Pires formes du travail des enfants

Combattre l’exploitation sexuelle commerciale des enfants à Madagascar

L’OIT et l’UE s’associent dans le cadre d’un projet novateur qui mise sur l’éducation pour aider les enfants à construire leur vie

Reportage | 30 avril 2014
ANTANANARIVO (OIT Info) – Enfant d’une famille nombreuse et démunie du nord de Madagascar, Bernadette T. raconte qu’elle avait 13 ans quand elle a commencé à «fréquenter» des hommes. A 14 ans, elle est tombée enceinte.
«Après avoir accouché, j’ai recommencé à fréquenter de nombreux hommes, surtout des touristes, comme cela je pouvais subvenir aux besoins de ma famille.»

A l’âge de 16 ans, elle a été soustraite à l’exploitation sexuelle, grâce à TACKLE, un projet conjoint de l’UE et du Programme international de l’OIT pour l’abolition du travail des enfants (IPEC).

«Vu les dangers et les risques que je courais, j’ai accepté de cesser mes activités antérieures», dit-elle, ajoutant qu’elle a pris la décision après avoir consulté sa famille qui gagnait sa vie en brûlant du bois pour en faire du charbon.

Dans le cadre d’un projet TACKLE – qui signifie en anglais Combattre le travail des enfants à travers l’éducation – mené dans le village de Ramena, Bernadette a suivi un cours d’alphabétisation pendant trois mois, puis une formation de six mois dans le tourisme et l’hôtellerie. Aujourd’hui âgée de 19 ans, elle dit gagner «décemment sa vie» en travaillant pour un groupe environnemental.

Martin Antoine Ranaivorarisoa, qui habite à Ramena, explique que la collaboration entre la communauté de Ramena et l’OIT «a été une réussite puisque des enfants ont été retirés de l’exploitation commerciale, et leurs parents, pour la plupart, ont été encouragés à maintenir ou renvoyer leurs enfants à l’école». Madagascar – comme d’autres pays dans le monde –souffre depuis longtemps du fléau de l’exploitation sexuelle des enfants mais, avec le déclin de l’économie depuis 2009, le problème a pris une ampleur nouvelle.

C’est ce qui ressort clairement du rapport de décembre 2013 de Najat Maala M’Jid, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions de vente d’enfants, de prostitution et de pornographie impliquant des enfants.

La prostitution à Madagascar atteint un niveau alarmant et a nettement augmenté au cours des dernières années."
Najat Maalla M’Jid, UN
Les chiffres fiables sont difficiles à réunir, mais Mme M’Jid a déclaré dans son rapport que les experts s’accordent sur le fait que «la prostitution à Madagascar atteint un niveau alarmant et a nettement augmenté au cours des dernières années, surtout depuis 2009».

En 2013, les réseaux de protection infantile à Madagascar ont constaté que près d’un quart des cas d’abus sur enfants répertoriés dans neuf régions du pays concernait des infractions sexuelles. La même année, l’ONG française ECPAT a affirmé que sur 1 237 personnes se livrant à la prostitution suivies dans la capitale Antananarivo, 1 132 avaient moins de 18 ans. Le tourisme sexuel représente une bonne part de la demande de travailleurs du sexe.

En 2011, la dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres officiels, 225 000 touristes ont visité Madagascar, une hausse de 15 pour cent par rapport à l’année précédente. Et, si la plupart d’entre eux ont incontestablement fait le voyage pour découvrir la faune et la flore uniques du pays et ses plages magnifiques, quelques-uns avaient des motivations sordides.

Ouvrir la voie au changement


Dans le cadre de la Journée mondiale de lutte contre l’exploitation sexuelle le 4 mars 2014, le Bureau de l’OIT à Madagascar a exhorté le gouvernement, les partenaires sociaux et les habitants de Madagascar d’agir avec efficacité et détermination en vue d’éradiquer l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.

