Tribune du Directeur général de l'OIT

Pour une nouvelle approche de la migration de main-d'oeuvre

Alors que se tient le Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement, le Directeur de l'OIT Guy Ryder se penche sur la question des migrations de main-d’œuvre et comment les gérer à l'échelle mondiale pour le bénéfice de tous.

Editorial | 2 octobre 2013
Le Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement, qui se tient cette semaine à New York, est une excellente occasion d’aborder un enjeu prioritaire: comment gérer les migrations de main-d’œuvre à l’échelle mondiale et s’assurer qu’elles auront un impact positif dans les pays d’origine comme dans les pays de destination.

Le nombre de migrants dans le monde est estimé à 232 millions et ce chiffre est en hausse. Ce phénomène est imputable à plusieurs raisons: évolution des tendances démographiques, aggravation des inégalités économiques, hausse de l’instabilité politique et crises environnementales imprévues.

La plupart des migrants ne quittent pas leur pays par choix mais par nécessité. C’est généralement le manque d’emplois décents ou de moyens de subsistance qui pousse les gens à s’expatrier. Malheureusement, ce voyage s’effectue bien trop souvent dans des conditions difficiles et périlleuses. Et quand ils arrivent à destination, ou même lorsqu’ils rentrent chez eux, ils sont en proie à la discrimination.

Les femmes et les jeunes travailleurs, tout comme les moins qualifiés et ceux qui sont en situation irrégulière sont particulièrement vulnérables à l’exploitation. Il n’est pas rare que les travailleurs migrants se voient privés de leurs droits fondamentaux au travail, tels que la liberté syndicale, la négociation collective, la non-discrimination et le salaire minimum. Dans les pires cas, ils peuvent être victimes du travail forcé et de la traite d’êtres humains.

Pourtant, les travailleurs migrants jouent un rôle clé dans l’économie. Ils achètent des biens et des services, paient des impôts et montent de petites entreprises qui créent des emplois. Ils envoient aussi de l’argent chez eux – plus de 400 milliards de dollars rapatriés en 2012 vers les économies en développement – qui bénéficie à leur famille et à leur communauté.

Vu la conjoncture économique mondiale et les perspectives d’avenir – avec un chômage mondial qui devrait passer de 202 millions aujourd’hui à plus de 208 millions d’ici à 2015 – les flux migratoires devraient augmenter et devenir plus complexes.

Cela constitue un défi de taille pour la communauté internationale mais cela nous offre aussi une excellente occasion d’intensifier nos efforts et de modifier notre approche des migrations.

Nous discutons actuellement de l’agenda mondial du développement qui sera mis en place une fois passée l’échéance de 2015 pour la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Les migrations doivent être au centre de ce débat. Nous ne pouvons pas abandonner les migrants au terrible sort que subissent beaucoup d’entre eux, personne n’a rien à y gagner.

Ce dont nous avons besoin, c’est rien moins qu’une action mondiale pour protéger les droits et les intérêts des travailleurs migrants. Nous n’avons pas à partir de zéro. En 2006, l’OIT a adopté un cadre multilatéral qui pose un ensemble de principes et de lignes directrices non contraignants pour une approche des migrations de main-d’œuvre fondée sur les droits. Il comprend aussi des exemples de bonnes pratiques que différents pays ont appliquées. Ce cadre est un bon point de départ pour une discussion plus vaste.

Nous devons dépasser les débats sur les chiffres, les flux et les rapatriements de devises pour aller vers des mesures concrètes – les normes internationales du travail en formant le cœur – qui amélioreront la gouvernance des migrations de main-d’œuvre. Pour ce faire, nous devons impliquer les ministères du Travail, ainsi que les organisations d’employeurs et de travailleurs – les acteurs fondamentaux de l’économie réelle.

Il y a encore trop peu d’investissement au niveau régional et national pour protéger les droits des travailleurs migrants, en particulier dans certains secteurs économiques (à savoir l’agriculture, le travail domestique, la construction) où les risques sont les plus grands en matière de procédures de recrutement, conditions de travail, salaires et sécurité sociale.

Nous devons reconnaître les qualifications des migrants et nous efforcer de mieux faire coïncider leurs compétences et les emplois qu’ils occupent. Cela évitera de gâcher des talents et de laisser des offres d’emploi vacantes. Nous devons également davantage sensibiliser aux contributions positives que les migrants apportent à leurs pays de destination.

Si de bonnes politiques sont adoptées pour gérer les migrations de main-d’œuvre, nous progresserons vers un avenir plus équitable. Ces politiques consistent à: réduire les discriminations; aider les travailleurs migrants à utiliser leurs économies pour créer des entreprises et des emplois de retour au pays; faciliter leur accès aux principales institutions du marché du travail, y compris le salaire minimum; et introduire des dispositifs qui leur permettent de régulariser leur statut.

Quant à ces politiques, nous devons aussi savoir ce qui fonctionne et dans quelles circonstances. Les résultats peuvent aider les gouvernements à améliorer leur compréhension du marché du travail et à réorienter leurs politiques d’emploi et de migration afin que tous les travailleurs en bénéficient, pas seulement les migrants.

La réunion de cette semaine à New York est le moment idéal pour commencer à parler de tout cela. Alors, au travail!