La flexibilité du marché du travail accroît la productivité dans les industries de la construction mécanique et de l'électronique, mais représente un défi pour les travailleurs

GENÈVE (Nouvelles du BIT) - L'adoption de pratiques de travail plus souples peut rendre plus compétitives les entreprises des industries de la construction mécanique et de la construction électrique tout en leur permettant d'accroître leur capacité de création d'emplois. Telles sont les conclusions d'un nouveau rapport du BIT qui révèle par ailleurs que ce processus de réaménagement de la production s'avère souvent pénible pour les travailleurs, car il bouleverse une organisation du travail établie depuis des décennies et a des conséquences négatives sur la vie privée de nombreux employés.

Communiqué de presse | 26 octobre 1998

GENÈVE (Nouvelles du BIT) - L'adoption de pratiques de travail plus souples peut rendre plus compétitives les entreprises des industries de la construction mécanique et de la construction électrique tout en leur permettant d'accroître leur capacité de création d'emplois. Telles sont les conclusions d'un nouveau rapport du BIT 1 qui révèle par ailleurs que ce processus de réaménagement de la production s'avère souvent pénible pour les travailleurs, car il bouleverse une organisation du travail établie depuis des décennies et a des conséquences négatives sur la vie privée de nombreux employés.

Parmi les avantages dérivés des mesures assurant la flexibilité du marché du travail, le rapport du BIT cite «la meilleure santé des entreprises, la hausse de la productivité et la baisse des coûts salariaux», ainsi qu'une tendance à la réduction du temps de travail. Quant aux aspects négatifs pour les travailleurs, le rapport souligne l'augmentation du travail à temps partiel, la baisse des rémunérations correspondant aux heures supplémentaires, une plus grande instabilité professionnelle et les «horaires incommodes», tels que le travail de nuit ou pendant le week-end et les longues journées pendant les périodes de pointe.

Un des autres aspects cruciaux de la réorganisation du travail est la façon dont elle est mise en œuvre. Les auteurs du rapport soulignent combien il est important que les employeurs négocient avec les travailleurs dans le cadre des accords collectifs en vigueur, afin de minimiser les problèmes et de prendre en compte les besoins des travailleurs.

C'est en Allemagne, au Japon et aux Etats-Unis que les travailleurs sont les plus affectés par la réorganisation de la production, puisque les industries de ces pays représentent respectivement 15, 25 et 27% de la production mondiale dans le secteur de la construction mécanique. Cependant, de plus en plus de travailleurs des pays en développement sont également touchés.

Selon le rapport du BIT, depuis 1980, ce secteur a enregistré une hausse de 12% du nombre total de ses travailleurs au niveau mondial, ce qui représente environ 4,5 millions de nouveaux emplois, tandis que sa production augmentait de 113%. Une grande partie de ces créations d'emplois ont été possibles grâce au déplacement de la production vers des pays à faible revenu, qui représentent actuellement 32% de la main-d'œuvre, contre seulement 22% en 1980. Ce phénomène a été d'une telle ampleur que, en 1992, la Chine représentait à elle seule presque 30% de l'emploi mondial dans ce secteur, tandis que les Etats-Unis ne représentait que 8%.

Au cours de la période 1980-92, l'industrie de la construction mécanique des pays de l'OCDE à revenu élevé a perdu presqu'un million d'emplois. Toutefois, grâce aux effets conjugués de la restructuration industrielle et de la croissance économique, la situation s'est depuis lors stabilisée, voire, dans certains cas, inversée. Entre 1992 et 1997, 411.000 emplois ont été créés aux Etats-Unis, ce qui a fait progresser à presque 4 millions le nombre total de travailleurs dans ce secteur. Pendant la même période, 117.000 emplois ont été créés en République de Corée, 85.000 au Royaume-Uni et 14.600 au Canada.

