Le BIT et le ramassage manuel des déchets en Inde: Le long chemin vers l’élimination de la discrimination fondée sur l’origine sociale

Pour des millions de personnes, l’Inde contemporaine est devenue une terre d’opportunités, la plus grande démocratie du monde ayant connu l’une des croissances économiques les plus remarquables des dix dernières années. Pourtant, à mesure que l’Inde accélère sa course au développement, de nombreuses personnes sont marginalisées en raison de la discrimination à l’embauche, traditionnellement fondée sur les castes. Reportage de BIT en ligne depuis le Rajasthan, en Inde.

Article | 18 juillet 2011

NEW DELHI, Inde (BIT en ligne) – Née Dalit dans l’Etat coloré du Rajasthan, issue de la plus basse des castes de la hiérarchie hindoue, Anita ne pouvait guère échapper au travail exercé par ses parents, celui que sa communauté attendait d’elle – la récupération manuelle des déchets.

Ce métier consiste à enlever à la main les excrétions humaines sur la voie publique, dans les fosses sceptiques ou dans les caniveaux fermés et les égouts. Il se caractérise par des conditions de travail extrêmement dangereuses pour la santé et la sécurité qui ne font qu’alimenter la pratique de l’intouchabilité et la marginalisation des Dalits.

Dans ce contexte, Anita a commencé à travailler pour différents ménages, nettoyant leurs toilettes sèches. Elle était généralement dédommagée de ses efforts avec un simple rôti et un morceau de pain plat indien. Même après son mariage, elle fut obligée de continuer à exercer ce travail parce que son mari, devenu très dépendant à l’alcool, était incapable de travailler.

Dans l’Inde contemporaine, avec son taux de croissance impressionnant et les investissements et les possibilités d’emploi qui l’accompagnent, certains pourraient s’étonner que des métiers dégradants comme le ramassage manuel des déchets perdurent.

Le récent rapport du Bureau international du Travail (BIT) sur les discriminations, L’égalité au travail: un objectif qui reste à atteindre, Rapport global en vertu du suivi de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, explique en grande partie cette tendance par la perpétuation, en Asie du Sud, de la discrimination fondée sur la caste. Les chances pour un candidat qualifié ayant un nom de Dalit d’être convoqué pour un entretien d’embauche est d’environ deux-tiers de celles d’un candidat hindou de caste supérieure. En pratique, cela signifie que de nombreux Dalits doivent dissimuler leur statut avant de postuler pour un emploi.

Une autre explication mise en avant dans le rapport global est la persistance de la discrimination fondée sur des motifs multiples. Des études montrent que les victimes de cette forme complexe de discrimination enregistrent les niveaux de chômage les plus élevés et sont cantonnés aux formes d’emploi les plus précaires et les moins bien rémunérées.

La discrimination fondée à la fois sur le sexe et l’origine sociale continue de piéger des générations successives de femmes Dalit comme Anita dans les métiers traditionnellement assignés par leur caste. Le ramassage manuel des déchets est l’une des professions les plus féminisées. Selon des estimations gouvernementales concernant l’année 2005, 95 pour cent des 700 000 ramasseurs de déchets étaient des femmes.

Un cercle vicieux de pauvreté et d’immobilité sociale

Cette forme de discrimination qui s’accompagne de capacités physiques diminuées, d’un sentiment de vulnérabilité et de désespoir, a déclenché un cercle vicieux de paupérisation, de faible réussite scolaire et d’immobilité sociale pour les collecteurs de déchets et leurs familles.

Confronté à ce problème, le gouvernement indien a adopté un impressionnant arsenal de dispositions législatives et de politiques qui visent à respecter, promouvoir et réaliser le droit fondamental à la non-discrimination. En outre, des organisations spécialisées dans les questions d’égalité se sont mobilisées en faveur de l’élimination des discriminations à l’encontre des ramasseurs manuels de déchets avec une date butoir ambitieuse fixée à fin 2012.

Du côté des travailleurs, le syndicat Safai Karmachi Andolan (SKA) a vigoureusement œuvré pour l’éradication du ramassage manuel des déchets: création de réseaux, conseils politiques, destruction des latrines sèches, réinsertion des ramasseurs «libérés», campagnes dénonçant les violences à l’encontre des femmes Dalit, et soutien à l’éducation.

Alors que le cadre juridique, politique et institutionnel a beaucoup contribué à l’élimination du ramassage manuel des déchets dans de nombreux Etats, l’impression d’ensemble est plus contrastée. Jusqu’à ce qu’une législation adéquate soit strictement appliquée et que soient véritablement mises en œuvre des politiques favorisant l’égalité des chances pour les Dalit, il est probable que des histoires comme celle d’Anita se perpétueront.

Le projet du BIT pour changer la vie des Dalit

Vu la situation, le BIT collabore avec le gouvernement et les partenaires sociaux d’Inde pour s’attaquer à la discrimination contre les Dalit dans cinq Etats, notamment celui d’Anita, le Rajasthan.

Le principal objectif du projet est de soutenir les efforts du gouvernement pour accroître l’efficacité de la législation et des politiques qui concernent le problème du ramassage manuel des déchets, mais aussi d’associer la communauté des récupérateurs elle-même à ce processus.

Selon Coen Kompier, un spécialiste des normes du travail au Bureau de l’OIT à New Delhi, «la réinsertion des ramasseurs manuels dépend de la confiance établie avec leur communauté mais aussi en brisant pour de bon la stigmatisation dont ils font l’objet par rapport à leur caste. A travers les activités du projet, nous tentons de rendre leur rehabilitation effective, en donnant aux ramasseurs manuels la possibilité de choisir leur profession ou leur activité. Des personnes comme Anita peuvent servir d’exemples pour les Dalit ».

Anita nourrit un rêve pour ses enfants. Elle veut qu’ils aillent à l’école et deviennent médecins «pour pouvoir soigner gratuitement les femmes de la communauté des ramasseurs qui souffrent de maladie». Elle a peut-être déjà franchi la première étape pour faire de son rêve une réalité. Elle a abandonné son travail de collecte de déchets et, bien qu’elle ait dû cacher son statut d’ancienne récupératrice à son employeur, elle a trouvé un autre emploi comme travailleuse domestique.

«Des initiatives comme le projet du BIT sur le ramassage manuel des déchets vont nous aider à progresser sur le long chemin qui mène à l’élimination de la discrimination fondée sur l’origine sociale. Cette forme de discrimination est probablement l’une des plus difficiles à combattre. Même dans des sociétés ouvertes, où la mobilité sociale est fréquente, un certain nombre de phénomènes font encore obstacle à la complète égalité des chances entre diverses catégories sociales», conclut Lisa Wong, chargée de la Déclaration au sein du Programme de promotion de la Déclaration sur les Principes et droits fondamentaux au travail.