Mondialisation: Comment garantir des chances égales pour tous? Les mandants de l'OIT définissent la voie à suivre

Dans son rapport intitulé " Une mondialisation juste: Créer des opportunités pour tous" ( Note 1), la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation affirme qu'il est urgent de repenser la manière dont la mondialisation est régie. Lors de l'échange de vues animé qu'ils ont eu sur ce rapport à l'occasion de leur 289e session, les membres du Conseil d'administration du BIT ont donné des indications supplémentaires sur la voie à suivre - sujet qui figure cette année en tête de l'ordre du jour de la Conférence internationale du Travail.

GENEVE - La salle du Conseil d'administration était comble lorsque M. Mkapa, Président de la Tanzanie et coprésident de la Commission mondiale, est monté à la tribune. Premier chef d'Etat africain à s'adresser au Conseil d'administration, il a déclaré: "Le potentiel de la mondialisation est immense, pour le meilleur et pour le pire. C'est une force à maints égards positive qui peut être exploitée pour le bien de l'humanité mais certains de ses éléments doivent être domestiqués pour que nous puissions tous exister et vivre ensemble."

Le ton du débat était donné. Les avis les plus divers furent exprimés, reflétant toutes les tendances représentées à l'OIT, mais tous s'accordèrent sur un point: le rapport de la Commission mondiale dresse un tableau franc et sans concession de la mondialisation mais il est "équilibré et cohérent", et c'est, selon de nombreux intervenants, ce qui fait sa force.

Les délégués des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, les représentants d'institutions des Nations Unies et d'autres observateurs ont considéré que ce rapport "ouvrait des perspectives entièrement nouvelles", qu'il "ferait date" et qu'il contenait des propositions d'action dignes du plus grand intérêt.

"Les anciennes formes de mondialisation doivent être écartées", a affirmé M. Funes de Rioja, vice-président employeur. Et Sir Leroy Trotman, vice-président travailleur, s'est félicité de ce que "tous les orateurs ait approuvé l'accent mis par la commission sur les principes et droits au travail".

"Les pays en développement réclament depuis longtemps une approche réaliste - par opposition à une approche idéaliste - de la mondialisation. Pour nous, ce rapport constitue un pas dans la bonne direction ", a constaté le délégué du Pakistan.

Le Directeur général du BIT, Juan Somavia, a fait observer que les membres de la Commission mondiale représentaient tout l'éventail des opinions sur la mondialisation mais que dans leur rapport, ils étaient parvenus à définir une approche commune et à se mettre d'accord sur des propositions d'action réalistes. "Nous avons délibérément réuni des personnalités de sensibilités différentes. Leur rapport prouve que le dialogue peut être source de créativité face à un besoin de changement qui ne peut attendre", a-t-il déclaré.

Vers une mondialisation juste

Pendant deux jours, délégués et représentants d'organisations internationales ont plaidé en faveur d'une répartition plus équitable des avantages de la mondialisation et tous ont approuvé la recommandation selon laquelle le travail décent devrait être un objectif mondial:

La ministre canadienne du Travail, Claudette Bradshaw, a déclaré: "Nous avons un principe économique simple: ceux qui produisent les biens et services doivent aussi pouvoir les consommer." Plusieurs délégués ont repris à leur compte la remarque suivante citée le rapport: "A quoi bon une mondialisation qui diminue le prix des chaussures d'un enfant mais coûte son emploi à son père?"

Le délégué de la Corée a déclaré: "Mon pays, durement touché par la crise financière de la fin des années quatre-vingt-dix, ne peut qu'approuver les observations de la commission sur l'importance primordiale de la protection sociale, de la création d'emplois décents et d'un dialogue social ouvert."

Mais le débat ne s'est pas borné à énumérer les maux de la mondialisation. Les délégués ont largement approuvé l'insistance du rapport sur la nécessité de rendre la gouvernance plus démocratique et plus transparente tant au niveau national qu'au niveau international, précisant que l'action devait être menée de front à ces deux niveaux et qu'il fallait répondre aux besoins et aspirations des populations à l'échelon local.

Gerd Andres, secrétaire d'Etat parlementaire au ministère des Affaires économiques et du Travail de l'Allemagne, a appuyé l'appel de la Commission mondiale en faveur d'un travail décent pour tous. "Ceux qui ont un travail décent peuvent vaincre la pauvreté. Ils peuvent nourrir leur famille, veiller à ce que leurs enfants s'instruisent et acquièrent une formation professionnelle, améliorer leur position sociale, bien connaître leurs droits sociaux et culturels et exercer leur droit de participer à la vie politique. Plus nous avancerons dans cette direction, moins les retombées économiques de la mondialisation feront peur."

