Agir ensemble pour le développement: intégrer les personnes handicapées

Cette année, la Journée internationale des personnes handicapées a pour thème «Tenir la promesse des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD)»: il s’agit de s’assurer que le handicap et les préoccupations des personnes handicapées soient reflétés dans les engagements pris par la communauté internationale de réduire la pauvreté d’ici à 2015. La prise en compte du handicap dans le développement ne contribue pas seulement à améliorer la vie des personnes handicapées, elle peut aussi accélérer la réalisation des OMD. Reportage de BIT en ligne sur ce thème.

Article | 1 décembre 2010

ADDIS-ABEBA (BIT en ligne) – Jeune homme souffrant d’un handicap moteur cérébral, la première fois que Mesfin Kebede a essayé de se faire attribuer un don d’ordinateur, on lui a répondu qu’une «personne handicapée avait besoin d’une béquille ou d’un fauteuil roulant mais pas d’un ordinateur».

«Dans l’incapacité de faire valoir mes droits et parce qu’à l’époque il n’existait aucune loi protégeant les droits des personnes handicapées, je n’ai eu d’autre choix que de rentrer chez moi, frustré», raconte-t-il.

Mais il n’a pas abandonné. Quand il a finalement obtenu un ordinateur et l’accès à Internet, sa vie a complètement changé. «J’ai découvert un nouveau monde de courage et d’espoir», dit-il. Des choses qui me semblaient impossibles comme de grimper au sommet d’une montagne, ou inaccessibles comme le ciel étaient enfin à ma portée parce que toutes les informations étaient là, au bout de mes doigts.»

Aujourd’hui, il travaille comme traducteur, y compris pour le Bureau de l’OIT à Addis; il est aussi membre du Conseil d’administration du Centre éthiopien pour le handicap et le développement, une organisation non gouvernementale qui encourage la prise en compte des personnes handicapées dans les efforts de développement du pays et dans les programmes de réduction de la pauvreté. Mais il fait partie de ceux qui ont eu de la chance.

Dans les pays en développement, les personnes handicapées connaissent des taux de pauvreté disproportionnés. Elles sont confrontées à l’exclusion de la vie sociale, économique et politique courante, avec un accès limité à des domaines essentiels du développement comme les soins de santé, l’éducation, le logement, la formation qualifiante et l’emploi. Bien que le handicap soit concerné par les huit Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), les questions liées au handicap ne sont pas explicitement incluses dans le cadre des OMD.

«Le développement consiste à ramener les personnes exclues, comme les femmes et les hommes porteurs de handicap, au sein de la société», explique Fantahun Melles, coordinateur du programme national OIT-Irish Aid sur le handicap/Ethiopie. «Si l’on ne parvient pas à insérer les personnes handicapées dans le courant des programmes de développement, il sera presque impossible de diminuer la pauvreté de moitié d’ici à 2015», comme le proclament les OMD.

«Il n’est pas toujours facile d’amener les autres à adopter des approches plus inclusives ou à intégrer les questions relatives au handicap dans leur action. Nous devons démanteler les obstacles qui empêchent toujours les personnes handicapées de pleinement participer au monde du travail et à la société, de façon à ce qu’elles soient intégrées dans toutes les sphères de la vie et qu’elles aient des chances égales de contribuer à leur communauté et à leur société», constate M. Melles.

Progressivement, le Programme OIT-Irish Aid sur le handicap1 commence à porter ses fruits. «Dans le contexte de l’OMD 1 – Eliminer l’extrême pauvreté et la faim – nous avons enregistré des progrès en termes de génération de revenus et de possibilités d’emploi pour les personnes handicapées dans tous les domaines du travail, y compris l’auto-entreprise, au cours des dernières années», ajoute-t-il.

Depuis 2008, l’OIT a noué un partenariat avec Irish Aid dans certains pays d’Afrique pour promouvoir l’intégration des femmes et des hommes ayant un handicap dans les services généraux et les programmes de formation professionnelle, d’emploi et de développement de l’entreprenariat. Le partenariat reconnaît le handicap et le considère comme une priorité pour atteindre les cibles des OMD2, tout en contribuant à l’OMD 8 – Mettre en place un partenariat mondial pour le développement. La multiplication des femmes chefs d’entreprise figure également parmi les thèmes phares de Programme OIT-Irish Aid, contribuant ainsi à l’OMD 3 – Promouvoir l’égalité entre hommes et femmes et l’autonomisation des femmes.

