Marché du travail

Un remède à l’inégalité

Pour réduire les inégalités, il est vital de bâtir et de renforcer les institutions du marché du travail parce que les seules forces du marché ne suffisent pas.

Editorial | 24 février 2015
Par Janine Berg, économiste principale à l’Organisation internationale du Travail


Janine Berg, économiste principale à l’OIT
Pour résoudre un problème, la première étape consiste évidemment à reconnaître son existence. Il est dès lors bienvenu de braquer les projecteurs sur les questions d’inégalité et de s’intéresser à leurs possibles conséquences. Aujourd’hui, il est temps de s’atteler à l’inversion de ces tendances inquiétantes.

Un nouvel ouvrage, Institutions du marché du travail et inégalités de revenu, rédigé par des spécialistes de Bureau international du Travail, soutient l’idée que la réduction des inégalités exige une action politique concertée pour renforcer et, dans certains cas, établir des institutions du marché du travail et de protection sociale dans le monde.

Ces institutions sont indispensables parce que les forces du marché n’engendrent pas naturellement des sociétés équitables aux classes moyennes nombreuses.

Pour commencer, les pays doivent abandonner l’idée fausse selon laquelle la dérégulation du marché du travail résout les problèmes du sous-emploi et de l’accès inégal au travail.

L’abaissement du coût du travail ne débouche pas sur la création d’emplois. Au lieu de cela, nous avons besoin de politiques macroéconomiques, commerciales et d’investissement au service de la création d’emplois – parce que l’existence d’emplois en nombre suffisant est primordiale pour réduire les inégalités.

Le marché reflète les préjugés

Le marché du travail ne valorise pas tous les emplois de manière équitable. Dans certaines circonstances, c’est en raison d’un surplus de main-d’œuvre (une offre excédentaire, dans le jargon économique).

Dans d’autres cas, c’est parce que le «marché» n’est qu’une illustration des propres préjugés des sociétés à l’encontre de certains métiers, ou des personnes qui exercent ces professions. Le travail domestique est sans doute l’exemple le plus emblématique de ces idées préconçues mais il en existe bien d’autres.

Si nous voulons un fonctionnement plus équitable du marché du travail, nous avons besoin d’institutions favorables, comme le salaire minimum, la négociation collective et une législation garantissant l’égalité de traitement, quel que soit le type de contrat de travail.

Nous avons également besoin de politiques publiques appropriées telles que des services publics de garde et d’enseignement pour la petite enfance qui permettent aux parents actifs d’entrer plus facilement sur le marché du travail en réduisant le coût d’accès.

Toutes ces mesures sont particulièrement utiles pour les travailleurs à bas salaires, dont la plupart sont «marginalisés» (il s’agit souvent de femmes, de jeunes et de migrants). Ces catégories s’en sortent mieux quand les marchés du travail sont dotés d’institutions de soutien qui peuvent accroître leurs revenus, limiter la fréquence des emplois faiblement rémunérés et réduire les inégalités.

Des politiques sociales avantageuses

Les marchés du travail subissent aussi l’influence des politiques sociales. Les programmes d’aide sociale peuvent atténuer le désespoir des travailleurs et leur propension à être victimes du travail forcé et d’autres formes d’exploitation par le travail.

Les indemnités chômage peuvent améliorer l’adéquation du marché du travail et l’aptitude des travailleurs à négocier de meilleurs salaires. De la même manière, les programmes de garantie d’emploi peuvent améliorer le respect du salaire minimum. Les prestations liées à l’emploi risquent par ailleurs d’agir comme une subvention aux bas salaires, à moins d’être associées à d’autres mesures comme le salaire minimum.

Ces politiques sont indispensables pour faciliter les périodes de la vie où nous ne devrions pas avoir à travailler – quand nous sommes jeunes et que nous devrions étudier, quand nous ne sommes pas aptes au travail en raison d’une maladie ou d’un handicap ou quand, après des décennies de travail, nous prenons notre retraite.

S’assurer que les individus et les familles peuvent s’abstenir de travailler au cours de ces périodes suppose d‘adopter des politiques sociales d’accompagnement. Les données l’établissent clairement: par exemple, elles montrent une importante relation négative entre la couverture et le niveau des retraites et le taux d’activité des personnes âgées. Il faut donc veiller à ce que les salariés aient un revenu suffisant quand ils sont en dehors du marché du travail, en combinant des systèmes de retraite contributifs avec des minima garantis pour tous.

De nombreux pays en développement ont récemment étendu leurs programmes d’aide sociale, une évolution bienvenue compte tenu de leur efficacité pour réduire la pauvreté. Mais en raison du faible niveau des prestations, ces politiques doivent être complétées par d’autres mesures de protection sociale susceptibles d’apporter un appui supplémentaire aux travailleurs et d’avoir un effet redistributif supérieur.

Certaines des politiques décrites requièrent des moyens financiers, il faut donc que les pays aient une assiette fiscale suffisante pour financer la redistribution ou la volonté politique d’augmenter les recettes fiscales si nécessaire.

Des approches sur mesure

Ces politiques peuvent être adaptées au niveau de développement et à la structure économique du pays. Dans certains pays, il importe surtout de donner la priorité à la fourniture de services publics et de transferts sociaux permettant d’augmenter les revenus des plus démunis et de favoriser l’accès au marché du travail.

Dans d’autres pays, les systèmes de protection sociale sont bien établis mais sous pression en raison de la situation de plus en plus inégalitaire qui règne sur le marché du travail et qui requiert un renforcement des règlementations du marché du travail.

Dans son analyse du développement des inégalités et de l’économie, Simon Kunetz a expliqué que la relation en U inversé entre la croissance économique et les inégalités résultait de la montée des revendications en provenance des catégories à faibles revenus.

A mesure que la richesse économique augmente et que la démocratie s’étend, ces groupes exercent des pressions politiques en faveur de la redistribution. Bien qu’ayant été interprétée à tort comme une «loi naturelle», la réduction des inégalités au fil du temps ne va pas de soi. Elle est le fruit de pressions politiques, d’une volonté et d’une détermination à agir en faveur du changement.

Reste à voir si cet engagement pour combattre et pallier les inégalités existe vraiment. Ce qui est clair, c’est qu’en l’absence de politiques favorisant un marché du travail bien régulé et assurant une protection sociale nous continuerons de déplorer ces tendances inégalitaires.