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Les outils numériques: une opportunité pour le secteur informel en Afrique

Les technologies numériques ne sont pas réservées aux économies développées. Elles peuvent aussi être utiles dans l’économie informelle, notamment en Afrique.

Editorial | 30 août 2018
Guillaume Delautre, département de la Recherche de l’OIT et Yacouba Diallo, OIT Dakar
Trop souvent, le débat sur les technologies numériques se focalise sur les pays développés et le secteur formel. Cependant, ces mêmes technologies peuvent aussi venir en appui des activités entrepreneuriales informelles, en particulier dans les villes d’Afrique de l’Ouest.

Un bon exemple en a été fourni lors d’un séminaire de recherche organisé récemment par l’OIT à Dakar en collaboration avec Orange Lab, à propos de la Coopérative Artisanale des Tanneuses de Guédiawaye.

Cette coopérative de 86 femmes tanneuses en banlieue de Dakar, fondée en février 2016, a connu un développement rapide en partie à travers l’utilisation des nouvelles technologies. Ainsi, l’usage du mobile a permis d’améliorer l’accès au marché et à mieux négocier avec les fournisseurs. Les applications de portefeuille mobile («mobile money») ont aussi amélioré l’inclusion financière de ces femmes et leur ont donné accès pour la première fois à une solution d’épargne de court terme.

Des profils d’entreprises très variés

Au-delà de cet exemple, les chercheurs du laboratoire «Les Afriques dans le Monde» (LAM, Sciences-Po Bordeaux) ont présenté une étude ambitieuse basée sur une enquête de terrain menée dans la région de Dakar entre 2016 et 2017 à partir d’une enquête quantitative originale menée sur un échantillon représentatif d’environ 500 entreprises du secteur informel. Ces données quantitatives ont été complétées par des données qualitatives issues d’entretiens semi-directifs individuels auprès de 50 entreprises.

L’étude du LAM met en évidence la relation entre l’usage des technologies numériques et la performance économique des entreprises informelles. Elle identifie ainsi quatre groupes différents d’entreprises. On retrouve aux deux pôles, d’un côté les petites entreprises de l’informel de survie, constituées majoritairement de petits établissements peu performants dans la vente ou l’alimentation et n’utilisant quasiment pas les outils numériques et de l’autre, des entreprises beaucoup plus grandes et performantes, portées par des entrepreneurs expérimentés et beaucoup plus «connectées» et qui, bien qu’informelles, ont un accès aux banques et aux crédits.

Alain Jocard / AFP
Entre ces deux groupes, on retrouve deux segments intermédiaires en termes de performance: les «gazelles inexpérimentées» portées par des entrepreneurs plutôt jeunes, éduqués et connectés (en particulier au travers des réseaux sociaux) et souvent dans le commerce, et les «gazelles matures» dirigées par des entrepreneurs plus âgés, souvent dans des activités de services, et ayant recours aux technologies de l’information et de la communication pour leur besoin de coordination avec les autres entreprises.

Des outils émancipateurs

Une première session de la table-ronde réunissant la Sonatel (filiale locale d’Orange) et plusieurs start-ups locales comme Weebi et Yuxdakar a mis en évidence la nécessité d’adapter les outils numériques aux besoins très spécifiques des entreprises informelles, de les sensibiliser et de les accompagner dans leur utilisation. Lors d’une seconde session, des acteurs locaux ont souligné le pouvoir émancipateur de ces outils pour les travailleurs informels, comme dans le cas de la coopérative de Guédiawaye.

D’après le ministère du Travail sénégalais, les technologies numériques pourraient également être à l’origine de progrès futurs dans le recouvrement des cotisations sociales et l’accès à la protection sociale au travers d’un régime simplifié destiné aux petits contributeurs.

Par l’adoption d’une nouvelle recommandation en 2015, l’OIT a clairement fait de la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle une de ses priorités d’action. Cette nouvelle norme visait à la fois à faciliter la transition vers l’économie formelle, à promouvoir la création d’emplois décents et à prévenir l’informalisation. A cette occasion, notre organisation avait d’ailleurs reconnu l’importance des technologies pour remplir cet objectif, en soulignant leur intérêt, par exemple, pour faciliter l’enregistrement et l’accès aux services.