Les zones franches d'exportation se développent et créent des emplois

GENÈVE (Nouvelles du BIT) - Selon un récent rapport 1 du Bureau international du Travail, en raison de l'intensification de la course à l'emploi et à l'investissement étranger, les zones franches d'exportation (ZFE) prolifèrent dans le monde entier; alors qu'il en existait une poignée seulement il y a quelques dizaines d'années, leur nombre est aujourd'hui supérieur à 850.

Communiqué de presse | 28 septembre 1998

GENÈVE (Nouvelles du BIT) - Selon un récent rapport 1 du Bureau international du Travail, en raison de l'intensification de la course à l'emploi et à l'investissement étranger, les zones franches d'exportation (ZFE) prolifèrent dans le monde entier; alors qu'il en existait une poignée seulement il y a quelques dizaines d'années, leur nombre est aujourd'hui supérieur à 850.

Tout en reconnaissant l'immense potentiel de développement économique et de création d'emplois de ces zones, le BIT estime qu'une telle prolifération pose de graves questions en ce qui concerne le sort des 27 millions de travailleurs (dont 90% de femmes) qu'elles emploient et devrait susciter une réflexion chez les innombrables stratèges du développement qui considèrent leur expansion comme un moyen rapide à la disposition des pays en développement désireux d'acquérir les compétences et les ressources nécessaires pour être compétitifs dans l'économie mondiale.

Les auteurs du rapport définissent les ZFE comme des «zones industrielles disposant d'avantages spéciaux, qui ont été créées pour attirer les investisseurs étrangers et dans lesquelles des produits importés subissent une transformation avant d'être réexportés». Dans certains pays, ces zones ressemblent à n'importe quel complexe industriel moderne, mais bien souvent ce sont de véritables enclaves pratiquant ce que les auteurs appellent une «monoculture industrielle». En tout état de cause, les principes de l'économie moderne, axés sur le libre-échange, l'investissement étranger et l'exportation, en ont fait des «véhicules de la mondialisation».

Le BIT estime que si les ZFE sont incontestablement d'immenses pourvoyeuses d'emplois, en particulier pour les femmes des pays en développement, un trop grand nombre d'entre elles sont encore réputées pour la médiocrité des salaires, des conditions de travail et des systèmes de relations professionnelles. En outre, bien que la combinaison investissement direct, emploi et transfert de technologie soit de nature à stimuler le développement des pays d'accueil, force est de constater que jusqu'à présent, il n'existe pratiquement aucun lien entre les ZFE et l'économie de ces pays.

Certes, les pays qui ont investi dans des ZFE avaient en général prévu que les activités de transformation et d'assemblage peu qualifiées de pièces importées constitueraient une première phase nécessaire, en attendant une production à plus forte valeur ajoutée, mais peu d'entre eux ont effectivement réussi grâce à cet investissement, à créer un véritable parc d'industries nationales d'exportation (comme l'ont fait par exemple la Malaisie, Maurice et Singapour).

Ces différents aspects de la question et d'autres sujets ayant trait au potentiel de création d'emplois et de développement des ZFE seront à l'ordre du jour d'une Réunion tripartite internationale des pays dotés de zones franches, qui se tiendra du 28 septembre au 2 octobre 1998, au siège de l'OIT à Genève. Participeront à cette réunion les représentants des employeurs, des travailleurs et des gouvernements de dix pays. 2

Prolifération des ZFE dans le monde

Selon le rapport préparé par le BIT en vue de cette réunion, les zones sont les plus nombreuses en Amérique du Nord (320) et en Asie (225), mais leur concentration augmente dans les régions en développement telles que les Caraïbes (51), l'Amérique centrale (41), le Moyen-Orient (39) et augmentera probablement dans le monde entier. Aux Philippines, par exemple, il existe 35 zones en activité mais 83 sont d'ores et déjà agréées.

