La stabilité de l'emploi reste étonnamment forte dans les pays industrialisés

Une étude du BIT constate que les marchés du travail sont moins volatiles qu'on ne le croit.

Article | 4 juillet 2003

GENÈVE(BIT-en-ligne)– La stabilité de l'emploi dans les pays industrialisés, mesurée en fonction du temps passé par un salarié chez un même employeur, a peu changé au cours des dix dernières années, en dépit d'une croyance largement répandue qui veut qu'un travail fixe devient de moins en moins sûr, indique une nouvelle étude * du Bureau international du Travail (BIT).

Ce constat peut paraître étrange à un moment de crise économique, marquée par des suppressions d'emploi et un chômage croissant, mais les marchés du travail des pays les plus industrialisés montrent, de manière inattendue, l'existence d'une large gamme d'emplois stables, marqués, dans certains groupes, d'une certaine propension à la flexibilité.

Il ressort de l'étude qu'en l'an 2000, en moyenne, plus de 60 pour cent des personnes employées en Europe gardaient leur emploi plus de 5 ans, et 40 pour cent plus de 10 ans. Ce sont là les mêmes pourcentages qu'au début des années 90.

Les différences sont cependant sensibles d'un pays à l'autre. Avec environ 25 pour cent des salariés gardant leur emploi plus de 10 ans (au cours de la dernière décennie), la stabilité de l'emploi est bien moindre aux Etats-Unis qu'en Europe. La durée moyenne de l'emploi est de 10,6 années en Europe, atteint 10,9 années au Japon, mais n'est que de 6,6 années aux Etats-Unis.

«Même si la stabilité de l'emploi est plus faible aux Etats-Unis, le marché du travail américain n'est en aucune façon une sorte de "bourse" où de place ou les employés ont un statut de salarié indépendant. La relation de travail à long terme reste très courante. Qui plus est, les évolutions au sein d'une entreprise, comme l'introduction de systèmes de travail à haute performance, sont un encouragement à maintenir un personnel stable», indique le rapport.

De fait, travailleurs et syndicats, qui militent pour la stabilité de l'emploi, et employeurs, désireux de préserver une main-d'œuvre motivée, stable et productive, se rejoignent. Dès lors, il n'est pas surprenant que le déclin des emplois à long terme, que certains n'ont cessé de prédire, ne se soit pas produit.

Ces constats ont une importante signification en regard des objectifs poursuivis par l'Organisation internationale du Travail: le développement économique et social dans le monde par le travail décent. Ils montrent la corrélation qui existe habituellement entre un important niveau de développement et une forte tendance à la stabilité de l'emploi. Ceux qui affirment que les pays en développement doivent tendre exclusivement à la «flexibilisation» de leurs marchés du travail pour grimper sur l'échelle du développement, créer des emplois et réduire le chômage, ont un raisonnement par trop simpliste. L'important, et c'est peut-être ce qui l'est le plus, est de trouver les moyens de stabiliser leurs marchés et lieux de travail, tout en permettant une certaine flexibilité.

La durée d'un emploi, dans toute économie, dépend aussi largement de la structure démographique de la population active. Si, de manière générale, cette durée est stable, les jeunes restent moins dans le même emploi – deux ans en moyenne – alors que dans les autres tranches d'âge elle a souvent tendance à augmenter

Les caractéristiques diffèrent aussi entre hommes et femmes. Dans pratiquement tous les pays d'Europe, la durée moyenne d'emploi pour les femmes est inférieure à celle des hommes (elle était de 9,8 années pour les femmes et de 10,6 années pour les hommes dans l'Union européenne en 2000), à l'exception du Portugal et de la Suède, où les femmes occupent un même emploi plus longtemps que les hommes. L'écart entre les deux sexes est particulièrement significatif en Irlande, au Japon et aux Pays-Bas, mais il a tendance à se réduire, dans la mesure ou, en raison de changements structurels qui affectent la longévité des emplois, en particulier dans la manufacture, les hommes gardent leurs postes moins longtemps et les femmes plus longtemps.

