L'expérience Lego: "Conjuguer flexibilité et sécurité"

Les travailleurs qui sont confrontés à des licenciements aimeraient probablement comprendre pourquoi les employés du fabricant de jouets Lego ne s'inquiètent pas vraiment de l'éventuelle délocalisation de leurs postes. Cela a sans doute à voir avec ce que l'Organisation internationale du Travail et d'autres appellent la "flexicurité". Reportage en ligne du BIT depuis la fabrique de jouets Lego au Danemark.

Article | 13 janvier 2006

BILLUND, Danemark (BIT en ligne) - Bien que Lego ait reçu en 2000 la médaille du "Jouet du siècle", Charlotte, agent de production chez Lego, est confrontée à une nouvelle année bien incertaine. En 1999, l'entreprise a connu ses premières pertes depuis 1932, année de l'invention par un charpentier danois des fameuses briques.

L'entreprise est l'un des fabricants de jouets qui a le mieux réussi dans le monde et emploie 5 600 personnes au total. Mais même Lego n'est pas immunisé contre les bouleversements liés à la mondialisation. Ces dernières années, des centaines de travailleurs ont été licenciés et il y en aura davantage encore en 2006, Lego délocalisant sa distribution en République tchèque.

Mais Charlotte n'est pas trop inquiète. "Je ne suis pas particulièrement préoccupée de perdre mon travail... Chez Lego, ils savent vous prendre en charge si vous êtes renvoyé... Ils ne vous laissent pas livré à vous-même", affirme-t-elle.

C'est parce que Lego est basé au Danemark où un marché du travail flexible, une sécurité sociale généralisée et un recyclage permanent sont les pierres angulaires d'un modèle appelé "flexicurité".

"Vous pouvez les comparer aux trois côtés d'un triangle dont l'un serait un marché du travail flexible - où il est aussi facile d'embaucher que de licencier", explique le ministre danois du Travail, Claus Hjort Frederiksen.

Pour Charlotte, cela signifie qu'elle peut mettre sa fille dans une crèche publique, qui relève d'un vaste système de sécurité sociale. Pour Lego, cela veut dire qu'ils peuvent répondre à l'évolution du marché.

"Il y a un équilibre ici, mais si la balance penchait trop d'un côté, alors c'est tout le système danois qui s'effondrerait. C'est pourquoi, en tant que syndicat, nous sommes tout à fait conscients qu'il y a une connexion entre les deux, que la flexibilité mène à la sécurité qu'apporte l'Etat", commente Hans Jensen de la Fédération des syndicats danois (LO).

Le soutien sans faille des partenaires sociaux est le fondement du modèle danois de flexicurité et, dans la perspective de l'OIT, c'est essentiel. Une approche tripartite basée sur le dialogue social avec des consultations et des négociations entre le gouvernement, les employeurs et les travailleurs est la clé pour trouver les solutions dont le marché du travail a besoin pour les entreprises et leurs employés.

Lego a signé un accord avec les syndicats et le bureau local de l'emploi pour recycler les travailleurs dans des emplois de service. L'accord "De l'industrie aux services", conclu avec le principal syndicat danois en novembre 2005, a pour but de reconvertir les agents de production afin qu'ils occupent des postes dans le parc à thème "Legoland" et à l'aéroport de Billund. Beaucoup des 200 employés concernés se sont déjà inscrits pour les programmes d'éducation et de formation.

"Lorsque nous devons laisser les gens partir, nous les aidons à acquérir les plus grandes chances possibles d'obtenir un meilleur poste", explique Conny Kalcher, Vice-Présidente de la communication chez Lego. Les employeurs danois soutiennent fortement ce type d'accord: un marché du travail flexible offre aux entreprises la possibilité de se développer, se restructurer ou décroître, en fonction du marché", déclare Jørn Neergaard Larsen de la Confédération des employeurs danois (DA).

L'exemple danois illustre le lien entre sécurité de l'emploi, flexibilité du marché et protection sociale. Chaque année, 30 pour cent des travailleurs danois changent d'emploi, un taux qui n'est dépassé qu'aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Le chômage danois lui se situe maintenant à 4,7 pour cent, moitié moins que le taux moyen dans la zone euro qui est de 8,6 pour cent.

Atteignant plus de 5 pour cent du PNB, les dépenses danoises consacrées aux politiques de l'emploi sont les plus élevées de l'Union européenne. Bien que plus de la moitié de ces dépenses soit consacrée à des mesures passives, le gouvernement a mis un accent tout particulier sur la participation des chômeurs à une formation active et à des programmes éducatifs.

Après une période passive où ils reçoivent une indemnité, les chômeurs participent à ces programmes pour améliorer leur adaptabilité au marché du travail. Bien que la stabilité dans l'emploi soit assez faible au Danemark - en 2001 les travailleurs étaient restés environ 8,3 ans sur le même poste, le pays se classait deuxième sur 17 pays quant au sentiment de sécurité de l'emploi selon l'OCDE en 2000.

Selon une étude récente du BIT (Note 1), le Danemark est un bon exemple d'une politique de "mobilité protégée" sur le marché du travail qui cherche à combiner à la fois la sécurité et la flexibilité. Une forte mobilité sur le marché du travail ne contredit pas forcément le sentiment de sécurité des gens. Puisqu'il existe un système de protection sociale, qui comprend une assurance chômage, cela allège le poids d'un licenciement. La protection sociale atténue l'effet négatif pour l'employé à titre individuel lorsqu'une entreprise a besoin de restructurer ses activités, diminuer sa production ou délocaliser.

"Le mot Lego vient du danois "leg godt" qui signifie "bien jouer". Cela veut aussi dire "j'assemble" en latin. Ce que l'on observe sur le marché du travail danois et dans l'expérience de Lego, c'est que la flexibilité et la sécurité peuvent aller de pair. Au Danemark, il y a consensus autour du fait que la flexicurité peut marcher pour tous. Il s'agit seulement de réunir tous les éléments du puzzle et pour cela il est très important d'avoir des organisations fortes et capables comme DA et LO pour représenter les employeurs aussi bien que les travailleurs", conclut Jean-François Retournard, Directeur du Bureau des activités pour les employeurs du BIT.


Note 1 - Une main-d'œuvre stable est-elle bonne pour la compétitivité? par Peter Auer, Janine Berg et Ibrahim Coulibaly, Revue internationale du Travail, vol. 144/3, BIT, Genève 2005.