Migration et développement

Les travailleuses migrantes: saisir sa chance, maintenir ses droits

Près de la moitié des migrants dans le monde sont des femmes. De plus en plus, l’émigration leur offre la chance de trouver un meilleur emploi. Cependant, la plupart continue d’accepter des emplois moins qualifiés en échange d’une rémunération plus élevée et certaines femmes risquent même d’être victimes d’exploitation et d’abus. En partenariat avec l’OIT, avec des agences de l’ONU et des ONG, la Commission nationale sur le rôle des femmes philippines organise la Conférence internationale sur l’égalité hommes-femmes, les migrations et le développement, à Manille les 25 et 26 septembre, pour traiter de cette question. Spécialiste des migrations au BIT, Gloria Moreno-Fontes Chammartin nous parle du lien entre migrations, égalité des sexes et développement .

Article | 24 septembre 2008

BIT en ligne: Comment la migration agit-elle sur le statut des femmes dans le monde du travail?

Gloria Moreno-Fontes: Pour beaucoup, l’expérience migratoire semble avoir un impact dans la modification des rôles de genre et du statut des femmes et améliorer l’égalité entre les sexes. Les femmes qui trouvent du travail à l’étranger accèdent à des ressources financières qui leur permettent d’influer sur l’usage des fonds au sein du foyer. Elles font aussi l’expérience de davantage d’autonomie quant aux décisions familiales.

BIT en ligne: Cela veut-il dire que les femmes migrantes obtiennent des emplois décents, de meilleure qualité?

Gloria Moreno-Fontes: Bien que l’expatriation puisse être synonyme d’émancipation pour de nombreuses femmes, cette indépendance ne peut être considérée comme automatique. Un nombre important d’émigrées connaissent une régression professionnelle, une déqualification et une réorientation du travail salarié vers la sphère domestique. En outre, trop de femmes migrantes sont aujourd’hui encore terriblement exploitées et abusées, victimes de traite, de servage et d’esclavage.

BIT en ligne: Les femmes ont-elles plus de risques d’être victimes de la traite?

Gloria Moreno-Fontes: Les statistiques du BIT indiquent que les femmes et les filles constituent l’écrasante majorité des personnes victimes d’exploitation sexuelle à des fins commerciales (98 pour cent) (Note 1). Dans l’exploitation économique forcée, alors que les femmes et les filles représentent 56 pour cent des victimes, les hommes et les garçons représentent quand même 44 pour cent. Les femmes étant plus nombreuses que les hommes à recourir aux services de possibles trafiquants et à finir dans des situations d’abus et d’exploitation, les experts du domaine ont demandé que les interventions anti-trafic prennent bien en compte la dimension de genre et traitent le trafic d’êtres humains comme une question de développement aux niveaux national et international.

BIT en ligne: Qu’est-ce que l’exploitation au travail?

Gloria Moreno-Fontes: En général, la violence, les abus et l’exploitation au travail dans des secteurs majoritairement masculins sont bien détectés et bien visibles puisque les hommes travaillent le plus souvent en groupes dans le bâtiment et l’agriculture. A l’inverse, la violence, les abus et l’exploitation à l’encontre des travailleuses migrantes sont moins connus parce qu’ils se déroulent sur des marchés du travail plus cachés, tels que la domesticité et le spectacle.

BIT en ligne: Les femmes immigrées jouent-elles également un rôle important en tant que travailleuses domestiques?

Gloria Moreno-Fontes: Les travailleuses migrantes jouent un rôle essentiel sur le marché du travail et apportent une contribution de grande valeur à l’économie et à la société du pays d’accueil. Elles fournissent des ressources humaines pour l’économie marchande – dans des postes que les femmes du pays ne veulent pas occuper, mais qui sont fondamentaux et permettent au pays de maintenir sa compétitivité globale. Elles jouent aussi un rôle clé dans l’économie sociale – en termes de tâches ménagères, de garde de jeunes enfants, de personnes âgées, de malades et de handicapés – libérant les femmes du pays qui accèdent à des statuts plus élevés, des emplois mieux rémunérés dans l’économie nationale.

BIT en ligne: Qu’en est-il des droits des travailleuses migrantes?

Gloria Moreno-Fontes: Les travailleuses migrantes occupent généralement des emplois qui ne sont pas couverts, ou insuffisamment, par le droit du travail ou par d’autres réglementations en matière de sécurité sociale et d’aide sociale – c’est davantage le cas que pour les postes occupés par leurs homologues masculins. Le travail domestique en est une excellente illustration. La majorité des législations nationales du travail font référence aux travailleurs domestiques, soit pour les exclure complètement de leur champ d’application, soit pour leur attribuer des niveaux de protection moindres en les privant de droits qui sont accordés à d’autres catégories de travailleurs.

BIT en ligne: La part des femmes qualifiées parmi les migrantes augmente-t-elle?

Gloria Moreno-Fontes: Des rapports récents indiquent que la proportion de femmes qualifiées qui émigrent de la plupart des pays du tiers monde vers presque tous les pays d’accueil industrialisés a augmenté entre 1990 et 2000 avec des taux de croissance toujours plus élevés pour elles que pour les migrantes sans qualifications ou que pour les hommes qualifiés. En effet, le taux d’émigration vers les pays industrialisés des femmes hautement qualifiées (ayant une éducation supérieure) dépasse souvent celui de leurs homologues masculins. Un problème préoccupant est le fait que la plupart de ces migrantes qualifiées, voire hautement qualifiées, partent pour trouver un emploi mieux payé à l’étranger mais terminent dans des professions pour lesquelles elles sont surqualifiées.

BIT en ligne: Que peut-on faire aux niveaux national et international pour améliorer la situation des travailleuses migrantes?

Gloria Moreno-Fontes: Un point de départ très intéressant est que les décideurs politiques reconnaissent l’importance d’intégrer les questions de migrations de travail dans leurs politiques nationales en matière d’emploi, d’égalité hommes-femmes, de marché du travail et de développement. Cette prise en compte est cruciale pour accroître les possibilités d’emploi et réduire les risques au bénéfice tant des pays d’origine que des pays d’accueil, des femmes et des hommes migrants eux-mêmes.

Cela implique d’agir dans les pays d’origine sur des politiques et des mesures telles que: faciliter les migrations organisées, mais en continuant d’assurer la protection des travailleurs migrants à l’étranger, ainsi que l’égalité des chances et de traitement; signer et appliquer des accords bilatéraux de reconnaissance des diplômes; signer et mettre en œuvre des accords de sécurité sociale intégrant la dimension de genre pour garantir une protection sociale des expatriés, hommes et femmes; et finalement encadrer le recrutement pour promouvoir et mettre en vigueur des pratiques de recrutement éthiques.

Dans le même temps, veiller à ce que les politiques et les mesures relatives aux migrations dans les pays d’accueil répondent bien à la problématique de genre peut assurer une plus grande égalité entre hommes et femmes et favoriser le développement.

Pour davantage d’informations, veuillez consulter: Migration, Gender Equality and Development (Migration, égalité hommes-femmes et développement), par Gloria Moreno-Fontes Chammartin, Bureau international du Travail, 2008.

Pour plus d’informations sur la Conférence et le rôle de l’OIT, merci de contacter Minette Rimando au +632/580-9905 or rimando@ilo.org.


Note 1 – BIT, Agir contre le trafic d’êtres humains, 2008, Genève.