Bien que les effectifs de main-d'œuvre soient plus réduits dans les pays de l'OCDE, ils correspondent en fait aux phases de la production dans lesquelles la part de la main-d'œuvre dans la valeur ajoutée est la plus élevée. En 1997, sept des dix plus grandes entreprises mondiales de la construction mécanique et de la construction électrique étaient américaines (General Electric, Intel, IBM, Hewlett Packard, Compaq, Cisco et Motorola). Les trois autres entreprises classées parmi les dix premières mondiales étaient la suédoise Ericsson, la japonaise Matsushita et l'allemande Siemens. Sur le marché mondial, ces entreprises, à l'instar d'autres géants industriels, sont toutes engagées dans des processus inexorables visant à accroître la rentabilité et la productivité dans des secteurs de haute technologie dotés d'un des coefficients de capital les plus élevés du monde. Pour ce, elles procèdent notamment à la restructuration de leurs propres systèmes de production.

Selon le rapport préparé en vue de la réunion tripartite, les entreprises de cette industrie présentes sur le marché mondial sont obligées de rester compétitives, c'est-à-dire de chercher une plus grande flexibilité et des coûts salariaux plus faibles. De leur côté, les travailleurs s'intéressent au maintien des emplois et à la résolution des problèmes liés à la gestion des modes de production flexibles, tout en se faisant une raison quant aux conséquences sociales à long terme de la flexibilité. «La préservation et la création d'emplois sont l'un des principaux objectifs visés par les syndicats qui réclament une réduction de la durée du travail en échange d'une plus grande flexibilité», souligne le rapport.

Cependant, la flexibilité ne concerne pas seulement l'organisation de la production, mais aussi les horaires de travail et la rémunération.

En Allemagne, où, grâce aux accords collectifs de branche, les entreprises pouvaient depuis longtemps moduler les horaires de travail en fonction de leurs besoins, on observe de plus en plus le recours à des accords d'entreprise afin de maximiser le temps de travail pendant les périodes de pointe. Ceci s'effectue en particulier en réduisant la semaine de travail à 35 heures (au lieu de 40 auparavant) en échange d'horaires plus souples. Dans certains cas, cette réduction du temps de travail est encore plus importante pour les travailleurs les plus âgés.

En France, les accords collectifs ont abouti à la création de «comptes de crédit d'heures», qui «permettent aux travailleurs d'accumuler des primes pour heures supplémentaires, des bonifications et jusqu'à trois semaines de congés annuels, dont ils peuvent ensuite disposer à leur guise».

Parmi les autres innovations dans ce domaine, il convient de mentionner le système de l'annualisation du temps de travail, par le biais duquel les travailleurs ont un certain nombre d'heures de travail à effectuer sur l'année (que l'on appelle compte épargne temps, similaire à un compte bancaire), au lieu de l'horaire traditionnel de 40 heures hebdomadaires. Avec ce système d'annualisation, un travailleur peut être appelé à travailler 50 à 60 heures par semaine pendant une période de pointe (sans être payé pour les heures supplémentaires) en ayant le droit de ne travailler que 25 à 30 heures pendant les périodes creuses (en touchant son salaire complet). Ces systèmes ont déjà été introduits dans de nombreux pays européens, tels que l'Autriche, la France et l'Allemagne, et sont à l'étude dans d'autres pays.

Un autre système novateur est le travail limité aux fins de semaine, qui permet à des employés de travailler deux longues journées de 12 heures chacune le samedi et le dimanche en étant payés pour 38 heures de travail (comme ceux qui travaillent du lundi au vendredi) et en étant libres pendant le reste de la semaine. Ce système permet aux employeurs d'utiliser leurs capacités de production sept jours sur sept et, en même temps, il offre une compensation en argent et en temps à des travailleurs qui acceptent de renoncer à toute vie sociale pendant les week-ends.

Une autre innovation, connue sous le nom de système à deux postes par roulement, permet aux employeurs d'augmenter la durée d'exploitation des équipements à plus de 92 heures par semaine tout en garantissant au travailleur individuel une durée moyenne hebdomadaire de travail de 35 heures. Ce système fonctionne avec cinq travailleurs sur une période de cinq semaines et permet à chaque travailleur d'avoir un long week-end et plusieurs jours de congé tombant sur différents jours de la semaine, en échange de quoi il accepte d'alterner entre une journée de travail débutant très tôt et une finissant très tard et de sacrifier occasionnellement son samedi matin.

