La violence des ouragans Tandis que des experts débattent sur la sécurité de l'emploi, la nature nous rappelle qu'on ne peut tout prévoir

Après le passage de l'ouragan Katrina, des milliers de sauveteurs ont mis leur vie en danger en essayant de porter secours aux victimes malades ou isolées de la côte américaine du Golfe du Mexique. Une leçon de choses pour les experts du XVIIe Congrès mondial sur la santé et la sécurité au travail, réunis pour examiner le problème des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui va en s'aggravant mais dont l'OIT considère cependant qu'il n'est pas insoluble. Un reportage de Katherine Lomasney, du BIT.

ORLANDO, Floride - Des semaines après que Katrina eut transformé la Nouvelle-Orléans en Atlantide des temps modernes, les équipes de secours n'avaient toujours qu'une idée en tête: sauver les personnes bloquées, malades et en détresse qui avaient pu survivre jusque-là. La région était méconnaissable. La ville et ses alentours, devenus un véritable bouillon de culture, étaient assaillis par les maladies, la pollution et une multitude d'autres dangers.

"Il faut veiller à ce que les très nombreux travailleurs qui participent au déblaiement, au nettoyage et à la reconstruction des côtes du Golfe puissent œuvrer en toute sécurité pour éviter des dommages corporels inutiles. Préserver la santé et la sécurité de ceux qui prêtent main forte aux collectivités des régions dévastées est l'une de nos priorités", a déclaré Elaine Chao, alors ministre du Travail des Etats-Unis.

Par l'intermédiaire de son Agence pour la santé et la sécurité au travail (OSHA), le ministère du Travail a dépêché sur place une centaine de secouristes spécialisés dans les catastrophes causées par des ouragans, pour donner aux employeurs et aux travailleurs chargés des opérations de déblaiement des conseils sur les équipements de protection à utiliser et d'autres mesures de sécurité. Ils ont également prévenu les travailleurs des dangers auxquels ils risquaient d'être confrontés: lignes électriques tombées à terre, maisons et immeubles endommagés, animaux dangereux, inondations, etc. Les 5 000 interventions auxquelles ont ainsi procédé les spécialistes de l'OSHA ont évité de graves blessures à quelque 10 500 travailleurs.

Reste que dans le monde entier il arrive souvent que des travailleurs trouvent la mort parce qu'ils exercent des métiers dangereux sans aucun conseil de sécurité, sans formation adéquate et sans équipement de protection. Cette année, la XVIIème édition du Congrès mondial sur la santé et la sécurité au travail, qui s'est tenue au mois de septembre à Orlando, en Floride, avait pour thème "La prévention dans un monde globalisé: Réussir grâce aux partenariats". Les participants étaient invités à se pencher sur les ravages causés par les accidents du travail dans le monde et sur la pressante nécessité d'élaborer des stratégies de prévention.

L'expression "mieux vaut prévenir que guérir" prend tout son sens lorsque l'on songe au prix de la dangerosité des lieux de travail en termes de vies humaines, de dommages corporels et de pertes pour les entreprises. Dans un rapport ( Note 1) publié pour le Congrès, le BIT estime qu'au moins 5 000 hommes et femmes meurent chaque jour d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, ce qui représente environ 2,2 millions de décès par an. Et encore, ces chiffres sont-ils probablement bien en deçà de la réalité étant donné les insuffisances des procédures de déclaration, surtout dans les pays d'Asie à croissance rapide.

"Des progrès ont été accomplis sur de nombreux fronts dans le monde du travail mais les décès, les accidents et les maladies demeurent des sujets de préoccupation majeure", a déclaré Juan Somavia, Directeur général du BIT, avant le congrès mondial. "L'un des buts de ce congrès est de faire en sorte que travail soit synonyme de sécurité au XXIe siècle, en s'appuyant sur les normes internationales de sécurité qui existent et en renforçant les partenariats mondiaux."

En élargissant le bilan aux lésions et maladies de toutes sortes qui surviennent en milieu professionnel, le BIT estime à 270 millions le nombre annuel d'accidents du travail qui entraînent trois jours d'arrêt et à 160 millions le nombre de personnes atteintes chaque année de maladies d'origine professionnelle.

