Egalité hommes-femmes

Les juges africains et le droit du travail

L’OIT soutient l’action de 25 juges africains pour lutter contre les discriminations sexuelles dans les tribunaux mais les enjeux culturels demeurent le principal obstacle pour certains d’entre eux.

Reportage | 26 octobre 2012
GENÈVE (OIT Info) – Cela peut prendre jusqu’à trois ans pour que des employés vivant avec le VIH/sida qui ont été licenciés voient leur plainte jugée devant les tribunaux du travail du Botswana.

Dans l’intervalle, ils auraient pu mourir, explique Annah Mathiba, juge à la Cour industrielle du Botswana, à Gaborone, la capitale.

Depuis qu’elle a participé à une formation de l’OIT sur l’égalité entre hommes et femmes au travail, Mme Mathiba a commencé à chercher comment donner la priorité aux affaires concernant des employés vivant avec le VIH/sida.

«Quand je suis revenue de ma formation, ce que j’avais en tête, c’était de faire passer une proposition qui leur donnerait priorité, étant donné qu’en jugeant une affaire au bout de trois ans il y a de fortes chances que la personne ne soit plus là.»

Mme Mathiba était l’une des 25 juges africains venus d’Afrique du Sud, du Botswana, du Malawi, du Nigéria et de Zambie pour participer à une formation d’une semaine au centre de formation de l’OIT à Turin, en Italie, organisée par le Bureau pour l’égalité hommes-femmes de l’OIT.

Il fut une époque où j’appliquais aveuglément les normes internationales du travail sans véritablement savoir d’où je tenais cette autorité.»
Le but était d’apporter à ces professionnels de la justice les connaissances dont ils avaient besoin en matière de droit international du travail afin de pouvoir les appliquer lorsqu’ils auraient à gérer les questions d’égalité hommes-femmes dans leurs tribunaux. Le VIH/sida – qui affecte de manière disproportionnée les femmes – était l’un des thèmes de la formation et a fait l’objet d’une recommandation de l’OIT.

«J’ai eu à traiter un cas où une employée s’est rendue à son travail un matin et a dit vouloir aller chez son docteur», explique Mme Mathiba. «Le patron a insisté pour qu’elle lui fournisse un certificat médical, a vu son statut sérologique et a saisi n’importe quelle occasion pour menacer son employée. Dans d’autres affaires, les employés sont contraints de subir un dépistage du VIH. S’ils refusent, ils sont renvoyés.»

Dans bien des cas, la discrimination n’est pas si manifeste, ce qui rend plus difficile de faire respecter les normes internationales du travail.

Le plein exercice du droit


«Il fut une époque où le droit n’était pas très clair pour moi. J’appliquais alors aveuglément les normes internationales du travail sans véritablement savoir d’où je tenais cette autorité», ajoute Mme Mathiba.

Elle a maintenant repris ses fonctions. Elle dit qu’elle peut aborder ses affaires avec toute la légitimité que lui confèrent les normes internationales du travail, en particulier celles qui ont trait aux travailleurs domestiques et aux employés atteints du VIH/sida.

«La formation m’a fait découvrir des normes internationales du travail que je connaissais à peine auparavant. En particulier, la recommandation n° 200 concernant le VIH et le sida qui est encore toute nouvelle et que nous n’avions jamais appliquée dans nos jugements du fait de notre ignorance. Maintenant que je la connais, c’est plus facile pour moi de rendre des jugements en m’appuyant sur des instruments juridiques internationaux.»

Jane Hodges, qui dirige le Bureau pour l’égalité hommes-femmes à l’OIT, confirme que la lutte contre les discriminations est une dimension primordiale de la campagne de l’OIT pour le «travail décent».

Il y a un sentiment de honte à porter plainte pour harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Les victimes ne vont pas en justice pour se plaindre.»
«Il est d’une importance vitale que le droit, et la manière dont les tribunaux l’interprètent, fasse valoir l’égalité entre les sexes au travail. C’est la pierre angulaire sur laquelle repose tout le travail de l’OIT visant à promouvoir l’égalité entre les travailleurs et les travailleuses.»

«Sans de bonnes lois qui prennent en compte la dimension de genre, sans une interprétation adéquate et attentive à l’égalité des sexes de ces lois par les cours de justice, il ne saurait y avoir de réel progrès pour l’égalité hommes-femmes», a-t-elle ajouté.

Le droit à l’épreuve du monde réel


Mais les réalités juridique et tangible du monde ne coïncident pas toujours. Benedict Kanyip, le Juge qui préside la Cour industrielle du Nigéria à Lagos voit rarement des affaires de discrimination sexuelle dans sa juridiction. Non pas qu’elles n’aient pas lieu dans le monde du travail nigérian. En fait, il a entendu parler de quelques cas flagrants de discrimination.

Le problème est, dit-il, que la plupart des employés sont réticents à porter plainte devant les tribunaux.

«Le handicap que nous avons, c’est que tant qu’un dossier n’est pas déposé les juges ne peuvent pas faire grand chose. L’égalité entre hommes et femmes est un enjeu mais c’est un problème qui comporte une dimension culturelle. Il y a un sentiment de honte à porter plainte pour harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Les victimes ne vont pas en justice pour se plaindre.»

M. Kanyip dit qu’il dispose des outils, des instruments juridiques, pour appuyer ces jugements mais, explique-t-il, «les outils ne nous servent à rien si les femmes et les hommes ne portent pas plainte».

«Les gens doivent faire preuve de courage pour aller au tribunal. Même si vous les informez de leurs droits, cela ne suffit pas. Ils savent quand on leur fait subir quelque chose de répréhensible mais c’est la force d’aller en justice qui fait défaut.»