Bien que rares dans ces industries, le travail temporaire ou occasionnel et le travail à temps partiel sont cependant en augmentation. Ces formes d'emploi constituent non seulement l'indicateur d'une plus grande flexibilité, mais aussi un moyen d'insertion sur le marché du travail pour les jeunes sans emploi ou de réinsertion pour les chômeurs de longue durée.

Différentes propositions destinées à concilier la demande de flexibilité et d'innovation de l'industrie avec les besoins des travailleurs en matière de sécurité de l'emploi et de qualité des conditions de travail seront débattues lors de la Réunion tripartite sur l'incidence des mesures assurant la flexibilité du marché du travail dans les industries de la construction mécanique, de la construction électrique et de l'électronique, qui se tiendra au siège du BIT à Genève du lundi 26 au vendredi 30 octobre. Les délégués de 24 gouvernements 2 , ainsi que 24 représentants d'employeurs et de travailleurs, participeront à cette réunion.

Cela étant, malgré les défis que cette évolution représente pour les entreprises et pour les travailleurs, «il est évident que, dans les pays où ont été adoptées, soit au niveau national, soit au niveau des entreprises, des mesures permettant une plus grande flexibilité, les industries de la construction de machines électriques et non électriques ont eu tendance à enregistrer une amélioration générale de leur compétitivité», signale le rapport. Compte tenu de la nécessité de maintenir des niveaux élevés d'exploitation des équipements de production dans les secteurs à forte intensité de capital de la construction mécanique, de la construction électrique et de l'électronique, il est probable que cette tendance à l'innovation et à la flexibilité va s'accentuer au cours des prochaines années.

Selon le rapport, les pays qui, ces dernières années, ont réalisé les gains les plus élevés sont le Canada, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Japon et la République de Corée. Pour la France et l'Allemagne, le tableau est plus nuancé. Parmi les pays relativement nouveaux dans cette industrie, c'est en Irlande, en Malaisie et aux Philippines que l'on a enregistré la croissance la plus rapide dans le secteur de la construction électrique, où à la fois la production, l'emploi, la productivité et les salaires réels ont progressé. Il est cependant possible que la crise qui secoue actuellement l'Asie ait annulé une partie des gains obtenus par les pays de cette région.

La notion de «flexibilité» englobe toute une gamme de modes d'organisation du travail, mais ils ont tous le même objectif, à savoir mettre au point un système qui permette de maximiser l'utilisation des capacités et d'offrir aux entreprises la plus grande élasticité pour s'adapter aux cycles de la demande. Parmi les innovations les plus connues, il convient de mentionner des pratiques de travail hautement performantes comme le recours à la polyvalence des compétences et des tâches et l'organisation de cercles de qualité. Dans la pratique, ceci signifie que des employés ou équipes d'employés peuvent être amenés à réaliser plusieurs tâches différentes sur la ligne de production, alors qu'auparavant chacun avait sa responsabilité bien définie. Ces nouvelles méthodes sont déjà appliquées dans de nombreuses entreprises des secteurs de la construction mécanique, de la construction électrique et de l'électronique, notamment dans les pays à coûts salariaux élevés, qui se sont vus dans l'obligation de faire face aux importations en provenance de pays à bas salaires.

1 Incidence des mesures assurant la flexibilité du marché du travail dans les industries de la construction mécanique, de la construction électrique et de l'électronique. Rapport soumis aux fins de discussion à la Réunion tripartite sur l'incidence des mesures assurant la flexibilité du marché du travail dans les industries de la construction mécanique, de la construction électrique et de l'électronique. Bureau international du Travail, Genève, 1998. ISBN 92-2-211108-7. Prix: 25 francs suisses.

2 Allemagne, Brésil, Bulgarie, Canada, Chine, République de Corée, Espagne, Etats-Unis, France, Inde, Indonésie, Israël, Italie, Japon, Malaisie, Mexique, Portugal, Royaume-Uni, Singapour, Slovénie, Suède, Suisse, République tchèque et Thaïlande.