Régulation du marché du travail

Faire des emplois atypiques des emplois décents

Aujourd’hui, le marché du travail est très diversifié: de nombreux travailleurs sont employés à temps partiel, à la demande, en intérim ou par des employeurs multiples, dans le cadre d’une relation de travail déguisée ou d’un travail économiquement dépendant. L’OIT regroupe ces modalités de travail sous la dénomination de «formes atypiques d’emploi» (FAE).

Editorial | 18 novembre 2016
© Alex Ogle / AFP
Les formes atypiques d’emploi (FAE) offrent de la flexibilité aux employeurs et peuvent aussi permettre aux travailleurs d’entrer sur le marché du travail, d’accéder à de nouvelles opportunités et de concilier travail et vie personnelle. Mais les formes atypiques d’emploi s’accompagnent souvent d’une insécurité accrue pour les travailleurs. Pour certains, cela peut ouvrir une période d’alternance entre emplois à court terme et chômage, aggravant l’inquiétude quant à la date du prochain emploi, de la prochaine paie. Les travailleurs atypiques sont moins bien protégés par la sécurité sociale et encourent davantage de risques en termes de santé et de sécurité au travail. Ils sont aussi moins enclins à rejoindre un syndicat.

Mais ce n’est pas une fatalité – les emplois atypiques peuvent être des emplois «décents». Améliorer la qualité des emplois atypiques nécessite d’adopter des politiques adéquates.

Dans notre rapport Non-standard employment: Understanding challenges, shaping prospects (L’emploi atypique dans le monde: identifier les défis, ouvrir des perspectives), nous documentons les tendances et les conséquences de l’essor des emplois atypiques à travers le monde et proposons quatre recommandations stratégiques pour transformer ces activités en emplois décents.

La première recommandation est de combler les vides juridiques. Par exemple, avec des politiques qui garantissent un traitement égal entre tous les travailleurs quel que soit leur arrangement contractuel; des politiques qui établissent un minimum d’heures garanti pour le travail sur appel et qui prévoient de consulter les travailleurs sur leurs horaires de travail; une législation mise en vigueur pour remédier à la classification erronée des emplois; ainsi qu’une restriction de l’usage des FAE pour éviter les pratiques abusives, par exemple en n’autorisant pas les travailleurs d’agences temporaires à remplacer les travailleurs en grève. Pour les travailleurs employés dans le cadre d’une relation d’emploi avec de multiples parties, il est nécessaire que les employeurs ayant recours à des travailleurs intérimaires ou «détachés» soient comptables de la sécurité et de la santé au travail et responsables du versement des salaires et des prestations de sécurité sociale en cas d’insolvabilité de l’entreprise utilisatrice.

La deuxième stratégie concerne un autre outil de régulation: la négociation collective. La négociation collective peut prendre en compte la conjoncture particulière d’un secteur ou d’une entreprise; elle est donc particulièrement bien placée pour répondre aux besoins des employeurs comme des travailleurs. La négociation collective devrait être renforcée en dotant les syndicats des capacités nécessaires pour représenter les travailleurs atypiques et en garantissant que tous les travailleurs jouissent de leurs droits en matière de liberté syndicale et de négociation collective. Là où elles existent, l’extension des conventions collectives à tous les travailleurs d’un secteur ou d’une catégorie professionnelle est un outil utile pour réduire l’insécurité et améliorer les conditions de travail dans les emplois atypiques.

La troisième recommandation stratégique est d’améliorer la couverture de protection sociale. Nous proposons donc une double approche consistant à: (1) adapter les systèmes de sécurité sociale pour améliorer la couverture des travailleurs occupant des emplois atypiques, en abaissant les seuils sur la durée du travail, les gains ou la durée d’engagement minimaux, en assouplissant les régimes en ce qui concerne les cotisations ouvrant droit aux prestations, en autorisant les interruptions de cotisations et la transférabilité des prestations et (2) en complétant la sécurité sociale par des politiques universelles garantissant un niveau minimum de protection sociale.

Enfin, nous avons besoin de vastes politiques sociales et d’emploi qui soutiennent le marché du travail: politiques favorisant la création d’emplois, fourniture de services publics de soins, possibilité offerte aux travailleurs de prendre des congés pour prendre soin de leurs enfants ou de personnes âgées, ainsi que pour participer à la formation et à l’apprentissage tout au long de la vie. Ces politiques contribuent à pallier les lacunes de la conception actuelle des emplois traditionnels et offrent ainsi aux travailleurs ayant des responsabilités familiales le choix de s’engager dans un emploi typique ou atypique.

Les emplois atypiques peuvent offrir davantage de solutions aux employeurs pour organiser le travail. Mais quand il existe des disparités entre les droits qui s’accumulent pour un type de contrat par rapport à un autre, cela peut inciter les employeurs à recourir à ces modalités afin de réduire les coûts du travail, plutôt que pour répondre légitimement à des exigences de production spécifiques. Il est donc nécessaire de mettre en œuvre des mesures qui réduisent les différences entre emplois «typiques» et «atypiques», afin que les besoins de flexibilité des employeurs ne soient pas satisfaits au détriment du bien-être des travailleurs ni d’une saine concurrence.

Se contenter de fournir un revenu universel de base – comme l’ont suggéré certains commentateurs face à la précarisation ou «l’ubérisation» du travail – ne suffit pas à prendre en compte les nombreuses dimensions du travail qui affectent notre vie quotidienne. Le marché du travail doit être règlementé pour garantir des lieux de travail sains et sûrs, pour fixer des limites à la durée du travail, pour assurer au moins le salaire minimum et une rémunération égale pour un travail de valeur égale, et pour protéger contre la discrimination, entre autres.

Dans les années à venir, il est clair que les nouvelles technologies vont continuer de transformer les lieux de travail, créant des emplois que personne n’aurait imaginés quelques décennies plus tôt, et supprimant ceux qui existent aujourd’hui. Mais notre dépendance à l’égard du travail pour notre subsistance et son impact sur notre bien-être général ne changeront pas.

Alors, pour envisager l’avenir, nous devons œuvrer pour que toutes les formes de travail soient décentes, parce qu’aucun type de contrat n’échappe aux transformations en cours.

Par Janine Berg, économiste principale à l’OIT