«Le combat ne s’arrête pas à la Journée mondiale; ce doit être une lutte au quotidien. L’exploitation sexuelle commerciale des enfants mine la société malgache», observe Christian Ntsay, Directeur du Bureau de l’OIT à Antananarivo.

Grâce au soutien de l’OIT, plus de 1 000 enfants malgaches ont été sortis de situations d’exploitation sexuelle."
Directeur du Bureau de l’OIT à Antananarivo
«Grâce au soutien de l’OIT, plus de 1 000 enfants malgaches ont été sortis de situations d’exploitation sexuelle et accompagnés dans leur retour vers l’éducation formelle et la formation professionnelle», ajoute-t-il.

En collaboration avec la Commission nationale de lutte contre le travail des enfants, l’OIT a aussi organisé un atelier interactif pour les autorités locales et les acteurs du tourisme sur l’île malgache de Nosy-Be afin de sensibiliser au problème de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales des enfants et d’élaborer un plan de travail pour y remédier.

Avec le soutien de l’OIT et de l’UNICEF, le ministère du Tourisme a élaboré un Code de conduite pour lutter contre l’exploitation sexuelle commerciale. Le Code a maintenant été adopté par l’industrie du tourisme et de l’hôtellerie de Nosy-Be et par la ville de Tulear. Quelque 220 opérateurs du secteur touristique l’ont signé à Nosy-Be et 35 autres à Tulear.

Parallèlement, le gouvernement de Madagascar a adopté un Plan national d’action 2014-2019 pour éradiquer les pires formes de travail des enfants qui comprennent des initiatives de lutte contre la traite d’êtres humains et contre l’exploitation sexuelle à des fins commerciales. Dans le cadre de ce Plan, l’OIT a lancé des campagnes de prévention dans plusieurs régions malgaches. L’OIT a également mis en place un système de surveillance du travail des enfants dans le pays.

Madagascar a ratifié la convention (n° 182) de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants en 2001.

La protection de l’enfant menacée


L’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales est l’une des pires formes de travail des enfants et constitue une menace particulièrement grave pour la protection des enfants dans plusieurs pays africains, y compris le Kenya et l’Afrique du Sud.

L’OIT considère l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales comme une abominable atteinte à la dignité humaine et une violation grave des droits des enfants et des adolescents, et une forme d’exploitation économique comparable à l’esclavage et au travail forcé, qui implique aussi un crime de la part de ceux qui utilisent des garçons et des filles dans des activités sexuelles rémunérées – pas seulement ceux qui proposent des enfants dans le cadre de la prostitution (par exemple les proxénètes et les tenanciers de maison close) mais aussi ceux qui sont des «clients».

«Même si ce problème a beaucoup gagné en visibilité au fil des ans, grâce aux efforts conjoints de nombreux acteurs, des millions d’enfants de par le monde sont encore victimes d’exploitation sexuelle aujourd’hui et voient leur enfance volée», constate Mme M’Jid dans son rapport.

«Si le tourisme sexuel avec des enfants a tendance à être plus fréquent dans les pays en développement, aucun pays ni aucune destination touristique n’y échappe. Les destinations changent constamment, avec des délinquants favorisant les destinations où les contrôles et la législation sont moins stricts, où ils peuvent agir en toute impunité.»

Qu’est-ce que l’exploitation sexuelle commerciale des enfants?
  • L’utilisation de garçons ou de filles dans des activités sexuelles rémunérées en espèces ou en nature (couramment appelé prostitution enfantine) dans la rue ou dans des établissements comme des maisons closes, discothèques, salons de massage, bars, hôtels, restaurants, etc.
  • La traite de garçons, de filles et d’adolescents à des fins d’exploitation sexuelle commerciale.
  • Le tourisme sexuel avec des enfants.
  • La production, la promotion et la distribution de matériel pornographique impliquant des enfants.
  • L’utilisation d’enfants dans des spectacles sexuels, publics ou privés.