L’avenir du travail dans le secteur automobile

Que réserve l’avenir du travail à l’industrie automobile?

L’industrie automobile est un secteur de première importance pour l’OIT, en raison non seulement de son poids économique mais aussi de son histoire.

Editorial | 29 août 2017
Par Guillaume Delautre, chargé de recherche, et Salonie Hiriyur, chargée de recherche adjointe

© Monty Rakusen / Cultura Creative
L’industrie automobile est un secteur de première importance pour l’OIT, en raison non seulement de son poids économique mais aussi de son histoire. Depuis l’époque d’Henry Ford, l’évolution de l’industrie en termes d’organisation du travail, de modes de production et de technologie a souvent été une source d’inspiration pour les autres secteurs économiques.

Depuis de nombreuses années, le dialogue social joue aussi un rôle fondamental dans sa régulation du niveau local au niveau mondial. Dans la plupart des pays, le taux de syndicalisation est plus élevé dans l’industrie automobile que dans le reste de l’économie.

Toutefois, le secteur connaît actuellement de profonds changements. Montée des économies émergentes, essor de nouveaux modes de mobilité (tels que l’autopartage ou le covoiturage), «numérisation» croissante de la production et nécessité de fabriquer des voitures propres: ces transformations auront sans aucun doute un impact sur la qualité et la quantité des emplois à l’avenir.

Dans cette optique, et avec l’appui du gouvernement français, le Département de la recherche de l’OIT a entamé un partenariat pluriannuel avec le réseau de recherche GERPISA afin de mieux comprendre ce que l’avenir du travail réserve à l’industrie automobile.

Une nouvelle analyse de ces changements figure dans un nouveau rapport de l’OIT, préparé conjointement avec le GERPISA.

L’évolution des structures de production aux niveaux régional et mondial

Le rapport constate des tendances fortement contrastées dans les différentes zones géographiques couvertes qui diffèrent selon plusieurs facteurs:
  • Modèles régionaux de développement (modèles de croissance tirée par le marché intérieur ou par les exportations)
  • Contextes institutionnels et politiques (intégration dans une zone de libre-échange, rôle des pouvoirs publics dans le soutien à la demande, etc.)
  • Choix stratégiques opérés par les entreprises (positionnement produit, délocalisation et sous-traitance).
Le rapport couvre quatre régions: Europe occidentale et centrale, Amérique du Nord y compris le Mexique, Chine et Inde. Pour chacune d’elles, l’auteur du rapport, Tommaso Pardi, a élaboré plusieurs scenarios d’évolution et identifié les leviers d’action pour promouvoir le travail décent dans le secteur.

En Chine, par exemple, le secteur a été principalement soutenu par la demande de voitures de luxe parmi les élites urbaines et contrôlé par les constructeurs multinationaux étrangers.

Ces sociétés ont mise en place un système de production à haute intensité capitalistique, sophistiqué, dont les coûts élevés devaient être amortis par un usage flexible de la main-d’œuvre et un fort degré de sous-traitance.

Le résultat a été une hiérarchie polarisée entre des salariés urbains au sommet (qui bénéficient de bonnes conditions de travail) et des travailleurs migrants précaires à l’autre extrémité (qui n’en bénéficient pas).

Le rééquilibrage actuel du modèle de croissance chinois, combiné à une montée en gamme des fabricants nationaux et à des politiques publiques volontaristes pour le développement des voitures électriques, pourrait avoir des effets importants sur l’emploi au cours des prochaines années.

L’Inde a opté pour une autre voie. Plutôt que de cibler les élites urbaines, ici, les ventes de voiture se sont adressées aux classes moyennes. Depuis le début des années 1980, l’alliance Maruti-Suzuki par exemple garantit la production de voitures à moins de 5 000 dollars.

Depuis de nombreuses années, la production automobile se caractérise par un haut niveau d’intégration verticale, une gestion paternaliste de la main-d’œuvre et des salaires élevés.

Néanmoins, depuis le début des années 2000, un tournant s’est opéré vers des politiques plus libérales avec des conséquences négatives au plan social. Un afflux d’investisseurs étrangers a intensifié la concurrence, exerçant une pression sur les salaires et favorisant l’informalisation de l’emploi.

Cela a contribué, entre autres facteurs, à une nette montée du mécontentement social. Tout récemment cependant, se sont formées des alliances organisées et institutionnalisées entre travailleurs permanents et travailleurs temporaires qui, compte tenu de la forte présence des syndicats dans le secteur automobile, pourraient se traduire par un rééquilibrage des relations professionnelles à l’avenir.

En Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis, les processus de restructuration sont, dans une large mesure, la conséquence des délocalisations de la production en Europe de l’Est et au Mexique.

Elles ont abouti à un ajustement à la baisse des emplois et des conditions de travail: les salaires ont stagné, la pression pour une flexibilité du travail s’est accrue et la main-d’œuvre s’est encore fragmentée.

Dans ces pays, la nécessité d’une transition écologique pourrait créer une conjoncture propice au changement de la dynamique actuelle.

Pourrions-nous imaginer, par exemple, un «New deal» durable, basé sur la vente de véhicules populaires propres, sur de nouveaux usages de l’automobile – comme l’autopartage et le covoiturage – et sur la promotion d’emplois décents?

Modèle global contre modèle multidomestique: deux voies différentes

Le rapport s’intéresse aussi à la façon dont les constructeurs restructurent leurs filiales de production, leurs centres de recherche et développement, pour répondre à la demande des marchés émergents. L’auteur établit une distinction entre deux stratégies idéal-typiques, le «modèle global» et le «modèle multidomestique».

Le premier modèle se caractérise par une ingénierie centralisée, une diffusion par ruissellement de l’innovation, du centre vers les périphéries, et le respect des mêmes normes industrielles dans tous les sites du monde, afin d’optimiser les coûts.

Il est dominant depuis de nombreuses années en termes de ventes et d’emplois et peut être associé à des constructeurs automobiles comme Volkswagen et Toyota.

Selon M. Pardi, ce modèle montre néanmoins des signes d’essoufflement. Il ne s’adapte pas facilement aux besoins du marché local, ses coûts sont élevés et il exerce une pression problématique au plan social pour une plus forte flexibilité du travail et une segmentation de la main-d’œuvre.

Le second modèle apparaît tout juste et s’illustre par de nouvelles pratiques développées, souvent à la marge, par des constructeurs comme General Motors (Daewoo), Renault (Dacia et Kwid) ou Suzuki (Maruti-Suzuki).

Dans leur cas, les voitures sont conçues et élaborées spécifiquement pour les besoins d’une vaste classe moyenne qui veut accéder à la mobilité à un coût raisonnable.

Les solutions technologiques sont élaborées localement et impliquent souvent des fournisseurs du pays.

Cela pourrait avoir d’importantes répercussions positives sur l’essor de compétences locales en matière de R&D et de production. L’un des principaux enjeux pour l’avenir du travail dans l’industrie automobile est de savoir si ce modèle multidomestique, encore fragile et ambigu au sein des entreprises concernées, va s’étendre au cours des prochaines années.