Travailleurs domestiques

Travail décent pour les travailleurs domestiques: vers de nouvelles normes internationales du travail

Le travail domestique emploie des millions de personnes dans le monde, essentiellement des femmes. La session de juin 2010 de la Conférence internationale du Travail accueillera la première discussion sur une nouvelle norme internationale du travail consacrée à la main-d’œuvre domestique qui est en plein essor à l’échelle mondiale. BIT en ligne s’est entretenu avec Manuela Tomei, directrice du Programme sur les conditions d’emploi et de travail du BIT, au sujet des conditions de travail qui prévalent dans ce secteur et de la possibilité de les améliorer.

Article | 31 mai 2010

BIT en ligne: Comment définiriez-vous le travail domestique?

Manuela Tomei: Les travailleurs domestiques peuvent faire la cuisine ou le ménage, s’occuper d’animaux domestiques ou prendre soin des enfants, de personnes âgées ou handicapées. Ils travaillent à temps complet ou partiel, sont salariés d’un ou plusieurs employeurs. Ils peuvent aussi être indépendants avec un contrôle drastique de leurs conditions d’exercice, ou dispenser des services chez des particuliers tout en étant rémunéré par des institutions agréées. Les travailleurs domestiques, en particulier les migrants employés de maison à plein temps, peuvent également être logés au domicile de leur employeur.

BIT en ligne: Quelle est la composition de cette main-d’œuvre?

Manuela Tomei: La composition varie par pays et au fil du temps mais, partout, ses effectifs augmentent. Si le travail domestique est souvent l’apanage des femmes, majoritairement immigrées, les hommes peuvent aussi être employés comme jardiniers, gardiens de résidences privées ou chauffeurs de maître. Selon un nouveau rapport du BIT préparé pour la Conférence internationale du Travail de cette année, le travail domestique absorbe une proportion significative de la main-d’œuvre, variant de 4 à 10 pour cent de l’emploi total dans les pays en développement et atteignant jusqu’à 2,5 pour cent dans les pays industrialisés.

BIT en ligne: Quelles sont les raisons qui expliquent cette hausse du travail domestique?

Manuela Tomei: L’évolution de l’organisation du travail et l’intensification des tâches, ainsi que la hausse sensible du taux d’activité des femmes qui les a rendues moins disponibles pour les tâches ménagères non rémunérées sont à l’origine de cette augmentation. Parallèlement, le vieillissement des sociétés, l’intensification des mouvements des migrations nationales et internationales des femmes et le désengagement de l’Etat dans le secteur des services sociaux et à la personne ont rendu plus difficile pour les familles de concilier travail rémunéré et responsabilités familiales. De ce fait, le recours au travail domestique s’est accru partout dans le monde comme stratégie individuelle pour soulager les tensions croissantes entre travail et vie privée.

BIT en ligne: Quelles sont leurs conditions de travail?

Manuela Tomei: Malgré une importance socio-économique accrue, le travail domestique a été et demeure l’une des formes d’emploi les plus précaires, mal rémunérées, dépourvues de sécurité et de protection. De nombreux employés de maison sont surchargés de travail, sous-payés et ne bénéficient d’aucune protection. Abus et exploitation sont monnaie courante, en particulier lorsqu’il s’agit d’enfants et de travailleurs migrants. En raison de leur jeune âge ou de leur nationalité, et du fait qu’ils vivent souvent au domicile de leur employeur, ils sont particulièrement vulnérables aux violences verbales et physiques. Ces violences, qui peuvent aller jusqu’au suicide et au meurtre dans le pire des cas, sont fréquemment dénoncées dans les médias.

BIT en ligne: D’où vient ce manque de protection?

Manuela Tomei: Le grave déficit de travail décent auquel sont confrontés les travailleurs domestiques est une conséquence de leur vulnérabilité sociale et juridique. Les travailleurs domestiques sont exclus en droit ou en pratique de la protection effective de la législation nationale du travail et des régimes de sécurité sociale – à la fois dans les pays industrialisés et dans les pays en développement. Un autre cas est l’exclusion flagrante des travailleurs domestiques du champ de la législation relative à la santé et à la sécurité au travail dans la plupart des pays, le foyer étant à tort perçu comme sûr et sans risque.

BIT en ligne: Quelle est la particularité du travail domestique qui nécessite une réglementation spéciale?

Manuela Tomei: Le travail domestique se distingue des autres formes de travail à bien des égards. Premièrement, le travail domestique est généralement confiné à l’intérieur des maisons, restant ainsi hors de portée des mécanismes conventionnels de contrôle, tels que les services d’inspection du travail qui se heurtent à des obstacles juridiques et administratifs pour l’inspection de locaux privés. Deuxièmement, le travail domestique correspond au travail habituellement assumé à titre gracieux par les femmes; il est par conséquent perçu comme n’ayant pas de valeur et extérieur à l’économie «productive». Cela explique pourquoi les travailleurs domestiques gagnent généralement de faibles salaires, qu’ils sont souvent sous-payés ou que leur salaire n’est pas versé à intervalles réguliers.

Troisièmement, les travailleurs domestiques ont un pouvoir de négociation limité parce qu’ils constituent une main-d’œuvre «invisible» et isolée (travaillant au sein des foyers, à l’abri des regards), sans collègues de travail vers lesquels se tourner pour trouver appui et conseils sur ce qui peut être considéré comme une juste revendication ou un traitement inacceptable. Quand il s’agit de travailleurs migrants, l’isolement peut être encore plus important puisqu’ils ne maîtrisent souvent pas la langue locale ou nationale, qu’ils n’ont ni famille ni réseaux de soutien sur lesquels s’appuyer. Toutes ces caractéristiques renforcent la perception du travail domestique comme n’étant pas un «vrai» travail et contribuent ainsi à ce qu’il soit toujours sous-évalué et négligé.

BIT en ligne: Pourquoi avons-nous besoin de normes internationales du travail consacrées au travail domestique?

Manuela Tomei: Les normes internationales du travail existantes n’offrent pas d’orientation suffisante sur la manière d’assurer une protection significative aux travailleurs domestiques, soit parce qu’elles ne traitent pas du contexte spécifique dans lequel s’exerce le travail domestique, soit parce qu’elles permettent leur exclusion. Cela a conduit le Conseil d’administration du BIT à décider d’inscrire une question sur le travail décent pour les travailleurs domestiques à l’ordre du jour de la 99e session (2010) de la Conférence internationale du Travail (CIT) en vue de l’élaboration de normes du travail, selon la procédure de double discussion. Cela signifie qu’en 2010 la CIT sera appelée à débattre de l’intérêt et de la forme d’un éventuel instrument international sur ce thème, et qu’une décision finale quant à une possible adoption sera prise en juin 2011.

Pour être efficace, une norme internationale spécifique aux travailleurs domestiques devra réaffirmer les protections auxquels les employés de maison ont déjà droit en vertu des normes de l’OIT en vigueur, tout en reconnaissant la particularité de leur relation de travail et en élaborant des normes spécifiques qui fassent de ces droits une réalité. La décision de débattre d’une telle norme sur le travail décent pour les travailleurs domestiques reflète l’engagement de l’OIT, tel qu’il est stipulé dans l’Agenda pour le travail décent, de ramener des travailleurs qui furent un temps considérés comme extérieurs au sein de son mandat général. Elle reconnaît que les travailleurs domestiques sont de véritables travailleurs et prend en compte le fait que, dans une économie mondialisée, l’immense majorité des employés de maison sont des femmes.