La durée des emplois varie aussi considérablement d'un secteur à l'autre: on retrouve les durées d'emploi les plus longues dans l'agriculture et l'administration publique, et les plus courtes dans la finance. Le commerce de gros et de détail et les industries de la restauration et du tourisme sont également caractérisés par des durées d'emploi courtes. Le phénomène peut aussi avoir une corrélation avec la taille des entreprises: les salariés d'une grosse entreprise américaine montrent une plus grande stabilité que ceux d'une société de moins de dix employés.

La proportion d'emplois temporaires s'est nettement accrue dans la plupart des pays – exception faite du Danemark, de la Finlande et de l'Irlande où elle a baissé –, et est très importante en termes de mouvements de personnel (engagements et départs). Mais nombre de ces emplois tendent à prendre un caractère permanent, ce qui explique le niveau relativement bas des contrats à durée déterminée qui subsistent. De nouveau, des différences notables existent entre les pays, et ces emplois (temporaires) sont principalement concentrés chez les jeunes.

La stabilité de l'emploi n'est pas la sécurité de l'emploi

Si la stabilité de l'emploi reste forte, la sécurité de l'emploi, elle, continue à être un sujet de préoccupation. Il n'y a qu'une faible relation entre l'indicateur objectif de la sécurité de l'emploi qu'est la durabilité et la perception qu'en ont les gens à travers les pays. Dans les pays supposés traverser une crise économique, comme le Japon, le sentiment d'insécurité en matière d'emploi peut être fort alors que la stabilité de l'emploi y est une des plus élevées au monde. A l'inverse, dans les pays ou la durée moyenne de l'emploi est plus basse, mais où les systèmes de protection sociale sont mieux organisés, comme le Danemark ou les Pays-Bas, le sentiment de sécurité reste dominant.

Il semble, selon le rapport, que si la collectivité peut attribuer des revenus de substitution et prendre des mesures favorisant l'«employabilité», les gens craignent moins de perdre leur emploi, en dépit d'une sécurité de l'emploi moindre qu'ailleurs. A l'évidence, il existe dans ces pays une sorte de système de compensation entre la protection de l'emploi et la protection sociale.

Dans des pays comme le Danemark et les Pays-Bas, la stabilité et la flexibilité du marché du travail ont apparemment pour support les institutions propres à ce marché. Ainsi, organisations de travailleurs et d'employeurs, négociations collectives, régulation de la sécurité de l'emploi et protection sociale jouent un double rôle, en stabilisant les relations de travail et en permettant des transitions sécurisées entre différents emplois, entre l'éducation et le travail, entre les responsabilités familiales et le travail, et entre l'activité et la retraite. Il en résulte un sentiment accru de sécurité.

Selon le rapport, «il existe une relation positive entre le travail décent et la sécurité de l'emploi». La sécurité de l'emploi peut être générée par son caractère stable, mais quand se profile une récession ou que s'accélèrent les changements structurels, la stabilité de l'emploi risque d'être mise en péril. Dans ces situations, les salariés ont besoin de compter sur leurs systèmes de protection sociale. Mais même en l'absence de crise, le sentiment de ne pas être totalement dépendant d'un emploi spécifique pour assurer ses revenus, d'être protégé pendant les périodes de transition et de savoir que d'autres emplois sont disponibles semble accroître l'impression de sécurité. Celle-ci est importante pour l'économie: le sentiment d'insécurité a un impact négatif sur l'attitude des ménages à l'égard de la consommation, précipitant un ralentissement économique, comme on le voit au Japon. L'interaction entre l'emploi et la protection sociale est de la plus haute importance: elle développe le sentiment de sécurité et a un impact direct sur l'ensemble de l'économie, souligne le rapport.


*Auer, Peter et Cazes, Sandrine, (eds.), Employment stability in an age of flexibility. Evidence from industrialized countries, Bureau international du Travail, Genève, 2003. Avec des contributions des éditeurs et Jérome Gautie, Bénédicte Galtier, Per K. Madsen, Paul Osterman and Olivier Passet. ISBN 92-2-112716-8. Prix: 35 francs suisses.
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