A l'heure actuelle les Etats-Unis et le Mexique sont les opérateurs les plus actifs; ils possèdent respectivement 213 et 107 zones dont la majeure partie sont des maquiladoras, c'est-à-dire des usines de montage groupées autour de villes frontières comme Tijuana, Ciudad Juarez et Matamores. Ces usines sont reliées à des chaînes de production qui se trouvent sur le côté américain de la frontière. Le système des maquiladoras, introduit en 1965, était à l'origine une mesure d'urgence visant à lutter contre le chômage; sa production à l'exportation représente aujourd'hui 5 milliards de dollars des Etats-Unis par an, soit plus de 30% des exportations totales du Mexique. Du fait de l'élimination des droits de douane résultant de l'Accord de libre-échange nord-américain, l'investissement dans le secteur des maquiladoras devrait augmenter, surtout dans la confection et l'industrie textile.

De plus en plus de pays de l'hémisphère occidental créent chez eux des ZFE, essentiellement pour approvisionner le marché des Etats-Unis en produits manufacturés: la République dominicaine en a 35, le Honduras 15 et le Costa Rica 9. Les auteurs du rapport cite l'exemple du Costa Rica pour montrer comment des petits pays peu peuplés peuvent tirer profit de stratégies de zones. Depuis 1981, les ZFE du Costa Rica ont créé près de 49 000 emplois, principalement dans les industries du vêtement et de l'électronique, qui présentent l'avantage supplémentaire de diversifier les exportations du pays, qui se limitaient traditionnellement au café et à la banane. Près de 30% de l'emploi manufacturier est désormais généré par des entreprises des ZFE. Le chômage a baissé à 5%.

En Asie, la Chine possède à elle seule 124 ZFE qui sont en général de véritables complexes industriels urbains, dotés d'une bonne infrastructure collective: établissements d'enseignement, moyens de transport et services sociaux. Le Bangladesh, le Pakistan et Sri Lanka, aussi, ont adopté des stratégies visant l'implantation de nombreuses zones franches. En Afrique, il existe 47 ZFE, dont 14 au Kenya. L'île Maurice tout entière est découpée en zones dont la gestion habile est probablement le principal facteur de croissance économique de ce pays.

Répartition des ZFE par région, 1997

Région Nombre de zones Principaux pays
Amérique du Nord 320 Etats-Unis - 213, Mexique - 107
Amérique centrale 41 Honduras - 15, Costa Rica - 9
Caraïbes 51 République dominicaine - 35
Amérique du Sud 41 Colombie - 11, Brésil - 8
Europe 81 Bulgarie - 8, Slovénie - 8
Moyen-Orient 39 Turquie - 11, Jordanie - 7
Asie 225 Chine - 124, Philippines - 35, Indonésie - 26
Afrique 47 Kenya - 14, Egypte - 6
Pacifique 2 Australie - 1, Fidji - 1
Total 845

Source: AMZFI et BIT.

La croissance économique des tigres asiatiques, elle aussi, a été nourrie par des ZFE. Pendant 30 ans, l'Etat de Penang, en Malaisie, a réussi à attirer des investissements de qualité dans la haute technologie; c'est ainsi que de 1970 à 1997, le nombre des usines de cette branche de production est passé de 31 à 743 et le nombre des salariés d'environ 3000 à près de 200 000. De même, la formidable réussite de Singapour dans les domaines de la technologie et de la finance est dans une large mesure due aux investissements réalisés dans les ZFE et à l'augmentation régulière de leur productivité, qui a permis à la fois d'améliorer la quantité et la qualité des emplois offerts et d'établir les liens nécessaires entre l'économie nationale et l'économie internationale.

Mais alors, que reproche-t-on aux ZFE?

Les participants à la réunion du BIT débattront du rapport et réfléchiront aux moyens à mettre en œuvre pour résoudre les problèmes relevés dans les ZFE dans le domaine social et en matière de ressources humaines. Il s'agit d'améliorer les salaires et les conditions de travail tout en augmentant la productivité et en créant des passerelles entre les ZFE et l'économie nationale des pays dans lesquels celles-ci sont établies. Une attention spéciale sera portée à la difficile situation des femmes qui travaillent dans ces zones. Celles-ci forment en effet la majorité de la main-d'œuvre des ZFE mais pâtissent davantage que les hommes de leurs inconvénients: longueur des journées de travail, bas salaires, absence d'équipements sociaux (pour la garde des enfants, par exemple) et caractère souvent pénible du travail.

