Questions/Réponses

La Conférence internationale du Travail va discuter des migrations de main-d’œuvre et du recrutement équitable

OIT Infos s’est entretenu avec Ryszard Cholewinski, spécialiste des politiques migratoires de l’OIT, au sujet des tendances actuelles et de l’importance d’aborder les enjeux de gouvernance dans un contexte de migration de main-d’œuvre en pleine évolution.

Editorial | 2 juin 2017
© Bernard Spragg. NZ
Dans le monde globalisé d’aujourd’hui, la migration de main-d’œuvre est une priorité politique croissante. Les difficultés économiques et les crises géopolitiques entraînent des déficits de travail décent et se traduisent par des mouvements migratoires divers et croissants. En outre, cette complexité grandissante des migrations de main-d’œuvre génère plusieurs problèmes de gouvernance. C'est pour cette raison que la Conférence internationale du Travail (CIT) de cette année, du 5 au 16 juin, aura une discussion générale sur la gouvernance des migrations de main-d’œuvre et le recrutement équitable. Cette discussion devrait apporter une contribution majeure aux débats mondiaux sur la migration.


OIT Infos:
Le débat politique actuel sur les migrations est souvent fondé sur une conception erronée des liens entre migration, emploi et développement. De quelle manière la migration de main-d’œuvre bénéficie-t-elle aux travailleurs migrants et à leurs familles, ainsi qu’aux pays d’origine et de destination?

La migration de main-d’œuvre a des effets bénéfiques pour les travailleurs migrants et leurs familles, en particulier ceux des pays les plus pauvres, grâce à une augmentation considérable de leurs revenus et à la possibilité d’envoyer des fonds au pays. De plus, les envois de fonds des migrants, qui atteignaient 429 milliards de dollars dans les pays en développement en 2016, peuvent servir à financer l’éducation et les soins de santé qui font défaut dans le pays d’origine. Mais les migrants contribuent aussi au développement durable de leur pays d’origine d’une autre manière, par leurs investissements financiers et par le capital social et humain acquis à l’étranger, avec un nouveau bagage de compétences, d’idées et savoir-faire. Ils apportent aussi une contribution positive aux pays de destination en comblant les pénuries du marché du travail à tous les niveaux de qualification dans des professions et des secteurs clés, en payant des impôts et en versant de cotisations sociales aux régimes de retraite sous pression des sociétés développées vieillissantes.

OIT Infos: L’importance de la bonne gouvernance des migrations pour le développement durable est reconnue dans le Programme pour 2030 et le Pacte mondial des Nations Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui doit être adopté en 2018. Pouvez-vous présenter quelques-unes des tendances actuelles concernant la migration de main-d’œuvre et les défis de gouvernance qu’elle représente, en particulier pour les travailleurs temporaires?

L’OIT estime que les travailleurs migrants représentent près de 73 pour cent des 206,6 millions de la population immigrée en âge de travailler (15 ans et plus) et la féminisation grandissante des migrations de main-d’œuvre est visible dans le fait que près de 44 pour cent de l’ensemble des migrants sont des femmes. Parmi les travailleurs domestiques migrants, la proportion de femmes dépasse 73 pour cent.

L’augmentation des migrations est une tendance nette au sein et entre les régions de l’hémisphère Sud. Aujourd’hui, la majorité des travailleurs migrants (51,5 pour cent) vit dans les pays du Sud. Dans certains grands couloirs migratoires – de l’Asie vers les Etats arabes et entre les membres de l’ASEAN – le nombre des migrants, dont beaucoup sont des travailleurs – a triplé depuis 1990. Ces chiffres montrent que la migration liée au travail est actuellement au centre de l’essentiel des migrations internationales. Cette réalité doit donc être pleinement prise en compte dans les engagements que les Etats membres des Nations Unies s’apprêtent à prendre avec le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui doit être adopté par une conférence intergouvernementale en 2018.

Si l’émigration apporte de nombreux avantages aux travailleurs migrants et à leurs familles, les travailleurs migrants temporaires, dont beaucoup sont employés dans des secteurs peu qualifiés et mal rémunérés comme l’agriculture, le travail domestique, la construction et l’industrie, sont les plus exposés aux déficits de travail décent, en termes de pratiques de recrutement abusives et frauduleuses, de violation de leurs droits au travail, de désavantage salarial par rapport aux travailleurs nationaux, d’inadéquation de leurs compétences et de manque de protection sociale.

OIT Infos: La mauvaise gouvernance des migrations de main-d’œuvre entre les pays, sur les axes migratoires et au sein des régions, a tendance à accroître les coûts économiques et sociaux pour les travailleurs et les entreprises. Quelles politiques pourraient être initiées pour protéger les travailleurs migrants et pour réduire les coûts de la migration des travailleurs?