Dans l'ensemble, les délégués ont approuvé la position critique mais constructive des membres de la commission et les nombreuses suggestions formulées dans le rapport pour améliorer la situation. Saluant le plaidoyer pour une plus grande cohérence du système multilatéral, le délégué français, Philippe Séguin, a dit: "La mondialisation ne peut être découpée en tranches". D'autres se sont déclarés favorables à l'initiative proposée pour harmoniser l'action des organisations internationales dans les domaines clés de la croissance mondiale, de l'investissement et de la création d'emplois. Le représentant de la Banque mondiale a estimé que ce rapport serait "très utile à tous au sein de la communauté internationale".

Renforcer la gouvernance mondiale

Les participants ont félicité la commission d'avoir rappelé l'importance du multilatéralisme, le délégué de l'Afrique du Sud ajoutant que "le multilatéralisme et le rôle joué par les Nations Unies, dont l'OIT est un élément essentiel, sont encore plus importants pour ceux d'entre nous qui viennent de pays dont la majorité des habitants sont quotidiennement aux prises avec la pauvreté et la misère". En facilitant le dialogue sur la dimension sociale de la mondialisation, l'OIT "a donné un visage humain à un processus souvent considéré comme impersonnel", a déclaré le délégué des Etats-Unis.

La représentante de la Commission européenne a approuvé l'accent mis sur la réforme de la gouvernance mondiale. "Etant donné le déséquilibre actuel d'un système international dans lequel l'économique l'emporte sur le social, il faut renforcer la dimension sociale et améliorer la coordination entre les organisations et l'ensemble des acteurs", a-t-elle affirmé.

Plusieurs autres questions sur lesquelles insiste le rapport, comme le dialogue social et la recherche d'un consensus - qui a caractérisé le travail de la commission - ont suscité des commentaires favorables. Le ministre du Travail du Brésil, Ricardo Berzoini, a indiqué que son gouvernement accordait une importance considérable à l'exercice entrepris par l'OIT. "Il n'y a pas d'instrument plus puissant que le dialogue pour promouvoir le changement", a-t-il ajouté.

De nombreux délégués ont critiqué à cœur ouvert l'actuelle architecture financière mondiale et ont soutenu l'appel en faveur de règles équitables dans les domaines du commerce et de la finance. Beaucoup ont mentionné les graves répercussions des subventions agricoles des pays industrialisés sur les pays en développement et réclamé une plus grande ouverture des marchés.

Faisant écho à la recommandation qui préconise l'augmentation de l'aide au développement, beaucoup d'intervenants ont affirmé qu'il était indispensable d'alléger la dette et d'augmenter l'aide publique au développement, non seulement pour combler les inégalités à l'intérieur des pays et entre eux, mais aussi pour éliminer la pauvreté. Et, à propos des migrations de travailleurs, autre question à l'ordre du jour de la Conférence internationale du Travail, les délégués ont souligné la nécessité d'examiner les conséquences de leur intensification sur les migrants eux-mêmes ainsi que sur les pays d'origine et les pays d'accueil, dans le cadre d'une concertation multilatérale et d'autres initiatives.

M. Somavia a attiré l'attention des participants sur le fait que l'enjeu était maintenant de mettre l'Agenda de l'OIT pour le travail décent au service d'une mondialisation juste et sans exclus. Les délégués ont dit qu'ils seraient heureux de prendre connaissance, lors de la conférence, des propositions qu'il présenterait sur la suite que l'OIT pourrait donner au rapport et de participer à d'autres consultations avec les mandants tripartites de l'Organisation.

M. Mkapa a conclu son allocution finale par une phrase de l'écrivain Robert Louis Stevenson disant qu'on ne peut échapper à ses défauts et que mieux vaut les combattre sans attendre d'en périr. Et d'ajouter: "Nous, la présente génération de dirigeants, ne devons pas fermer les yeux sur les défauts de la mondialisation. Nous devons les combattre aujourd'hui, sans attendre."

Portait d'un homme de conviction

Benjamin Mkapa est le premier Président africain qui se soit adressé au Conseil d'administration du BIT. Coprésident de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, il s'est consacré sans relâche à sa mission, réussissant à concilier ses obligations de chef d'Etat avec la difficile tâche qui était la sienne au sein de la commission.