Dans de nombreuses villes d’Afrique australe et de l’Est, l’OIT et Irish Aid travaillent avec les gouvernements, les groupes d’employeurs et de travailleurs, et des organisations représentant les personnes handicapées en vue de former les femmes avec ou sans handicap qui souhaitent lancer leur entreprise ou qui en possèdent déjà une. Ces dernières années, ils ont formé des femmes porteuses de handicap qui ont ensuite transmis leurs compétences à d’autres. Le programme a remporté un franc succès parce que son premier axe fut d’organiser le soutien aux femmes handicapées dans le cadre des mécanismes de génération de revenus classiques et l’accès aux services et systèmes d’aide.

Prenez le cas de Shemsiya Hiyar, handicapée du fait d’une blessure d’enfance. «Shemsiya compte parmi ceux qui ont eu la chance de bénéficier du programme de développement des entreprises financé par l’OIT et Irish Aid. En tant que fabricante de produits de maroquinerie, la formation qu’elle a reçue lui a permis de diversifier son activité en fabriquant des ceintures et des portefeuilles qui donnent maintenant du travail à cinq personnes. Aux côtés du gouvernement, plusieurs acteurs ont pris part à ce processus», ajoute M. Melles.

La Fédération des associations nationales éthiopiennes de personnes handicapées (FENAPD), une association qui abrite six associations nationales dédiées au handicap, fut l’un des principaux partenaires de l’OIT et d’Irish Aid pendant les premières années du programme. Des femmes ayant un handicap ont été intégrées au comité de gestion du projet – une «première» dans l’autonomisation de ces femmes pour se prendre en charge.

Shemsiya est reconnaissante à la FENAPD de l’avoir aidé à dynamiser son chiffre d’affaires grâce aux nouvelles compétences acquises dans le domaine du marketing et de la promotion de ses produits.

«Ma vie a beaucoup changé avec ce travail. C’est une chose fondamentale de pouvoir devenir autosuffisant, explique Shemsiya. Rien n’est plus difficile que de dépendre des autres.»

M. Melles identifie plusieurs propositions d’action conduisant vers un développement intégrateur. «Une première étape essentielle est d’intégrer la dimension du handicap dans les politiques et les lois relatives au marché du travail afin d’assurer que les droits et la représentation des personnes handicapées soient reconnus et élargis. Pour donner effet aux engagements juridiques et politiques, les personnes handicapées doivent avoir accès aux programmes et services de formation professionnelle et d’emploi traditionnels, comme l’exige la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. L’Ethiopie a ratifié cette convention en février 2010. En outre, des services d’appui devraient être mis en place localement afin que l’on puisse atteindre les personnes handicapées des zones rurales et celles qui vivent dans la pauvreté; la perspective du handicap devrait être considérée comme un facteur de développement du pays et intégrée dans les stratégies de réduction de la pauvreté. Pour suivre les progrès, nous devons collecter des données comparables et plus fiables sur les personnes handicapées.» Il a également ajouté que si le principal objectif demeure l’intégration, des programmes ou des initiatives spécifiques pour les personnes handicapées qui sont particulièrement défavorisées continueront d’être indispensables dans un futur proche.

«Il reste encore beaucoup à faire à la fois dans les économies développées et dans les pays en développement pour s’assurer que les personnes handicapées soient intégrées dans tous les secteurs de la société. En travaillant ensemble cependant, nous pouvons soutenir des centaines de milliers et même des millions de personnes handicapées dans le monde pour transformer leur vie et leur donner accès à un travail décent et à une vie meilleure», relève M. Melles.

«Chacun pourra bénéficier de ces approches plus inclusives dans l’éducation, la formation et l’emploi qui garantissent des marchés du travail plus ouverts. L’insertion permet aux personnes handicapées de prendre leur place en tant que citoyens sur un pied d’égalité avec les autres et d’apporter leur contribution à la communauté», souligne Mme Pia Korpinen, administratrice technique régionale, chargée des questions de handicap, Programme de partenariat OIT-Irish Aid en Afrique.

Pour Mesfin, l’enjeu que représente l’intégration de chacun est très clair: «Si on leur offre de véritables débouchés et qu’on les soutient, si nécessaire, de nombreuses personnes handicapées pourront émerger comme de grands penseurs et des membres actifs de la société.»

1 Le programme de partenariat OIT-Irish Aid finance deux projets spécifiquement consacrés au handicap en Afrique: l’un favorise l’employabilité et l’emploi des personnes handicapées au moyen d’une législation adaptée et appliquée; l’autre soutient l’intégration des personnes handicapées dans les formations qualifiantes générales, les services pour l’emploi et dans le développement de l’entreprenariat et des entreprises.

2 Un projet de résolution adopté par la Troisième commission de l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 2010 appelle à intensifier les efforts pour garantir que les personnes handicapées soient prises en compte dans tous les aspects des efforts de développement, et qu’elles y aient accès. Pour visualiser le projet de résolution:

http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/N10/618/42/PDF/N1061842.pdf?OpenElement