«Une des caractéristiques regrettables de nombreuses ZFE est que les travailleurs, hommes et femmes, sont cloisonnés dans des emplois à faible salaire requérant peu de compétences. Ils sont considérés comme remplaçables, et leurs attentes ne trouvent que peu d'écho dans les relations sociales et professionnelles», écrivent les auteurs du rapport. De fait, dans les ZFE du monde entier, la main-d'œuvre est généralement à prédominance féminine mais dans certaines branches telles que celles du textile, de la confection et du montage d'appareils électroniques, les femmes représentent 90% ou plus des travailleurs.

Selon le BIT, cinq facteurs expliquent cet état de choses:

  • La majorité des pays dotés de zones franches d'exportation disposent d'une main-d'œuvre abondante désireuse d'y travailler, avec pour conséquence le maintien de bas salaires. Mais parfois, l'image de la zone franche est tellement mauvaise que les employeurs sont obligés de proposer des salaires plus élevés pour trouver des candidats;
  • Les zones franches sont particulièrement attirantes pour les industries à forte densité de main-d'œuvre, telles que le vêtement et la chaussure et l'assemblage de composants d'appareils électroniques. Ces industries utilisent une technologie relativement bon marché et simple et demandent une main-d'œuvre peu qualifiée. Le taux de roulement du personnel est généralement élevé mais cela importe peu car il est aisé de trouver des remplaçants;
  • Les généreuses incitations financières et le faible coût de lancement attirent des industries de transformation simple, généralement dépourvues d'une administration professionnelle en particulier en ce qui concerne les ressources humaines et la gestion. En outre, elles ne peuvent ou ne veulent investir dans les nouvelles technologies, la valorisation des compétences ou les améliorations de productivité. Enfin, les avantages sociaux qu'elles offrent à leurs salariés sont peu nombreux voire inexistants;
  • Le fait que ces activités de transformation et de montage soient à fort coefficient de main-d'œuvre signifie que la concurrence s'exerce essentiellement au niveau des prix et, comme les coûts salariaux représentent une part importante de l'ensemble des dépenses, elles cherchent à les contenir, ne voyant pas dans la main-d'œuvre une ressource à valoriser;
  • Rares sont les gouvernements qui ont su appliquer des mesures permettant de faire en sorte que les investissements réalisés dans les zones entraînent un transfert de technologie et de compétences bénéficiant à l'industrie et aux travailleurs locaux, ce qui a pour résultat que le capital humain est peu valorisé.

Le BIT estime que l'insuffisante valorisation des ressources humaines dans les ZFE risque d'empêcher celles-ci d'accroître leur productivité et d'améliorer la qualité des emplois. «Les relations professionnelles et la mise en valeur des ressources humaines restent deux des aspects les plus problématiques du fonctionnement des ZFE.» Les mécanismes censés relever les normes du travail laissent souvent à désirer: «Le type habituel de législation du travail, qui prévoit un «seuil» ou un cadre de normes minimales du travail ainsi que des négociations entre syndicats libres et employeurs en vue d'accords ayant force obligatoire est extrêmement rare dans les zones.»

Selon M. Auret Van Heerden, l'auteur principal du rapport: «Comme on peut s'y attendre, l'absence de normes minimales et la médiocrité des relations professionnelles ont pour résultats une rotation élevée des effectifs, l'absentéisme, la tension et la fatigue, de faibles taux de productivité et le gaspillage des matériaux; en outre, les conflits sociaux sont encore trop fréquents dans les ZFE.»

La loi de la zone franche contre la loi du pays

Les auteurs du rapport font observer que le plus souvent, la législation nationale régissant le travail et les relations professionnelles est applicable dans les zones. Ils indiquent par exemple qu'à Singapour, où le tripartisme est solidement ancré «il n'est pas question que les politiques relatives à l'investissement portent atteinte aux droits des travailleurs», et que cette conception des choses date des années soixante, époque à laquelle Singapour, qui commençait à peine à s'industrialiser, avait absolument besoin d'apports de capital.

