Les syndicats et la mondialisation: tendances, défis et réponses

La mondialisation s’est révélée un processus complexe, aux multiples facettes, pour les travailleurs dans le monde, comme le sont les stratégies qu’ils doivent développer pour relever ses défis. Un nouvel ouvrage du BIT passe en revue quelques-unes des questions cruciales qui se posent au mouvement syndical...

Article | 21 novembre 2007

La mondialisation s’est révélée un processus complexe, aux multiples facettes, pour les travailleurs dans le monde, comme le sont les stratégies qu’ils doivent développer pour relever ses défis. Un nouvel ouvrage du BIT (Note 1) passe en revue quelques-unes des questions cruciales qui se posent au mouvement syndical et la manière dont les nouvelles politiques sont façonnées afin d’améliorer la construction d’alliances, la collaboration internationale et la promotion de l’adoption des normes internationales du travail au cours de cette période de changements incessants. BIT en ligne s’est entretenu avec l’auteur de l’ouvrage, Verena Schmidt, du Bureau du BIT des Activités pour les travailleurs et coordinatrice du Réseau de recherche Global Unions.

BIT en ligne: Dans le livre, «l’élargissement» de l’agenda global du syndicalisme est mis en avant comme l’une des réponses clés à la mondialisation. Comment les syndicats ont-ils abordé ce processus?

Verena Schmidt: De plus en plus, les syndicats élargissent leur agenda pour intégrer des sujets comme le dialogue avec les organisations internationales, de façon à influencer leurs politiques et à organiser des campagnes à l’échelle mondiale, ou comme l’extension et l’approfondissement de leur coopération au niveau transnational.

Global Unions, qui rassemble la Confédération syndicale internationale (CIS), les Fédérations syndicales internationales (FSI) et la Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE (CSC), dialogue avec de grandes organisations internationales – le Fonds monétaire international, le Groupe de la Banque mondiale, les Nations Unies et leurs programmes et fonds, l’Organisation mondiale de la Santé et l’Organisation mondiale du Commerce – afin de promouvoir une mondialisation équitable.

Par exemple, depuis la fin des années 90, les dirigeants syndicaux mondiaux ont milité pour l’inclusion des normes fondamentales du travail de l’OIT dans les pratiques de prêt et de passation des marchés de la Banque mondiale. Leur action a été payante. En mai 2006, la Société financière internationale (IFC) a commencé à demander à toutes les entreprises qui font un emprunt auprès de l’IFC de se soumettre à ces normes fondamentales du travail. Puis, en décembre 2006, la Banque mondiale a annoncé qu’elle allait étendre les exigences de ces normes aux projets de travaux publics financés par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et l’Association internationale de développement (IDA). La Banque mondiale a commencé à les intégrer dans ses contrats de passation de marché depuis mai 2007.

BIT en ligne: Dans quelles directions le mouvement syndical agit-il pour étendre son réseau et construire des alliances?

Verena Schmidt: L’établissement de réseaux entre syndicats, parallèles aux systèmes de production mondiaux, est un bon exemple de coopération transnationale. Les syndicats ont affaire à des stratégies sophistiquées et souvent antisyndicales de gestion des ressources humaines au niveau local à l’intérieur de systèmes de production mondiaux; ils doivent aussi répondre à des situations de représentation difficiles résultant des décisions d’approvisionnement.

Cependant, le concept de chaînes de valeur offre aussi des opportunités de travail. Pour en bénéficier, les syndicats développent des stratégies visant à s’organiser et à négocier collectivement tout au long des processus de production. S’organiser pourrait être une manière d’avancer au-delà des accords de coopération Nord-Sud.

Pourtant, un conflit d’intérêts potentiel existe entre les travailleurs de l’hémisphère Nord et ceux de l’hémisphère Sud quand il s’agit de délocalisation et de sous-traitance. En effet, il faut mettre en place des stratégies actives pour le marché du travail dans l’hémisphère Nord afin d’éviter que les travailleurs de cette région supportent seuls les coûts des délocalisations. Il est aussi important de faire cesser cette course dès l’origine, en particulier entre pays du Sud. L’OIT a un rôle important à jouer à ce niveau-là.

