation, comme des emplois durables et de qualité ouverts aux femmes comme aux hommes, une protection sociale étendue, comprenant des indemnités chômage et des systèmes d’assurance qui reconnaissent la position vulnérable des femmes sur le marché du travail, et un dialogue social avec l’insertion active des femmes dans les processus de prise de décision.

* Taux mondial d’emploi vulnérable: part des travailleurs familiaux non rémunérés et des travailleurs indépendants dans l’emploi total. Ces travailleurs sont plus susceptibles d’être caractérisés par l’emploi précaire, les bas salaires et une faible productivité.

L’année dernière, le Bureau pour l’égalité des genres a lancé une grande campagne de sensibilisation sur l’égalité hommes-femmes au cœur du travail décent, dont le point d’orgue sera la discussion de la CIT. Quels sont les objectifs de la campagne et ses principales réussites jusqu’à présent?

Jane Hodges: La campagne a été lancée pendant la Conférence internationale du Travail de 2008. Au cours des 12 mois qui culmineront à la discussion générale de la CIT 2009, nous nous sommes activement adressés aux mandants de l’OIT et à de nombreux autres acteurs sur les questions d’égalité entre hommes et femmes, avec plusieurs objectifs.

Tout d’abord, c’est une campagne générale de sensibilisation pour augmenter la compréhension des questions d’égalité entre hommes et femmes dans le monde du travail, en se basant sur l’approche tout au long de la vie. Nous avons mis en évidence les liens particuliers qui existent entre égalité des sexes et garantie de travail décent pour les hommes et les femmes. La campagne est par conséquent construite autour de douze thèmes liés au travail décent et chacun d’entre eux est étudié sous l’angle de l’égalité hommes-femmes, montrant comment diverses questions peuvent affecter différemment les hommes et les femmes dans leur accès aux droits, à l’emploi, à la protection sociale et au dialogue social. En outre, nous faisons une promotion active de la ratification et de l’application des principales conventions de l’OIT sur l’égalité entre hommes et femmes. Nous faisons connaître l’importance de surmonter les obstacles qui persistent à l’égalité hommes-femmes pour le bien de tous. Préparer les matériels de campagne avec les différentes unités techniques du BIT fut une entreprise colossale, mais nous avons réalisé pendant ce processus que cette collaboration active était, en elle-même, une façon d’intégrer davantage les questions de genre dans l’ensemble de l’organisation. Les matériels de campagne ont été largement distribués parmi les mandants et les autres acteurs dans le monde entier et utilisés dans des réunions de haut niveau ou de terrain dans de nombreuses régions du monde. Le Centre de formation du BIT de Turin a été activement impliqué dans la campagne.

L’OIT a adopté de grandes conventions sur l’égalité hommes-femmes, dont deux figurent parmi les plus ratifiées; nous continuons pourtant à observer de nombreuses inégalités liées au sexe dans le monde du travail. Pensez-vous que notre travail a suscité le type de changements sociétaux et comportementaux qui sont nécessaires pour reléguer les discriminations fondées sur le sexe aux oubliettes?

Jane Hodges: Les conventions de l’OIT – en particulier les textes fondamentaux sur la non-discrimination et l’égalité de rémunération – sont le point de départ, parce qu’elles donnent un cadre juridique à l’égalité hommes-femmes dans le monde du travail et nous continuons de plaider pour la ratification de ces conventions. Quand il s’agit de vie quotidienne, en effet, nous voyons toujours beaucoup de discriminations dans le monde du travail, que ce soit en termes d’égal accès à l’emploi, de conditions de travail ou de rémunération. Par l’assistance aux gouvernements et aux organisations d’employeurs et de travailleurs, à travers les projets de coopération technique, le travail de formation et de communication, le Bureau contribue aux nécessaires changements sociétaux et comportementaux. Cependant, c’est un processus de long terme, parce que les stéréotypes liés au sexe sont très forts dans de nombreuses régions du monde et que les changements de comportement prennent toujours du temps. Mais nous devons être optimistes quand nous voyons qu’au cours des 50 dernières années la participation des femmes à la main-d’œuvre mondiale a connu une croissance constante dans toutes les régions du monde, contribuant ainsi à augmenter leur autonomie économique et financière et leur pouvoir de décision. Le cadre politique et juridique est solide dans toutes les régions. Compte tenu des nombreux défis qui sont encore à relever aux niveaux international et national, nous sommes confiants dans le fait que la discussion de la CIT et ses conclusions apporteront une bonne orientation aux mandants.

L’OIT n’est pas la seule agence des Nations Unies œuvrant pour l’égalité hommes-femmes. Quels sont selon vous les avantages comparatifs de l’action de l’OIT dans ce domaine?

Jane Hodges: Les avantages comparatifs de l’OIT sont liés à sa structure tripartite unique, à sa façon d’agir avec des acteurs de l’économie réelle et à son intérêt pour le travail décent pour chaque homme et chaque femme. En outre, l’OIT fixe des normes du travail qui s’appliquent aussi bien aux hommes qu’aux femmes, en plus des quatre principales conventions sur l’égalité (nos 111, 100, 156 et 183). Ses programmes pour l’emploi et pour les entreprises durables ont intégré la dimension de genre au niveau politique et dans la coopération technique. Nous avons des programmes spécifiques qui visent à améliorer les possibilités d’emploi pour les femmes et le développement des entreprises dans de nombreuses régions du monde. En termes de protection sociale, l’OIT cherche les moyens de traiter spécifiquement la protection des femmes dans l’économie informelle et l’emploi vulnérable, comme les migrations et le travail domestique. Et tout cela, nous le faisons avec les gouvernements et avec les organisations syndicales et patronales.

Le Bureau de l’OIT pour l’égalité des genres a développé un outil d’audit participatif de genre qui n’est pas seulement utilisé au sein du BIT ou parmi ses mandants, mais qui est également très apprécié au sein de la famille de l’ONU.

En septembre 2008, vous avez pris la direction du Bureau pour l'égalité hommes-femmes. Quelles sont vos impressions et vos priorités après six mois d'activités?

Jane Hodges: Je suis frappée par le sérieux avec lequel les unités du Bureau gèrent la dimension de genre dans leurs propres domaines de travail et aussi par la façon dont les entités de la famille onusienne attendent de l'OIT qu'elle les guide. Mais je dirige ce Bureau dans une période où les acquis de l'égalité entre hommes et femmes dans le monde du travail sont fortement remis en cause. La crise financière actuelle va affecter les hommes mais plus particulièrement les progrès accomplis de haute lutte par les femmes pour leur émancipation socio-économique. Le BIT doit surveiller les tendances de l'emploi et se tenir prêt à apporter des conseils stratégiques dans le domaine de l'égalité entre hommes et femmes pour les plans de reprise. Reposez-moi cette question à la fin de 2009 et nous verrons si le Bureau a vraiment fait la différence.