Discrimination

Etre une femme d'origine ethnique: double peine au travail

Les femmes appartenant à une minorité ethnique sont confrontées à une double discrimination sur leur lieu de travail en raison de leur couleur de peau et de leur sexe. Beaucoup d’entre elles ne dépassent pas le stade de la candidature à cause d’un simple nom.

Reportage | 31 janvier 2013
GENÈVE (OIT Info) – Quand Jorden Berkeley, jeune diplômée de 22 ans, a commencé à postuler pour du travail, elle a été surprise de ne recevoir aucune réponse.

Née au Royaume-Uni de parents caribéens, elle n’avait jamais songé que son nom pourrait poser problème. Mais un conseiller d’orientation lui a suggéré de commencer à utiliser son deuxième prénom qui sonne plus anglais – Elisabeth – pour ses candidatures.

«Ce qu’on m’a dit m’a étonnée mais j’ai ajouté mon deuxième prénom sur mon CV. J’ai commencé à recevoir des réponses, pas forcément des offres d’emploi mais je suis passée du silence absolu à des entretiens d’embauche. Cela m’a ouvert les yeux. J’en ai parlé à des amis et à ma famille, il semble que cela arrive fréquemment. J’ai même entendu parler de femmes musulmanes qui devaient enlever leur voile pour décrocher un emploi», a confié Mme Berkeley à OIT Info.

J’ai ajouté mon deuxième prénom sur mon CV. J’ai commencé à recevoir des réponses."
Zunade Powell, 22 ans, elle aussi d’origine caribéenne, a vécu une expérience similaire, recevant davantage d’appels lorsqu’elle utilisait son deuxième prénom, Renatta. Quand su amie, Jemilia Wisdom, a commencé à travailler comme assistante d’éducation, elle a également été confrontée à la discrimination.

«Je portais mes cheveux au naturel, une coupe afro. Nous approchions d’une inspection de l’école et l’on m’a dit que pendant que les inspecteurs seraient là je devrais faire quelque chose avec mes cheveux, que je devais les natter. J’ai répondu que mes cheveux poussaient comme cela et que je n’allais pas les discipliner pour leur plaire.»

Au Royaume-Uni, un rapport parlementaire a montré qu’en 2011 le taux de chômage chez les femmes issues de minorités ethniques dépassait les 14 pour cent, soit plus du double de celui des femmes non apparentées aux minorités ethniques, et même supérieur au taux de chômage des hommes issus d’ethnies minoritaires.

Chez les femmes d’origine pakistanaise et bangladaise, ce taux grimpait à 20,5 pour cent. De nombreuses femmes issues de ce groupe ethnique ont fait état de questions portant sur leurs intentions en termes de mariage et d’enfants en raison de préjugés liés à leurs origines, précise le rapport.

Dans d’autres régions du monde, en particulier en Amérique latine et dans certaines zones d’Asie, les femmes indigènes sont souvent victimes de discrimination quand elles arrivent sur le marché du travail. Elles sont parfois ridiculisées et sujettes à des abus physiques et verbaux en raison du port de leur costume traditionnel au travail.

«Partout dans le monde les femmes indigènes font face à des discriminations, pas seulement liées à leur sexe, mais également en raison de leur origine ethnique, de la couleur de leur peau ou de leurs croyances religieuses. Ces discriminations multiples sont particulièrement manifestes au moment où les femmes, surtout les jeunes femmes indigènes, entrent sur le marché du travail et essaient d’y progresser», constate Jane Hodges, Directrice pour l’égalité entre hommes et femmes au BIT.

De multiples formes de discrimination persistent


Plus de 170 pays ont ratifié la convention (n° 111) de l’OIT concernant la discrimination (emploi et profession), qui remonte à 1958. Pourtant, le dernier rapport de l’OIT sur l’égalité au travail relevait que la discrimination continuait d’être «un phénomène constant et multiforme» et qu’elle s’était aggravée avec la crise économique mondiale.

«La discrimination revêt désormais des formes plus diverses et la discrimination fondée sur des motifs multiples devient aujourd’hui la règle plutôt que l’exception», indique le rapport.

Selon une étude de l’OIT sur les multiples formes de discrimination dans de nombreuses régions du monde, la sélection au faciès à l’encontre des hommes musulmans et les codes vestimentaires visant les musulmanes au travail se sont généralisés dans un contexte de tensions politiques mondiales après les attaques du 11 septembre 2001 sur les Etats-Unis.
La discrimination fondée sur des motifs multiples devient aujourd’hui la règle plutôt que l’exception."


La difficulté, disent les chercheurs, consiste à faire la distinction entre les motifs d’exclusion liés à l’origine nationale, ethnique, raciale, l’appartenance religieuse et sexuelle qui s’entremêlent.

Lisa Wong, chargée des questions de discrimination à l’Organisation internationale du Travail (OIT), indique que la discrimination raciale est un sujet de préoccupation prioritaire pour l’OIT. Elle supervise l’élaboration d’un manuel sur la promotion de la diversité ethnique en milieu de travail, dont la version initiale a été testée en Afrique du Sud en janvier 2013.

«Malgré des législations du travail établies de longue date qui régissent la discrimination raciale aussi bien dans les pays industrialisés que dans les économies en développement, cette forme de discrimination, surtout quand elle recoupe la discrimination sexuelle, demeure un véritable défi», affirme Mme Wong.

Le manuel fournira des recommandations stratégiques simples telles que la conduite d’un audit sur la diversité ethnique, la rédaction et l’application d’une politique en faveur de la diversité; il inclura aussi des conseils sur la manière de travailler avec les organisations d’employeurs et de travailleurs afin de sensibiliser les chefs d’entreprise et d’améliorer leur capacité à instruire efficacement les plaintes.

«Si elles sont correctement gérées et mises en œuvre, ces étapes peuvent non seulement aboutir à une diversification des effectifs mais également ouvrir l’accès à des marchés de consommateurs nouveaux et variés, ce qui va d’abord agir sur l’image de l’entreprise mais à terme sur ses bénéfices également», ajoute Mme Wong.