Selon le rapport, les hommes risquent plus particulièrement de mourir avant d'avoir dépassé l'âge actif (c'est-à-dire avant 65 ans) et les femmes souffrent plutôt de problèmes d'ordre psychologique et social qui se propagent sur le lieu de travail ainsi que de troubles musculo-squelettiques durables. Dans plusieurs pays industrialisés, plus de la moitié des départs à la retraite ne surviennent pas à l'âge normal de la retraite mais sont anticipés ou dus à une incapacité de travail. Certes, le travail n'est pas toujours la cause directe de ces phénomènes mais, à travers son mode d'administration, le lieu de travail est à même de favoriser la prévention et de conserver la capacité de travail.

"La triste vérité est que, dans certains endroits du monde, un grand nombre de travailleurs vont certainement mourir parce que la culture de la sécurité n'est pas suffisamment ancrée", a déploré Jukka Takala, Directeur du Programme SafeWork du BIT. "Tel est le prix faramineux d'un développement débridé. Nous devons agir rapidement pour inverser cette tendance."

Interrogé par les Nouvelles du BIT en ligne sur les moyens à mettre en œuvre pour éviter tous ces accidents et maladies aux travailleurs du monde entier, Takala a répondu qu'il suffirait en réalité de peu: "En appliquant un ensemble de mesures connues, on pourrait supprimer la quasi-totalité des accidents. Beaucoup d'entreprises et certains gouvernements ont déjà adopté l'objectif zéro accident. Si tous les Etats membres de l'OIT appliquaient les stratégies et les méthodes de prévention existantes qui ont fait leur preuve et dont ils peuvent facilement prendre connaissance, 300 000 décès sur 360 000 et 200 millions d'accidents sur 260 millions pourraient être évités, sans parler des économies qui seraient réalisées sur les frais d'indemnisation ni des autres avantages économiques qui en découleraient."

Le congrès mondial: l'occasion d'une collaboration

Plus de 3 000 spécialistes de la santé et de la sécurité délégués par les gouvernements, les organisations syndicales et les entreprises de 110 pays ont participé à ce congrès de cinq jours, organisé à Orlando par le BIT, l'Association internationale pour la sécurité sociale (AISS) et le Conseil national de sécurité des Etats-Unis. L'occasion pour les dirigeants sensibles à cette question et les experts de mettre en commun leur expérience et leurs techniques.

La question de la sécurité et de la santé des secouristes de la région de la Nouvelle-Orléans a rarement quitté l'esprit des intervenants et des participants. Dans son allocution, Elaine Chao, ministre américaine du Travail, a remercié les professionnels de la santé et de la sécurité qui ont porté assistance aux survivants.

L'un des temps forts du congrès a été l'allocution prononcée par la Présidente de l'Association internationale pour la sécurité sociale, Corazon de la Paz, pendant la cérémonie d'ouverture. Mme de la Paz a insisté sur la nécessité de conjuguer les efforts à l'échelle mondiale pour prévenir des maladies professionnelles telles que le cancer de l'amiante et sur l'utilité des partenariats publics et privés dans le commerce et la production. "Près de 80 pour cent de la population mondiale travaille sans filet de sécurité", a-t-elle déclaré. "Dans ce monde, il arrive trop souvent qu'une main blessée sur une chaîne de montage provoque la ruine de toute une famille."

Mme de la Paz a mis en garde contre le maintien de la production et de l'utilisation de l'amiante, qui causerait près de 500 000 cancers en Europe occidentale d'ici à 2029. "L'utilisation de l'amiante entraîne inévitablement une détérioration de la qualité de la vie et des décès prématurés, qui pèsent pendant plus de 30 ans sur l'économie nationale."

Les experts ont souligné la nécessité de mettre en place des dispositifs de prévention et une législation ainsi que des moyens d'en assurer l'application à tous les échelons de l'activité économique, en instaurant un système de gestion qui permette une surveillance et une amélioration permanentes. De plus, une fois les mesures de santé et de sécurité élaborées, des stratégies garantissant leur réussite doivent être mises en œuvre. Pour que les stratégies de prévention atteignent leur but, il faut une volonté qui s'appuie sur une information, une formation et une éducation efficaces. Après le congrès, ces messages essentiels et d'autres considérations tout aussi importantes concernant la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles ont été regroupés par des professionnels, des employeurs et des travailleurs des secteurs public et privé, des responsables politiques et des cadres d'entreprise dans une déclaration de principes intitulée Les valeurs d'aujourd'hui pour le monde de demain.

