Exorciser le démon de la pauvreté en généralisant la couverture sociale

Seuls 5 à 10 pour cent des travailleurs en Afrique bénéficient, à des degrés divers, d'une couverture sociale qui leur permet de faire face à la maladie, à l'invalidité, au chômage, à la grossesse ou à l'âge. Devant l'ampleur des défis, l'oeuvre entreprise par le BIT en Afrique de l'ouest a montré qu'il existe bien des moyens d'étendre cette couverture. Au Sénégal, où de micro-programmes d'assurance-maladie d'esprit communautaire ont montré la voie, le BIT lance la "Campagne mondiale sur la sécurité sociale et la couverture pour tous". Dakar, 14 avril 2004.

Article | 14 avril 2004

DAKAR, Sénégal (BIT-en-ligne) - La maladie apporte ici, dans le monde paysan, son lot d'anxiétés, comme elle affecte, dans leur vie, nombre de travailleurs agricoles en Afrique de l'ouest. Ces hommes et ces femmes vivent en général dans de petits villages - souvent à des kilomètres de la clinique la plus proche - où les taxis ne s'aventurent guère. Et ceux qui ne disposent que de revenus irréguliers trouvent généralement prohibitif le coût des soins de santé. Payer le médecin et les médicaments signifie vendre le bétail de la famille, qui, autrement, aurait été consacré à couvrir les frais de scolarité des enfants. Mais la santé passe en premier, car une maladie grave laisserait le père ou la mère dans l'incapacité de travailler et de nourrir la famille.

En Afrique, où 5 à 10 pour cent seulement de la population active bénéficient, sous une forme ou une autre, d'une couverture sociale (assurance-maladie comprise), les salariés sont quotidiennement confrontés à ces problèmes. La dimension réelle du secteur informel de l'économie constitue un obstacle majeur à l'extension des systèmes de sécurité sociale sur le continent. Qui plus est, la viabilité financière des systèmes existants est menacée par une gouvernance médiocre et l'effet dévastateur du SIDA dans le monde du travail.

Pourtant, en dépit de l'absence de systèmes formels d'assurance, les plus deshérités eux-mêmes sont prêts à sacrifier une partie de leurs revenus pour s'assurer une couverture sociale répondant à leurs besoins. Avec l'aide du programme mis au point par le BIT sous le label " Stratégies et Instruments contre l'Exclusion Sociale et la Pauvreté", l'Union nationale des coopératives agricoles du Sénégal (UNCAS) met au point un système d'assurance- maladie pour les 800.000 membres de ses 4.500 organisations rurales. En juin 2003, son projet-pilote, lancé à Mboro, a permis à 4.000 de ses membres de bénéficier, moyennant une contribution modeste et régulière, de soins médicaux de base.

C'est pour partager les leçons tirées de ces expériences et pour inciter ceux qui ont à la charge de dresser les politiques nationales à donner une priorité au chapitre sécurité sociale que l'Organisation internationale du Travail a lancé sa " Campagne mondiale pour la Sécurité sociale et la Couverture pour tous" au cours de sa conférence de juin 2003. En décembre dernier, le thème de cette campagne a été présenté à plus de 300 représentants de gouvernements, syndicats et employeurs, réunis pour la 10ème Conférence régionale africaine à Addis-Abeba. Et, poursuivant son tour d'Afrique, cette campagne a été dirigée sur Maputo, au Mozambique, en mars, avant d'arriver au Sénégal, les 14 et 15 avril 2004.

Les micro-programmes d'assurance, à l'exemple de celui de l'UNCAS, tendent à s'imposer dans les zones où les travailleurs et leurs familles doivent s'organiser en l'absence de systèmes valables de couverture médicale. Ils sont généralement animés par des organisations indépendantes, oeuvrant sur une base communautaire: elles s'efforcent, par le biais de contributions de leurs membres, de leur donner accès à des soins de qualité pour eux-mêmes et leurs familles.

Il reste, certes, encore à faire pour aider les pays à étendre leur couverture sociale: l'impératif, d'abord, d'assurer une assistance technique accrue et une meilleure coordination pour lui donner un caractère durable; le besoin, ensuite, de favoriser une prise de conscience et une compréhension plus aigues de la portée et de l'effet de ces régimes. Dans l'esprit de cette campagne sur "la Couverture sociale pour tous", le BIT oeuvre avec les gouvernements et les partenaires sociaux pour définir les plans d'action nationaux, soutenir les efforts locaux en faveur d'un élargissement de la couverture, partager les expériences et faire valoir le caractère prioritaire de l'extension des régimes de sécurité sociale dans le programme global pour le développement et la réduction de la pauvreté en Afrique.

L'OIT peut aussi user de sa longue expérience pour promouvoir le dialogue social et impliquer ses composantes tripartites afin de relever les défis posés par une extension des régimes de sécurité sociale dans les pays où la couverture est insuffisante et où la majorité de la main d'oeuvre est cantonnée dans l'économie informelle. Au Mali, l'Organisation internationale du Travail a soutenu le dialogue engagé entre le gouvernement et les partenaires sociaux, un dialogue qui a débouché sur un plan d'action national prévoyant l'élargissement de la couverture sociale en 2003.

Etablir un réseau de contacts facilite la dissémination des connaissances et des acquis. Le réseau de micro-assurances "santé" de l'Afrique de l'ouest, connu sous le nom de "La Concertation" permet aux entités oeuvrant dans le domaine de la sécurité sociale d'échanger des données pratiques et de traiter plus efficacement avec les acteurs du secteur, les organisations de soutien, les services publics et les donateurs. Les animateurs de ce réseau ont lancé des programmes de formation, parainné des réunions d'échange d'informations et mis à disposition des instruments de communication (bulletins, site web).

Tous ceux qui travaillent la terre peuvent le dire: la survie de la cellule familiale repose sur la santé du père ou de la mère. Des millions de familles se tiennent en équilibre précaire à la lisière de la pauvreté absolue. La couverture sociale est essentielle si l'on veut les éloigner de cette dangereuse posture. "A une amélioration de la structure de la sécurité sociale correspond une baisse des coûts de santé", explique Assane Diop, Directeur exécutif du département Protection sociale du BIT. "Dans le même temps, la productivité s'améliore, la pauvreté régresse et le bien-être de la famille s'accroît."