La sécurité économique favorise la tolérance et le bonheur et est bénéfique pour la croissance et le développement

Une nouvelle étude du Bureau international du Travail (BIT) montre que la sécurité économique favorise le bien-être, le bonheur et la tolérance, et est bénéfique pour la croissance et le développement.

Communiqué de presse | 1 septembre 2004

GENÈVE (Nouvelles du BIT) – Une nouvelle étude du Bureau international du Travail (BIT) montre que la sécurité économique favorise le bien-être, le bonheur et la tolérance, et est bénéfique pour la croissance et le développement.

Le rapport, intitulé "La sécurité économique pour un monde meilleur" ( Note 1), comprend des estimations pour des pays couvrant 85% de la population mondiale. Il indique que la sécurité économique – couplée avec la démocratie et les dépenses du gouvernement en matière de sécurité sociale – non seulement bénéficie à la croissance mais contribue à la stabilité sociale.

Le rapport attire l'attention cependant sur le fait que la sécurité économique reste hors de portée de la majorité des travailleurs du monde, à peu près les trois-quarts. La majorité en effet vit dans des conditions d'insécurité économique qui amène ce que le rapport appelle "un monde plein d'anxiété et de colère".

8% de la population mondiale vit dans un pays qui offre un niveau élevé de sécurité économique, mentionne le rapport produit par le Programme du BIT sur la sécurité socio-économique.

"Venant peu après le rapport de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, ce livre devrait enrichir le débat sur la façon de parvenir à une mondialisation juste", a déclaré le Directeur général du BIT, Juan Somavia. "Tant que nos sociétés ne seront pas un peu plus équitables, peu d'entre elles pourront apporter une sécurité économique ou un emploi décent."

Ce rapport s'efforce pour la première fois de mesurer la sécurité sociale et économique des individus et des pays du monde entier. Il utilise des statistiques provenant d'enquêtes portant sur quelque 48 000 travailleurs et travailleuses, dans plus de 10 000 lieux de travail différents à travers le monde. La sécurité économique est mesurée sur la base de sept formes de sécurité liée au travail à savoir le revenu, le marché du travail, l'emploi, les compétences, le travail, l'emploi et la représentation.

Constatations clés

Les gens dans les pays qui offrent à leurs ressortissants un niveau élevé de sécurité économique ont un niveau de bonheur plus élevé en moyenne, mesuré par des enquêtes sur le niveau de satisfaction dans la vie et l'inégalité en matière de bonheur dans les pays. Le déterminant du bonheur national le plus important n'est pas le niveau de revenu – il existe une association positive, mais l'augmentation du revenu semble avoir peu d'effet à mesure que les pays riches deviennent plus riches. Le facteur le plus important est le degré de sécurité du revenu, mesuré en termes de protection du revenu et d'un faible degré d'inégalité de revenu.

En revanche, le bonheur ne semble pas être lié au niveau de compétence. Le rapport du BIT constate qu'un niveau élevé de sécurité des compétences, mesuré par un indice incluant des indicateurs d'éducation et de formation, est en réalité inversement lié au bonheur. Le rapport suggère que cela est dû au fait que les emplois correspondent mal aux besoins et aux aspirations des gens, à mesure qu'ils deviennent plus éduqués et qu'ils acquièrent plus de compétences. Il faut ajuster vers le haut la qualité et la mobilité de l'emploi. Actuellement, trop de gens s'aperçoivent que leurs compétences et leurs qualifications ne correspondent pas aux emplois qu'ils doivent exercer, ce qui provoque ce que le rapport appelle un effet de "frustration liée au statut".

Le rapport montre que la démocratie politique et une tendance favorable aux libertés civiles augmentent sensiblement la sécurité économique et que les dépenses du gouvernement en matière de politique de la sécurité sociale ont aussi un effet positif. Mais la croissance économique n'a qu'une faible incidence sur la sécurité, mesurée sur le long terme.

Lorsqu'on examine les niveaux nationaux de sécurité économique, les pays sont divisés en quatre blocs: les pays en pointe (avec de bonnes politiques, de bonnes institutions et de bons résultats), les pays pragmatiques (de bons résultats en dépit de politiques et d'institutions moins remarquables), les pays ordinaires (des politiques et institutions apparemment bonnes, mais des résultats moins remarquables) et les pays à la traîne (des politiques et institutions faibles ou inexistantes, et des résultats médiocres).

