Notre impact, leur histoire

«Le travail des enfants ne doit jamais devenir une habitude»

Un groupe de chanteurs et chanteuses de Côte d’Ivoire est venu jusqu’à la Conférence internationale du Travail à Genève pour rappeler que le travail des enfants demeure une réalité que l’on doit combattre.

Reportage | 17 juin 2016
GENÈVE (OIT Info) – Akissi Delta est une actrice bien connue en Côte d’Ivoire. Durant plusieurs années, elle a été l’une des héroïnes d’un feuilleton satirique diffusé par la RTI, la télévision nationale.

Certains pourraient se demander pourquoi cette célèbre actrice a rejoint la troupe de chanteuses et chanteurs ivoiriens qui forment le «Chœur pour l’abolition du travail des enfants». Il s’agit cependant d’une démarche bien naturelle pour Akissi puisque le travail des enfants fait partie de son histoire personnelle et qu’elle en paie toujours le prix.

«J’écris et je lis très difficilement. C’est un handicap majeur dans ma vie professionnelle. Tout cela à cause du fait que je ne suis jamais allée à l’école», reconnaît-elle ouvertement.

Akissi évoque alors son enfance en Côte d’Ivoire. «Entre 2 et 8 ans, je vivais avec ma grand-mère et je passais la plupart de mon temps dans les champs. J’avais 8 ans quand ma tante est venue me chercher pour m’emmener à Abidjan, la capitale économique ivoirienne. J’ai été bien traitée, mais je ne suis jamais allée à l’école.»

A 13 ans, comme je n’avais pas fait d’études, j’ai commencé à travailler en tant que servante. Je gagnais à peine de quoi survivre, même si je devais travailler sans arrêt entre six heures du soir et une heure du matin », se souvient-elle.

Une nouvelle vie

L’histoire d’Akissi n’a rien d’exceptionnel dans de nombreux pays en développement. Mais après avoir été exploitée et victimes d’abus physiques, sa vie va pourtant changer grâce à sa rencontre avec un musicien ivoirien qui lui demande de travailler avec lui. Elle devient alors actrice en obtenant un rôle dans des comédies à succès comme «Comment ça va» et «Ma famille» diffusées à la télévision ivoirienne pendant des années.


Quand elle entend parler du projet d’une chanson contre le travail des enfants, elle contacte immédiatement Guy Constant Neza, un ancien journaliste devenu producteur qui est à l’origine de l’idée, en lui proposant son soutien.

Guy Constant Neza ne s’intéresse au travail des enfants que depuis 2012.

«J’étais journaliste à l’époque et on m’avait demandé d’assister à un atelier de sensibilisation contre le travail des enfants organisé par l’Organisation internationale du Travail (OIT). J’y suis allé sans rien en attendre mais ce fut un choc pour moi. Nous, en Côte d’Ivoire, avons tendance à nous habituer au travail des enfants alors que cela ne devrait pas exister», explique-t-il.

Il est d’autant plus touché par cette formation que ce qu’il entend lui rappelle un exemple précis vécu au sein même de sa famille.

«J’avais une cousine à peu près de mon âge qui s’appelait Angèle. Elle habitait au village alors que nous étions à Abidjan. Finalement, ma mère a fini par faire venir Angèle chez nous. Nous la traitions très bien avec une différence cependant: moi j’allais à l’école, mais pas elle. Quand j’y repense, c’était injuste car c’est justement parce que je suis allé à l’école que j’ai pu réussir dans la vie.»

Suite à la formation de l’OIT, Guy Constant Neza se dit alors qu’il est essentiel que chacun en Côte d’Ivoire puisse voir la question du travail des enfants avec un regard différent, pas comme quelque chose qui fait simplement partie du paysage quotidien mais comme une pratique qui doit être reconnue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une violation des droits de l’enfant à échapper à l’exploitation dans le secteur économique.

Le producteur entre en contact avec Serge Bilé, un célèbre parolier, qui écrit les paroles de la chanson «Mon enfant». Il embarque aussi dans le projet un des meilleurs arrangeurs du pays, David Tayorault. Enfin, il parvient à convaincre plusieurs artistes de la rejoindre, représentant des courants musicaux très divers: Bamba Amy Sarah, Nuella, Odia, Priss K, Sead, Spyrow, Tour 2 garde, pour n’en citer que quelques-uns.

La chanson fut alors enregistrée et une vidéo fut produite. Guy Constant Neza insista pour que chacun des artistes suive un atelier de formation afin d’être pleinement sensibilisé à la cause de la lutte contre le travail des enfants. La chanson fit l’objet de nombreuses diffusions sur les ondes de la RTI et sur les radios privées ivoiriennes.

Mais le producteur voulait aussi atteindre les populations vivant en dehors des zones urbaines comme Abidjan. Trois concerts furent alors organisés dans les localités de Soubré, Abengourou et Bouaflé. Jusqu’à 10,000 personnes y assistèrent pour la seule ville de Soubré.

Célébrer la journée mondiale

Bien loin de la Côte d’Ivoire, les chanteurs ivoiriens ont fait partie cette année des invités d’honneur de la cérémonie officielle organisée par l’OIT au Palais des nations de Genève pour célébrer la Journée mondiale de lutte contre le travail des enfants (12 juin).

«On ne pourra mettre fin au travail des enfants que si les populations locales comprennent le problème, sont d’accord et agissent pour ne plus rester aveugles face à la réalité que constitue le travail des enfants. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de soutenir le Chœur», explique Mary Read, responsable de l’unité «partenariats et plaidoyer» du secteur Principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT.

Guy Constant Neza espère maintenant que ce voyage en Suisse va permettre au groupe d’organiser de nouveaux concerts en Côte d’Ivoire.

D’ores et déjà, Akissi écrit actuellement le scénario d’une nouvelle série de «Ma famille», mettant l’accent cette fois-ci sur le travail des enfants afin que celles et ceux qui regardent ce programme en Côte d’Ivoire et dans les pays voisins se rendent compte que le travail des enfants peut ruiner l’avenir d’un enfant.

«Je sais de quoi je parle puisque moi-même, aujourd’hui encore, j’ai besoin que l’on m’aide pour écrire un scénario ou même pour rédiger un simple e-mail, justement parce que je ne suis pas allée à l’école à cause du travail des enfants», conclut-elle.