Un sentiment l'a guidé tout au long de ses travaux sur la mondialisation: l'espoir. L'espoir qui préserve de la détresse et l'espoir que le message de la commission inspire des mesures propres à soulager le sort de ceux à qui la mondialisation a apporté plus de souffrance que de bonheur.

Selon lui, les problèmes concernant à la dimension sociale de la mondialisation sont dus à une responsabilisation insuffisante de nombreux acteurs mondiaux. Pour remédier à cette situation, il faut veiller à ce que des règles soient mises en place. Il faut aussi créer un climat propice à l'acquisition des capacités nécessaires pour que les gens puissent saisir les occasions offertes par la mondialisation.

M. Mkapa a déclaré avec la plus grande fermeté qu'il fallait régler au plus vite la question de la dette afin que les pays en développement puissent affronter les obstacles sans handicap. Il a aussi réclamé davantage de cohérence dans les politiques de développement des donateurs et des bénéficiaires, affirmant toutefois que l'effort de cohérence devait commencer à l'échelon national. Les pays ne peuvent exiger une gouvernance démocratique et participative de la part des organisations internationales s'ils n'appliquent pas cette exigence à eux-mêmes. Ils ne peuvent exiger que les institutions mondiales fassent preuve de transparence s'ils n'ont pas la même exigence pour leurs propres institutions nationales. Après tout, les organisations internationales ne sont rien d'autre que des gouvernements souverains réunis autour d'un objectif donné.

M. Mkapa est convaincu que les travaux de la commission mondiale vont faire bouger les choses. Des initiatives ont déjà vu le jour: la Déclaration de Santa Cruz de la Sierra, par exemple, dans laquelle les chefs d'Etat et de gouvernement des Amériques ont réaffirmé leur conviction que le travail décent était le meilleur moyen d'améliorer les conditions de vie. Le Sommet extraordinaire sur l'emploi et la lutte contre la pauvreté, qui aura lieu en septembre 2004 à Ouagadougou, au Burkina Faso, offrira une autre occasion d'agir. M. Mkapa a promis que Mme Halonen et lui-même feraient campagne auprès de leurs pairs et au sein des principales institutions internationales.

Les buts de la Commission

Dans son allocution à la 288e session du Conseil d'administration, Mme Halonen, Présidente de la Finlande et coprésidente de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, a rappelé que l'idée de départ de la commission était que, pour être viable, la mondialisation devait répondre aux aspirations des populations. Le but de la commission est de contribuer à faire de la mondialisation un atout pour favoriser l'accès au travail décent, réduire la pauvreté et le chômage et stimuler la croissance et le développement.

Avec ce but en tête, la commission a élaboré des propositions de changement visant à renforcer la dimension sociale de la mondialisation. En effet, la situation actuelle est inadmissible sur le plan éthique et elle n'est pas tenable sur le plan politique. Les avantages économiques et les coûts sociaux sont inégalement répartis entre les groupes sociaux. Mais en dernière analyse, les résultats de la mondialisation dépendront de ce que le monde en aura fait, de la manière dont elle aura été gérée et des valeurs dont se seront inspirés ses acteurs. La commission mondiale propose de transformer la mondialisation de telle sorte qu'elle garantisse davantage de liberté et de bien-être aux individus et qu'elle favorise la démocratie et le développement au sein des collectivités. La mondialisation doit aussi respecter l'environnement afin de promouvoir un développement durable.

Mme Halonen a ajouté que les principes directeurs de la mondialisation doivent également s'appliquer aux institutions, lois et systèmes politiques nationaux. Les principes fondamentaux sont ceux de la démocratie, des droits de l'homme et de la primauté du droit.

Dans son pays, la Finlande, la mondialisation est une réalité concrète, pas simplement un phénomène théorique. La Finlande en a bénéficié mais elle est très consciente des aléas inhérents à forme actuelle de la mondialisation. Concurrence fiscale, délocalisation d'entreprises, chômage, protection des marchés d'exportation et course aux investissements étrangers font partie des problèmes quotidiens du pays.

S'il est un domaine sur lequel il faut se concentrer, c'est celui de l'éducation. Pour qu'un pays comme la Finlande aille bien, il a besoin d'éducation. C'est la condition sine qua non de la créativité et d'une bonne faculté d'adaptation. Or qu'exige la mondialisation si ce n'est une constante adaptation à de nouveaux obstacles?