Le rapport montre qu'environ 73% de tous les travailleurs vivent en situation d'insécurité économique, tandis que 8% seulement vivent dans les pays "en pointe", c'est-à-dire dans des sociétés offrant une sécurité économique favorable.

Beaucoup de pays pourraient parvenir à une plus grande sécurité économique pour leurs ressortissants, puisque certains pays à faible revenu obtiennent des niveaux plus élevés que certains des pays riches. De fait, l'analyse du BIT constate que la répartition mondiale de la sécurité économique ne correspond pas à la répartition mondiale du revenu, et que l'Asie du Sud et l'Asie du Sud-est ont des parts de la sécurité économique plus importantes que leur part du revenu mondial. Alors que l'Asie du Sud détient environ 7% du revenu mondial, elle représente à peu près 14% de la sécurité économique mondiale. En revanche, les pays d'Amérique latine offrent à leurs ressortissants une sécurité économique bien moindre que ce à quoi on pourrait s'attendre au vu de leurs niveaux de revenu relatifs.

Bien sûr l'insécurité a des conséquences sur l'attitude des personnes, au détriment des idées d'une société décente. Dans un récent sondage réalisé par le baromètre Latino dans les pays d'Amérique Latine, 76% des personnes interrogées se sentaient inquiètes de savoir qu'elles n'auraient pas de travail l'année suivante, et la plupart déclaraient qu'avoir un régime non démocratique leur était égal si celui-ci leur assurait un emploi.

Une caractéristique des constatations est que seuls les pays disposant d'un ensemble cohérent de politiques qui renforcent les sept formes de sécurité de l'emploi ont de bons résultats en matière de sécurité économique globale. Les pays qui ont d'excellents résultats dans certains domaines mais des résultats médiocres dans d'autres n'ont pas de bons résultats globalement.

Le rapport constate aussi que "la sécurité du revenu est un déterminant majeur des autres formes de sécurité liée au travail" (page 296), et que l'inégalité de revenu affaiblit la sécurité économique de plusieurs façons. "Le message est", conclut le rapport, "que des sociétés fortement inégalitaires sont peu susceptibles d'obtenir beaucoup de résultats en termes de sécurité économique ou de travail décent".

L'analyse montre qu'il y a eu une tendance à la hausse de la fréquence et de la gravité des chocs économiques au cours de la période récente de mondialisation (depuis 1980), ainsi qu'une croissance concomitante du nombre de catastrophes naturelles affectant un grand nombre de personnes. Elle montre aussi que, si l'on ne tient pas compte de la Chine et de l'Inde, les deux méga-pays, les taux de croissance économique par tête ont baissé tandis que la variabilité des taux de croissance économique annuels a augmenté (chapitre 2), ce qui signifie plus d'insécurité économique nationale, contrairement aux prévisions de ceux qui préconisent une libéralisation économique rapide.

Le rapport du BIT note que ces tendances sont importantes car elles montrent qu'un plus grand nombre de gens sont exposés au risque systémique plutôt qu'à des risques contingents. Ces derniers sont dus à des événements faisant partie du cycle de vie de l'individu, tels que le chômage ou la maladie, qui sont couverts par les systèmes de sécurité sociale ordinaires. Les gens sont beaucoup moins capables de se préparer aux chocs qui affectent des communautés et des régions entières.

Le rapport du BIT montre aussi que pour les pays en développement, le niveau national de sécurité économique est inversement lié à l'ouverture du compte de capital (chapitre 11), ce qui signifie qu'il serait judicieux que les pays en développement retardent l'ouverture de leurs comptes de capital jusqu'à ce que soient en place des politiques de développement institutionnel et des politiques sociales pour permettre à leurs sociétés de résister aux chocs externes. Autrement dit, les pays devraient retarder l'ouverture de leurs marchés financiers jusqu'à ce qu'ils aient les capacités institutionnelles de contrôler les fluctuations de la confiance et l'impact des événements économiques extérieurs.