Mais surtout, les participants ont été vivement encouragés à dialoguer avec les décideurs de leurs pays respectifs afin de leur faire comprendre la gravité du problème et la nécessité d'agir sans délai. Alan McMillan, Président du Conseil national de sécurité et responsable de l'édition 2005 du Congrès mondial, a déclaré qu'une amélioration sensible de la situation serait possible si les participants parvenaient à mobiliser la volonté des dirigeants d'entreprise, à faire naître une culture de la sécurité parmi les salariés et à intégrer complètement la santé et la sécurité dans l'organisation normale et le fonctionnement quotidien des entreprises.

Pour le BIT, M. Takala a déclaré que la sensibilisation était une étape essentielle vers l'amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs et vers la prévention des accidents à l'échelle mondiale. "Les médias parlent beaucoup des 500 000 personnes qui meurent chaque année dans des guerres, mais les 2 millions de personnes ou plus qui meurent au travail passent quasiment inaperçues, pour ne pas parler des autres victimes qui souffrent des séquelles d'accidents du travail et de longues maladies professionnelles", a-t-il fait observer. "Le Congrès mondial est l'occasion d'attirer l'attention sur l'importance de la question: ce n'est pas uniquement une rencontre entre experts. Nous voulons aussi qu'à l'avenir les médias et les responsables politiques accordent une beaucoup plus grande priorité à ces problèmes."

Un film du BIT sur la sécurité au travail remporte un vif succès devant le Congrès

Le film éducatif sur la santé et la sécurité dans le secteur du bâtiment de l'Inde, Durghatnayen Gair Zaruri (Accidents don't have to happen), réalisé par le BIT en 2002, est l'un de ceux qui a remporté un second prix lors du 5e Festival du film du Congrès mondial sur la santé et la sécurité au travail, qui s'est tenu à Orlando, en Floride. Ce film, qui s'adresse aux ouvriers du bâtiment, à leurs représentants syndicaux et aux responsables de la sécurité des chantiers, montre que la plupart des accidents peuvent être évités et met en évidence plusieurs précautions essentielles, de nature à réduire le nombre des accidents et des maladies qui surviennent sur les chantiers de construction.

Sélectionné au départ parmi 135 autres productions, Accidents don't have to happen est l'un des 66 films présentés par 19 pays, qui ont été projetés pendant le Congrès. Il a été choisi par un jury composé de représentants de huit pays.

"Le cinéma est un moyen de communication qui peut avoir un grand impact dans le monde en développement et nous félicitons le BIT pour ses travaux dans ce domaine", a déclaré Peter Rimmer, Président du Jury du Festival international du film, au cours de la cérémonie de remise des prix. " Accidents don't have to happen respecte la diversité des cultures et des façons de travailler. Il indique non seulement les problèmes mais aussi certaines solutions susceptibles de rendre le travail plus sûr dans le bâtiment."

Tourné en vidéo à Chhattisgarh, dans le centre de l'Inde, ce film met en scène des accidents qui se produisent fréquemment sur les chantiers. En outre, il présente un entretien avec un responsable de la sécurité de l'aciérie de Bhilai qui a fait baisser le nombre d'accidents sur son chantier et l'interview d'un médecin qui parle des nombreux risques sanitaires auxquels sont exposés les travailleurs du bâtiment. Dans tout le sous-continent indien, le bâtiment emploie environ 30 millions de personnes, qui travaillent souvent dans de mauvaises conditions de santé et de sécurité.

Tourné à l'origine pour les organisations de travailleurs, le film a été par la suite projeté lors d'un séminaire organisé à Delhi par le Conseil pour le développement de l'industrie du bâtiment (CIDC), organisation qui représente les entreprises et la clientèle gouvernementale du bâtiment. Il a remporté un tel succès que le CIDC en a commandé 40 000 copies pour diffusion parmi ses membres.


Note 1 - Travail décent - Travail sûr. Rapport préliminaire du BIT au XVIIe Congrès mondial sur la santé et la sécurité au travail, Orlando, Etats-Unis. www.ilo.org/safework