Emigration des personnels de santé: Les deux facettes de l'émigration des personnels santé vers les pays riches

La grave pénurie de personnel et de compétences qui sévit dans les services de santé de nombreux pays a conduit ceux-ci à recruter à l'étranger. Or selon un récent rapport du BIT , l'émigration du personnel médical, et infirmier en particulier, constitue une menace potentielle pour les systèmes de santé des pays en développement. Monica Evans, du Bureau de l'OIT à Londres, s'est entretenue avec le docteur Stephen Bach, auteur de ce rapport.

Article | 19 décembre 2003

LONDRES (BIT-en-ligne) - Une simple visite dans un hôpital ou chez un médecin confirme, si besoin était, à quel point la mondialisation touche la quasi-totalité d'entre nous. Les personnels de santé et plus particulièrement le personnel infirmier sont des travailleurs de plus en plus mobiles: l'Afrique du Sud est désormais pour certains pays un véritable réservoir de personnel médical mais dans ses campagnes, 80% des médecins sont étrangers.

"Beaucoup de pays en développement ont de plus en plus de mal à résister à la concurrence internationale et à conserver leurs travailleurs qualifiés", indique M.Bach, dont l'exposé traite des migrations des travailleurs de la santé non seulement sous l'angle des relations d'emploi et de la politique de la santé mais aussi dans une perspective économique et globale.

A l'origine, l'émigration empruntait des itinéraires correspondant aux liens coloniaux et linguistiques - les Nord-africains allaient en France et les ressortissants des Caraïbes au Royaume-Uni - mais aujourd'hui l'attrait exercé par d'autres pays riches a changé la donne. En outre, les principes éthiques appliqués par les gouvernements en matière de recrutement (les agences de recrutement ne sont pas de leur ressort) ont contribué à modifier les mouvements migratoires.

En 1999, après que Nelson Mandela eut reproché au Royaume-Uni de recruter du personnel infirmier en Afrique du Sud, le ministère de la Santé a donné pour directive aux employeurs du Service national de la santé de ne pas recruter activement dans les pays en développement qui manquent eux-mêmes de personnel infirmier. Cette directive a par la suite été assouplie de façon à offrir la possibilité de conclure des accords bilatéraux mais, en tout état de cause, elle n'exclue pas la possibilité d'embaucher des candidats étrangers qui se présenteraient sans avoir été sollicités.

Le Royaume-Uni est depuis longtemps l'un des principaux pays de destination des médecins et du personnel infirmier. En 2002, plus de la moitié de ses médecins agréés avaient été formés dans d'autres pays et les deux-tiers étaient originaires de pays autres que ceux de l'espace économique européen. De janvier à mars 2003, près de 13 000 infirmiers et infirmières formés à l'étranger ont été agréés contre un peu plus de 18 000 diplômés au Royaume-Uni. Le docteur Bach précise cependant que le flux n'est pas à sens unique : beaucoup de médecins et de personnels infirmiers formés au Royaume-Uni vont chercher à l'étranger, dans des pays comme l'Australie et les Etats-Unis, des conditions de vie et de travail plus satisfaisantes.

Le BIT estime à 77 millions le nombre de personnes qui vivent et travaillent hors de leur pays d'origine. Les Philippines, dont environ 7 millions de ressortissants travaillent ou vivent à l'étranger, occupent une place centrale dans les enjeux politico-économiques des migrations. C'est le pays qui exporte le plus d'infirmiers et infirmières diplômés. Dans les années soixante-dix, il comptait 63 écoles de soins infirmiers et 40 000 diplômés. En 1998, le nombre des écoles était passé à 198 et celui des diplômés dépassait 300 000. Sur les 7 000 infirmiers et infirmières qui obtiennent leur diplôme chaque année aux Philippines, 70% quittent le pays dans l'espoir d'une vie meilleure ou de pouvoir améliorer le sort de leur famille en lui envoyant de l'argent. Pourtant, environ 30 000 postes sont vacants.

Selon Kinzang Chungyala, responsable du bureau régional du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), le montant total des fonds transférés dans les pays en développement d'Asie par des émigrés s'est élevé à 80 milliards de dollars l'année dernière, dépassant pour la première fois le volume des investissements étrangers directs.

Les Philippines considèrent peut-être l'émigration comme une source de revenus, mais pour d'autres pays, l'exode des travailleurs de la santé a de graves conséquences. Dans certains pays africains, il provoque une pénurie de personnel: au Ghana, 42,6% des postes de médecin et 25,5% des postes d'infirmier ou d'infirmière étaient vacants en 1999. En Afrique du Sud, beaucoup de médecins sont recrutés par le Canada et depuis 1991, le nombre des départs de personnels infirmiers a été multiplié par huit ; la moitié se sont rendus au Royaume-Uni. " Et cela alors que le continent est aux prises avec les ravages du VIH/sida, qui exacerbent les problèmes de personnel en décimant le corps médical, ce qui alourdit la charge de travail et déprime le moral de ceux qui restent ", déplore le docteur Bach.

Qui plus est, les infirmiers et infirmières immigrés risquent des déboires s'ils ont obtenu leur emploi par l'intermédiaire d'une agence de recrutement. En effet, la différence entre leurs attentes et la réalité peut être cruelle: des diplômés sont utilisés comme aides soignants ou se voient imposer des conditions moins favorables que le personnel engagé sur place.

En pareils cas, les syndicats jouent un rôle extrêmement important. En effet, ayant renoncé à leur attitude protectionniste et considérant désormais l'immigration comme une conséquence inéluctable de la mondialisation mais aussi comme un moyen d'augmenter leurs effectifs, ils veillent à la sauvegarde des intérêts des travailleurs étrangers. M. Bach estime que le recrutement de gouvernement à gouvernement, qui obéit à des règles strictes et qui peut offrir des avantages mutuels, est préférable à l'élaboration de codes de conduite à l'intention des recruteurs et des sous-traitants.

Dans son étude, il indique que gouvernements et employeurs pourraient favoriser l'amélioration des conditions de travail des personnels de santé immigrés, d'une part en veillant à la ratification et à l'application des conventions de l'OIT et de la Convention internationale des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et d'autre part, en faisant en sorte que le recrutement de ces personnels fasse l'objet d'un contrôle et soit conforme à l'éthique. "Lorsque les Etats prennent des mesures pour régir le recrutement à l'étranger, celui-ci a moins d'effets néfastes sur les pays d'origine car les mouvements migratoires sont réglementés et ordonnés."

La question des "travailleurs migrants" sera le thème de la discussion générale inscrite à l'ordre du jour de la 92e session de la Conférence internationale du Travail, qui aura lieu en juin 2004. Cette discussion portera sur les migrations à l'ère de la mondialisation, les politiques et pratiques relatives aux migrations et l'amélioration de la protection des travailleurs migrants.

Pour tout renseignement concernant les migrations des travailleurs (de la santé) et l'OIT, consulter les sites suivants:

www.ilo.org/public/french/dialogue/sector/sectors/health.htm (personnels de santé)
www.ilo.org/public/english/protection/migrant/about/standards.htm (travailleurs migrants)


1 Document de travail du BIT, intitulé "International migration of health workers: Labour and Social issues", Stephen Bach.