A Maurice, où les ZFE connaissent un grand succès, «les entreprises des zones franches relèvent des lois du travail et du système des relations professionnelles». Toutefois, la loi de 1993 sur l'expansion industrielle leur donne plus de latitude, notamment pour le calcul des heures supplémentaires, qui fait constamment l'objet de critiques de la part du mouvement syndical. Certains secteurs de l'économie mauricienne connaissent une forte activité syndicale, mais dans les ZFE, seulement 9% des travailleurs sont syndiqués.

«Les Philippines», affirment les auteurs du rapport, «illustrent parfaitement le cas d'un pays doté de zones franches dans lesquelles il n'y avait pas de système approprié de réglementation du travail et de relations professionnelles mais qui, après des années de conflits sociaux, a procédé aux réformes nécessaires et instauré un système stable de relations professionnelles», comprenant le respect des droits syndicaux. Toutefois, tel n'est pas le cas dans toutes les zones: «Un certain nombre de zones privées semblent avoir adopté une politique visant un monde du travail «sans syndicats» qui va à l'encontre des lois du travail.»

Comme les Philippines, la République dominicaine a connu une période de troubles sociaux avant de procéder à des réformes qui ont «largement contribué à faire mieux respecter les normes du travail et à améliorer les relations de travail dans les zones». Aujourd'hui, 14 syndicats sont présents dans les zones mais ils se heurtent encore à des difficultés considérables pour négocier des conventions collectives. Au Costa Rica, les ZFE sont couvertes par les lois nationales, «toutefois, les activités syndicales ne sont pas très développées et les zones franches ne font pas exception», constatent les auteurs.

Rares sont les pays qui excluent ouvertement et officiellement les ZFE de leur législation nationale du travail et du système national des relations professionnelles. Au Bangladesh, les ZFE sont exclues de la portée de l'ordonnance sur les relations professionnelles qui consacre les droits d'organisation et de négociation dans d'autres secteurs. Il existe cependant une réglementation du travail applicable aux zones en ce qui concerne, par exemple, la classification des emplois, le salaire minimum, les périodes de congé et les jours fériés, la cessation d'emploi et les équipements sociaux (cliniques, réfectoires).

Le Pakistan a également exclu les zones de la portée de l'ordonnance sur les relations professionnelles et a interdit toute forme d'action revendicative.

Le Panama est le seul pays d'Amérique centrale à avoir adopté une législation du travail spécifiquement applicable aux zones, qui se substitue au Code du travail. Au départ un décret a été adopté, qui visait à restreindre l'influence des syndicats dans les zones. Mais celui-ci ayant suscité une forte opposition, il a été modifié de telle sorte que les libertés syndicales soient reconnues. «Toutefois, le décret reste sujet à controverse et la liberté syndicale n'est pas dûment établie dans les zones», écrivent les auteurs du rapport.

Le BIT affirme que seules les ZFE disposant d'une main-d'œuvre de qualité et jouissant d'une stabilité des relations professionnelles seront en mesure de satisfaire aux exigences de rapidité, de coût et de qualité de l'économie mondiale. Pour pouvoir exploiter pleinement leur potentiel de création d'emplois et de productivité, les ZFE ont besoin d'une stratégie adéquate de valorisation des ressources humaines. Pour pouvoir donner le coup de pouce souhaité à l'économie des pays d'accueil, les zones doivent établir davantage de liens avec les économies nationales. Enfin, grâce à la mise sur pied d'une infrastructure sociale, particulièrement pour répondre aux besoins des femmes (par exemple, des services de garde des enfants, des moyens de transport sûrs, des conditions de vie et de travail saines), l'emploi dans les ZFE serait beaucoup plus stable et beaucoup plus attrayant.

1 Questions relatives au travail et questions sociales dans les zones franches d'exportation. Bureau international du Travail, Genève, 1998. ISBN 92-2-211357-8. Prix: 15 francs suisses.

2 Bangladesh, Barbade, Chine, Costa Rica, République dominicaine, Maurice, Mexique, Philippines, Sri Lanka, Tunisie.