BIT en ligne: Comment les syndicats abordent-ils les questions de gouvernance et de responsabilité résultant de la mondialisation?

Verena Schmidt: La coordination accrue des activités de production des différents pays par les multinationales souligne combien la force de gouvernance des entreprises a augmenté ces dernières années malgré la plus grande dispersion de la production. A l’inverse, les effets sur le travail de ces stratégies de chaînes de valeur, combinés à une pertinence amoindrie de la législation nationale sur le travail dans de nombreux pays, ont laissé des vides juridiques en termes de droits au travail. Alors que les syndicats sont confrontés à l’influence grandissante du secteur privé, beaucoup sont préoccupés du fait que, dans certains cas, les codes de conduite volontaires des entreprises ne sont pas accompagnés de mesures suffisamment fortes en termes de «responsabilité». L’intégration croissante des économies nationales dans un marché mondial unique et l’apparition de nouveaux systèmes de production mondiaux exigent une meilleure coordination des agendas syndicaux nationaux et internationaux. C’est un grand défi pour les syndicats qui sont traditionnellement organisés dans un contexte national.

BIT en ligne: Comment les Accords cadres internationaux s’intègrent-ils dans ce paysage?

Verena Schmidt: Les accords cadres internationaux sont un outil clé utilisé par un certain nombre de syndicats pour fixer les règles de conduite des sociétés transnationales. Etant négociés conjointement par les syndicats nationaux, les fédérations syndicales internationales (GUF) et les entreprises, ils sont un instrument essentiel pour traiter certaines questions soulevées par la mondialisation.

Par exemple, ce nouveau cadre de gouvernance mondiale permet aux syndicats d’intensifier leurs efforts pour intégrer des pratiques favorisant le développement durable dans leurs politiques, à la fois en faisant pression sur les institutions internationales et en nouant des alliances avec des organisations non gouvernementales. Si une entreprise multinationale viole les normes sociales et environnementales, les GUF peuvent réagir soit en lançant des actions de protestation soit en prenant des mesures proactives comme de proposer à l’entreprise de négocier des accords pertinents.

BIT en ligne: Quel est le rôle du BIT et des normes internationales du travail pour parvenir à une mondialisation juste?

Verena Schmidt: Les normes internationales du travail sont un important catalyseur pour améliorer les conditions de travail. Alors que les normes fondamentales du travail doivent être respectées dans tous les Etats Membres de l’OIT qu’elles aient ou non été ratifiées par lesdits pays, la réalité est bien différente. Le mouvement social international mobilise la communauté internationale pour faire pression sur ces pays qui ne respectent pas les conventions fondamentales afin qu’ils procèdent aux changements nécessaires.

Par exemple, la question des fonds d’investissement et des fonds spéculatifs a été récemment traitée par le mouvement syndical international. Les syndicats mondiaux appellent les gouvernements et les organisations internationales à assurer une réglementation et une fiscalité appropriées ainsi qu’une transparence des activités relatives à ces fonds.

L’ouvrage expose des exemples de la manière dont les syndicats ont amélioré la situation des travailleurs en ouvrant leur agenda social et leur coopération aux niveaux international, transnational et national, ainsi qu’en nouant des alliances avec d’autres groupes de la société civile. Les défis de la mondialisation ne peuvent être relevés que si le mouvement syndical continue à traiter ces nouvelles questions et à adapter son organisation structurelle en conséquence.


Note 1 - Pour commander un exemplaire de Trade Union Responses to Globalization: A review by the Global Union Research Network (Les syndicats face à la mondialisation: une revue du Réseau de recherche Global Unions), 2007, ISBN 978-92-2-119860-4, veuillez consulter: /public/french/support/publ/intro/index.htm.