Traitement du VIH/SIDA sur le lieu de travail: le rôle de l'OIT Interview avec Franklyn Lisk, directeur, OIT/SIDA

A l'occasion de la quinzième Conférence internationale sur le SIDA (Bangkok 11-16 juillet), le programme du Bureau international du Travail sur le SIDA présentera un nouveau rapport intitulé «HIV/AIDS and work: global estimates, impact and response» (le VIH/SIDA et le travail: estimations au niveau mondial, impact et mesures adoptées). Franklyn Lisk, directeur du Programme de l'OIT sur le VIH/SIDA et le monde du travail s'exprime sur ce rapport et sur le renforcement des mesures de l'OIT à l'égard du SIDA sur le lieu de travail.

Article | 13 juillet 2004

Le nouveau rapport de l'OIT donne une image assez sombre de l'impact du VIH/SIDA sur le monde du travail (voir communiqué de presse BIT/04/35). Quel est le rôle de l'OIT dans la lutte contre l'épidémie et comment ce rôle sera-t-il présenté à la Conférence de Bangkok?

Selon nos estimations, sur près de 40 millions de personnes qui vivent aujourd'hui avec le VIH, plus des deux tiers sont des travailleurs appartenant soit à l'économie formelle, soit à l'économie informelle. Le VIH/SIDA est donc une préoccupation majeure de l'OIT. L'épidémie affecte tous nos mandants tripartites. Les travailleurs y perdent leurs gains et leurs moyens d'existence; les employeurs et les entreprises y perdent leurs travailleurs qualifiés et expérimentés, voient leur productivité baisser et leurs profits diminuer; enfin, les gouvernements en subissent les conséquences dans leurs recettes et l'ensemble de leurs résultats économiques. C'est dans les domaines socio-économiques comme la pauvreté et le sous-développement que l'OIT peut apporter sa plus grande contribution. En résumé, la perception quelque peu étroite de l'épidémie comme simple problème de santé publique est en train d'évoluer vers une perception du SIDA comme menace pour le développement durable, social et économique.

Ainsi, à mesure que l'aspect de l'épidémie relatif à la santé publique évolue et que les personnes séropositives restent plus longtemps en bonne santé, la question de leurs moyens de subsistance devient plus urgente?

A mes yeux, l'aspect le plus important du VIH/SIDA est celui qui concerne les personnes. Ce que nous appelons le «capital humain» est nécessaire à la fois au secteur public et au secteur privé, dans les économies développées comme dans les économies en développement, pour assurer leur développement et leur croissance. Nous savons qu'avec les soins et le soutien nécessaires les personnes atteintes de séropositivité peuvent rester productives pendant encore assez longtemps. Il importe donc de se concentrer sur les personnes qui peuvent continuer à apporter une contribution et à bénéficier des efforts de développement.

Quels sont les principaux éléments de l'approche de l'OIT concernant le SIDA sur le lieu de travail?

Nos travaux comportent trois volets. Le premier consiste à veiller à ce que les droits au travail soient respectés et à ce que la stigmatisation et la discrimination soient maîtrisées. C'est la raison pour laquelle l'une de nos premières initiatives a été la mise au point d'un Recueil de directives pratiques du BIT sur le VIH/SIDA et le monde du travail. Les principes essentiels de ce recueil sont notamment la protection des droits, la non-discrimination dans l'emploi, l'égalité entre hommes et femmes, le dialogue social, la prévention, les soins et le soutien. Le deuxième volet consiste à doter nos partenaires sociaux de la capacité à faire face à l'épidémie par leurs propres activités. Enfin, le troisième volet à trait aux partenariats. L'OIT est l'une des organisations qui coparraine l'ONUSIDA. Cela lui permet de travailler avec nos collègues des Nations Unies pour élaborer une approche plus cohérente présentant un meilleur rapport coût-efficacité au niveau national. Les partenariats de ce type sont caractéristiques de la manière dont l'OIT envisage le développement, qui est fondée sur la coopération entre les partenaires sociaux.

Quelle est la position de l'OIT concernant le test de séropositivité sur le lieu de travail?

Nous estimons qu'il y a des risques élevés que les tests pratiqués sur le lieu de travail soient utilisés pour alimenter la discrimination contre les travailleurs. L'OIT n'est cependant pas catégoriquement opposée aux tests sur le lieu de travail. Par exemple, nous estimons qu'il est important que les personnes aient connaissance de leur séropositivité. Si l'unique possibilité qu'ils ont de faire un test s'avère être sur le lieu de travail, alors nous sommes favorables à ce test pour autant qu'il reste confidentiel, qu'il soit volontaire, assorti d'informations et de conseils, et qu'il ne soit pas utilisé pour opérer une sélection entre les gens ou pour porter atteinte aux droits des travailleurs.

Qu'avez-vous à dire à ceux qui craignent de travailler avec des personnes séropositives et qui souhaitent que le test sur le lieu de travail devienne obligatoire?

Premièrement et avant tout, j'estime que cette manière de penser est motivée par l'ignorance. J'insiste sur la nécessité d'informer le public sur le VIH. Bien sûr, il y a la question de la stigmatisation et le refus d'admettre la réalité. J'ai rencontré des employeurs dans le secteur du tourisme des Caraïbes qui refusaient d'être associés au problème du SIDA de peur que les gens ne réagissent négativement plutôt que de les considérer comme des employeurs éclairés. On m'a également rapporté qu'au Botswana de nombreuses personnes refusent les traitements gratuits parce qu'elles ne veulent pas être stigmatisées. Cette stigmatisation entrave les efforts visant à prévenir la propagation de l'épidémie.

Beaucoup de petites entreprises ont peut-être le sentiment qu'elles n'ont pas les moyens d'appliquer le recueil de directives pratiques. Qu'avez-vous à leur dire?

L'application du recueil de directives pratiques dans l'économie informelle et dans les petites et moyennes entreprises est un grand défi que l'OIT doit relever. C'est la raison pour laquelle nous préconisons l'intégration de ce recueil dans les stratégies et les plans d'action nationaux. Ainsi, le fardeau ne repose pas uniquement sur l'employeur, qui peut faire appel aux facilités accordées par l'Etat ou le gouvernement. On peut aussi envisager que les grandes entreprises aident les petites, notamment s'il s'agit de leurs fournisseurs. Cette aide ne serait pas forcément de nature financière; il peut s'agir tout simplement d'informations. Les employeurs sont de plus en plus nombreux à comprendre que l'adoption de telles mesures sert leurs intérêts économiques et qu'elle est économiquement sensée. S'ils perdent des travailleurs essentiels dans lesquels ils ont investi et qui ont acquis compétence et expérience, ils pourront avoir du mal à les remplacer. Nous encouragerons également les gens, notamment les dirigeants, à prendre la parole en public sur l'épidémie et sur son impact sur leurs activités. Je pense que cela peut contribuer de manière sensible à faire reculer la stigmatisation.