La question des coûts associés à la migration temporaire de main-d’œuvre peu qualifiée, tant pour les travailleurs que pour les entreprises, peut être traitée en renforçant le rôle des institutions du marché du travail et des politiques actives du marché du travail, en vue d’assurer que l’on prête davantage d’attention à la situation des travailleurs migrants. Par exemple, cela peut se faire en fournissant des informations fiables et précises dans le pays d’origine, avant leur départ, et à l’arrivée dans le pays de destination, grâce à des inspections du travail ciblées dans les secteurs où les travailleurs migrants ont tendance à être surreprésentés, grâce à l’assistance des services publics d’emploi pour mieux intégrer les travailleurs migrants sur le marché du travail, en renforçant la possibilité de changer d’employeur dans le pays d’accueil, et grâce à un meilleur accès aux mécanismes de plainte et à des recours efficaces en cas de violation des droits des travailleurs. Traiter cette question des coûts apporte des avantages considérables aux entreprises en leur permettant de lutter à armes égales avec la concurrence et d’accroître leur productivité. Il faut aussi harmoniser les politiques nationales d’emploi avec les politiques migratoires et veiller à ce que les ministères du travail jouent un rôle déterminant dans leur conception, leur mise en œuvre et leur suivi, en étroite collaboration avec les partenaires sociaux.

OIT Infos: Quelle est l’importance de l’action de l’Initiative de l’OIT pour un recrutement équitable et des Principes généraux et directives opérationnelles de l’OIT concernant le recrutement équitable à cet égard?

Les coûts de recrutement élevés, en termes de commissions et autres frais payés par les travailleurs, sont particulièrement préoccupants sur certaines routes migratoires. Les enquêtes menées par l’OIT et la Banque mondiale auprès des travailleurs migrants à destination ou de retour chez eux, montrent que ces commissions et frais annexes peuvent équivaloir à près d’un an du salaire attendu par le travailleur. Les normes de l’OIT interdisent, sauf exception, de facturer des commissions ou frais aux travailleurs, et ce principe est réaffirmé dans les Principes généraux et directives opérationnelles de l’OIT concernant le recrutement équitable, adoptés lors d’une réunion d’experts tripartite en septembre 2016 et approuvés par le Conseil d’administration en novembre 2016. Ces principes et directives, qui se fondent sur les droits de l’homme et les normes du travail internationalement reconnus, s’appliquent aux recrutements effectués aux niveaux national et transfrontalier et à tous les acteurs (gouvernements, employeurs et intermédiaires) du processus de recrutement. L’OIT s’emploie actuellement à concrétiser ces principes et directives, notamment par la mise en œuvre d’activités de coopération au développement sur certains axes migratoires (ex. Népal-Tunisie dans le cadre du Programme intégré sur le recrutement équitable – FAIR).

Cela constitue une part importante de l’Initiative multipartite pour un recrutement équitable de l’OIT, qui rassemble gouvernements, partenaires sociaux, institutions internationales et ONG et qui place le dialogue social au cœur de ses activités. Cette Initiative vise à prévenir la traite des personnes et le travail forcé, à protéger les travailleurs, notamment les travailleurs migrants, de pratiques de recrutement abusives et frauduleuses, et à réduire les coûts de la migration de main-d’œuvre, en enrichissant les connaissances mondiales, en améliorant les approches réglementaires, en encourageant les pratiques commerciales équitables et en donnant plus de moyens d’action et de protection aux travailleurs.

OIT Infos: Comment peut-on renforcer le dialogue social sur les migrations de main-d’œuvre aux différents échelons de gouvernance de la migration?

La participation effective des principaux acteurs de l’économie réelle à tous les niveaux (local, national, régional et interrégional) de la gouvernance des migrations de main-d’œuvre est essentielle pour assurer une migration transfrontalière équitable. Le dialogue social sur les migrations de main-d’œuvre peut être renforcé grâce une étroite coopération des partenaires sociaux dans le développement, la mise en œuvre et le suivi des politiques nationales relatives à la migration de main-d’œuvre. Les accords bilatéraux entre pays d’origine et de destination doivent aussi impliquer les partenaires sociaux dès leur conception et pendant leur mise en œuvre. Nous disposons à cet égard de bonnes pratiques, par exemple l’accord Allemagne-Philippines sur les travailleurs du secteur de la santé, qui associe les syndicats des deux pays dans un comité conjoint créé dans le cadre de l’accord pour contrôler et évaluer son application. Les syndicats des pays d’origine et de destination coopèrent aussi de plus en plus à travers les frontières pour mieux protéger les travailleurs migrants. Au niveau régional, nous avons plusieurs bons exemples de structures tripartites au sein des communautés économiques régionales, comme le Forum de l’ASEAN sur les travailleurs migrants, une plateforme ouverte aux gouvernements, aux employeurs et aux travailleurs et à la société civile pour débattre des problèmes touchant les travailleuses et les travailleurs migrants dans l’ASEAN.