Interview

Les organisations d’employeurs face aux effets de la crise

Grâce au Pacte mondial pour l’emploi adopté par les 183 Etats Membres de l’OIT lors de la Conférence internationale du Travail en juin 2009, les gouvernements, les travailleurs et les employeurs du monde entier disposent d’un portefeuille de stratégies de réponse à la crise économique et sociale mondiale. BIT en ligne s’est entretenu avec Jean-François Retournard, Directeur du Bureau des activités pour les employeurs du BIT au sujet d’un nouveau rapport qui montre que les organisations d’employeurs ont joué un rôle essentiel dans les efforts planétaires pour enrayer la crise.

Article | 17 février 2010

BIT en ligne: Quelle est la contribution des organisations d’employeurs pour surmonter la crise économique et sociale mondiale?

Jean-François Retournard: Traditionnellement, les organisations patronales sont des partenaires actifs dans l’élaboration et l’adaptation des politiques nationales relatives au marché du travail. La réponse à la crise économique et financière mondiale ne fait pas exception. Le Bureau des activités pour les employeurs du BIT a publié un rapport (Employers’ Organisations responding to the impact of the crisis) qui décrit les actions entreprises par 29 organisations patronales à travers le monde au regard de cette crise. Loin de nous offrir une image exhaustive, ce rapport nous donne néanmoins un aperçu représentatif de la manière dont les organisations d’employeurs ont réagi face à la crise tout en recherchant les possibilités d’évolution positive à long terme ainsi qu’il en émerge parfois en période de crise. Nous avons estimé qu’il était important de documenter ces expériences, pour encourager de nouvelles actions nationales s’appuyant sur les enseignements tirés de la pratique ainsi que pour éclairer les débats politiques.

Qui plus est, la crise a aussi des répercussions sur les organisations d’employeurs elles-mêmes et sur leurs adhérents (Note 1). La Nouvelle-Zélande constitue un bon exemple: Business NZ a créé une nouvelle catégorie d’adhérents, le Groupe des grandes entreprises. Ce groupe rallie plus de 40 grandes entreprises ou multinationales du pays, issues de tous les secteurs et employant près de la moitié de la main-d’œuvre néo-zélandaise. C’est un lieu de partage d’information sur les réponses efficaces à la crise dans les domaines de la formation et de l’emploi qui permet d’examiner les façons de sortir de la récession.

BIT en ligne: Voyez-vous des traits communs parmi les activités liées à la crise que conduisent les organisations d’employeurs?

Jean-François Retournard: Le dialogue social constitue une base solide sur laquelle s’élabore l’engagement des employeurs et des travailleurs à agir de concert avec les gouvernements pour surmonter la crise et cheminer vers une reprise durable. Le rapport cite un certain nombre d’exemples de recours à l’action collective et son évolution dans un contexte de crise. Au Chili, en mai 2009, la Confederación de la Producción y del Comercio (CPC) a adopté un pacte tripartite pour la protection de la main-d’œuvre avec le gouvernement et les syndicats afin de prévenir les suppressions d’emplois au cours des 12 prochains mois. Les six mesures adoptées dans le cadre du pacte sont censées faire baisser le taux de chômage de 1,5 point de pourcentage, au profit de quelque 125 000 travailleurs. Des accords similaires ont été conclus dans de nombreux autres pays, y compris en Afrique du Sud, où les partenaires sociaux ont adopté un accord cadre qui définit une réponse collective de la part du gouvernement, de la main-d’œuvre syndiquée, du monde des affaires et de la communauté face à la crise.

BIT en ligne: Le Pacte mondial pour l’emploi du BIT préconise-t-il également des mesures pour promouvoir les petites et moyennes entreprises (PME)?

Jean-François Retournard: Laissez-moi vous donner deux exemples tirés du rapport à ce sujet. La Chambre de commerce et d’industrie d’Australie (ACCI) a contribué à mettre au point des incitations fiscales dans le cadre du plan de relance gouvernemental pour encourager de nouveaux investissements dans le secteur privé. Ces incitations ont été massivement (mais pas exclusivement) accordées aux PME et ont considérablement aidé à préserver les investissements dans le secteur privé. En Arménie, l’Union républicaine des employeurs d’Arménie (RUEA) a réussi à faire pression pour améliorer la législation fiscale, allégeant plus d’une vingtaine de procédures de contrôle pour les PME.