Outre qu'il met à profit une banque de données mondiale sur les politiques nationales, le rapport utilise les statistiques provenant d'une série d'enquêtes sur la sécurité des personnes menées dans 15 pays, dans le cadre desquelles plus de 48 000 travailleurs et travailleuses ont été interrogés au sujet de leur travail, des éléments d'insécurité qu'ils connaissent, et de leurs attitudes à l'égard de l'inégalité et des aspects connexes de la politique sociale et économique.

Les personnes ont été interrogées sur leurs attitudes à l'égard de divers aspects de l'insécurité économique et de l'inégalité, et, manifestement, il existe une opinion très répandue favorable à un plus grand soutien aux personnes économiquement vulnérables et un désir de réduire l'inégalité (chapitre 12). Une caractéristique marquante est que l'insécurité économique encourage l'intolérance et les tensions, ce qui contribue aux maux sociaux et, en dernier ressort, à la violence sociale.

Parmi les autres constatations, on peut citer les suivantes:

  • la plupart des travailleurs dans les pays en développement ne connaissent pas les syndicats, et une majorité d'entre eux dans les pays visés par les enquêtes n'ont pas beaucoup confiance en ces derniers;
  • les femmes connaissent plus d'insécurité que les hommes et un plus grand nombre de types d'insécurité;
  • la sécurité de l'emploi diminue presque partout, en raison de l'informalisation des activités économiques, de l'externalisation des activités et des réformes réglementaires (chapitre 6);
  • un grand nombre de gens possèdent des compétences qu'ils n'utilisent pas dans leur travail (chapitre 8);
  • la sécurité de l'emploi (la possession d'une niche avec des perspectives de travail satisfaisant et de carrière) est faible dans la plupart des pays, et les données provenant des enquêtes sur la sécurité des personnes mettent en évidence une insatisfaction largement répandue concernant l'emploi (chapitre 9).
Le rapport se fonde également sur des enquêtes spécialement conçues sur la flexibilité et la sécurité de la main-d'œuvre des entreprises, dans le cadre desquelles on a interrogé les dirigeants de plus de 10 000 entreprises dans 12 pays sur leurs pratiques en matière de travail et d'emploi. Le résultat remarquable des données est que les entreprises qui offrent à leur main-d'œuvre des niveaux plus élevés de sécurité économique ont plus de chances de réussir au plan commercial, de croître et de générer de l'emploi productif.

Enfin, un large éventail de politiques est examiné dans le cadre de l'analyse pour déterminer celles qui offrent les meilleures perspectives pour ce qui est de procurer des niveaux de sécurité économique plus élevés, surtout dans les pays en développement. Pour évaluer ces politiques, une nouvelle approche est proposée, l'évaluation partant du principe que, d'une part, elles devraient offrir de nettes perspectives concernant la réduction de l'insécurité économique des groupes de la société les plus exposés et, d'autre part, ne pas imposer de contrôles et de privations des libertés aux bénéficiaires visés.

L'analyse du BIT conclut que les systèmes classiques de sécurité sociale sont inappropriés pour répondre aux nouvelles formes de risque et d'incertitude systémiques qui caractérisent le système économique mondial naissant (chapitre 14). En conséquence, les gouvernements et les institutions internationales devraient promouvoir des régimes universalistes et fondés sur les droits qui procurent aux gens une sécurité économique de base, plutôt que de recourir à des régimes sélectifs qui sont fonction des ressources.

Pour plus de renseignements, veuillez prendre contact avec le secrétariat du Programme sur la sécurité socio-économique par courrier électronique: ses@ilo.org ou par téléphone: +4122/799-7913. Les membres de l'équipe peuvent répondre aux questions en anglais, français, portugais ou espagnol. Pour les personnes intéressées par ces questions en Afrique, il peut être utile de savoir qu'un ouvrage connexe devrait être publié en septembre 2004, intitulé "Confronting Economic Insecurity in Africa". Des exemplaires de cet ouvrage peuvent éventuellement être obtenus auprès du secrétariat.


Note 1 - Economic security for a better world, Programme sur la Sécurité socio-économique, Bureau international du Travail, 2004. Prix: 50 francs suisses. ISBN 92-2-115611-7. Site Internet: www.ilo.org/ses.