BIT en ligne: Qu’en est-il des mesures pour atténuer l’impact social de la crise?

Jean-François Retournard: Un grand nombre de ces mesures sont destinées à maintenir les travailleurs dans leur emploi aussi longtemps que possible et à faciliter un retour plus rapide à l’emploi. A Singapour, un groupe de travail dirigé par la Fédération nationale des employeurs a composé 12 équipes tripartites de stratégies de reprise: elles vont visiter plus de 600 entreprises afin de les sensibiliser à l’ensemble du spectre des mesures disponibles, de leur prodiguer des conseils et de les orienter pour la mise en œuvre de mesures adaptées à leur entreprise/secteur. C’est ainsi que le nombre de travailleurs effectuant des semaines de travail écourtées ou concernés par le chômage partiel est passé de 550 avant la récession à 26 500 au premier trimestre 2009. Sans ces recommandations, un grand nombre de travailleurs auraient pu être victimes des mesures d’économie. En Norvège, des demandes conjointes émanant de la Confédération des entreprises norvégiennes (NHO) et de la Confédération des syndicats norvégiens (LO) ont débouché sur un assouplissement du système de chômage partiel, alors que la Confédération turque des associations d’employeurs (TISK) est à l’origine d’un nouvel accord juridique sur des horaires de travail réduits.

BIT en ligne: La crise est-elle également l’occasion de mettre à profit les périodes de chômage pour former et améliorer les qualifications des travailleurs?

Jean-François Retournard: La Confédération néerlandaise de l’industrie et du patronat (VNO-NCW) a soutenu un plan de réduction du temps de travail. Dans le cadre de ce plan, les employeurs peuvent réduire les horaires de travail jusqu’à 50 pour cent pendant une période où les employés perçoivent une allocation chômage pour les heures non travaillées. Dans un premier temps, le plan s’applique pour une durée maximale de trois mois, avec une possibilité de deux extensions de six mois chacune, et s’accompagne d’accords de formation pour les employés pendant la période chômée. En Afrique du Sud, Business Unity South Africa (BUSA) a participé à la création d’un programme de formation pour sauver des emplois. Dans ce cadre, les travailleurs qui ont été licenciés en raison de la crise sont envoyés en formation pour une période de trois à quatre mois. Pendant leur formation, ils reçoivent un salaire réduit, financé par des fonds communs de la caisse d’assurance chômage et la caisse nationale de formation.

BIT en ligne: Les initiatives en matière de développement des qualifications sont surtout cruciales pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail dans ces temps difficiles, n’est-ce pas?

Jean-François Retournard: Notre rapport cite l’exemple de la Confédération irlandaise des chefs d’entreprise (IBEC) qui a lancé sa propre initiative pour contribuer à apporter une expérience professionnelle aux quelque 16 000 diplômés qui ont quitté l’université en 2009 et qui n’ont pas réussi à trouver un emploi. Le service d’appariement permet aux diplômés d’accéder à des offres de stage dans toute une série de secteurs et divers types d’entreprises au moyen d’un site web dédié. L’IBEC a aussi passé un accord avec le gouvernement pour permettre aux jeunes diplômés qui font des stages de conserver leurs droits sociaux dans le cas où les entreprises sont incapables de leur verser un salaire pendant la durée de leur stage. Dans un pays comme l’Irlande, qui a été particulièrement frappé par la crise, ce type d’initiative peut être utile pour éviter que les jeunes diplômés ne s’expatrient pour chercher du travail ailleurs.


Note 1 - En janvier 2011, le Bureau des activités pour les employeurs du BIT organisera un colloque sur ce thème: «Les organisations nationales représentant les employeurs et le monde des affaires: nouveaux défis dans un monde en mutation».