Les pouvoirs publics et la responsabilité sociale des entreprises

Les marchés publics durables en plein essor

De nombreux gouvernements introduisent des législations et des politiques afin d’encourager les pratiques responsables des entreprises, explique Emmanuel Julien, Directeur adjoint du Département des entreprises de l’OIT. La table ronde annuelle interagences sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) traite cette année de la façon dont les gouvernements promeuvent une conduite responsable des entreprises par le biais des marchés publics durables (MPD).

Editorial | 19 novembre 2014
Par Emmanuel Julien, Directeur adjoint du Département des entreprises de l’OIT
La promotion des entreprises durables est au cœur du mandat de l’OIT. Beaucoup d’entreprises ont adopté des politiques qui régissent les aspects sociaux et d’emploi de leurs opérations, y compris de leurs chaînes d’approvisionnement, dans le cadre de stratégies de durabilité à long terme.

Parallèlement, de nombreux gouvernements introduisent des législations et des politiques afin d’encourager les pratiques responsables des entreprises. L’OIT accueille la table ronde annuelle interagences sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui traite cette année de la façon dont les gouvernements promeuvent une conduite responsable des entreprises par le biais des marchés publics durables (MPD).

Les marchés publics représentent 13 pour cent du PIB des pays de l’OCDE et varient de 15 à 25 pour cent du PIB dans les Etats hors OCDE. Cela signifie que les pouvoirs publics sont des acheteurs majeurs et peuvent avoir un impact significatif sur la demande du marché pour des pratiques commerciales responsables et durables.

L’idée de lier les marchés publics aux autres objectifs politiques des gouvernements n’est pas nouvelle mais les préoccupations concernant le protectionnisme et le manque de transparence ont freiné l’utilisation et le développement des MPD. Les objections commerciales aux MPD ont été largement surmontées et les débats ne portent plus sur la question du recours aux MPD mais plutôt sur la manière de les mettre en place.

Traditionnellement, les MPD s’attachaient surtout à l’impact écologique, puisque les MPD étaient souvent liés aux politiques environnementales nationales issues des engagements pris dans le cadre du Sommet de la Terre et du Protocole de Kyoto. Plus récemment, des pays comme les Pays-Bas ont commencé à intégrer des clauses sociales dans leurs pratiques d’achats publics durables.

Les deux principaux instruments de l’OIT qui peuvent fournir des orientations aux entreprises en matière de politique sociale et de comportement socialement responsable sont la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Déclaration sur les entreprises multinationales) et la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Elles conseillent aussi les gouvernements pour savoir quels critères sociaux incorporer dans les marchés publics durables.

L’enjeu est maintenant de comprendre comment intégrer effectivement les critères sociaux dans les procédures d’achat auxquels de plus en plus de gouvernements, à différents niveaux, commencent à lancer tout en se préservant d’effets négatifs.

Par exemple, le programme chilien de MPD, ChileCompra, fixe un objectif de 15 pour cent de commandes publiques remplissant les critères de durabilité. Le cadre réglementaire laisse beaucoup de latitude pour la mise en œuvre de pratiques d’achat durables et pour l’innovation. Les programmes comportent l’intégration de l’écolabel, l’accréditation des fournisseurs, la formation et le renforcement des capacités, et le partage d’informations. Le gouvernement n’a pas seulement atteint son objectif mais il a aussi réduit ses coûts d’approvisionnement grâce à ce dispositif.

A l’échelon municipal, la ville de Malmö en Suède a mis en place un système de vérification des clauses sociales dans les commandes publiques. Il commence par une analyse des risques afin d’identifier les catégories de produits les plus susceptibles de porter atteinte aux droits des travailleurs; il établit ensuite des cahiers des charges contraignants pour ces catégories de produits. Pour les entreprises concernées, ces outils de vérification prennent la forme de questionnaires, d’une appréciation des autoévaluations des fournisseurs par les entités publiques, d’audits et d’inspections des fournisseurs souvent menés par des inspecteurs publics.

Le 19 novembre prochain, des représentants des gouvernements, des agences de l’ONU, de l’Union européenne, ainsi que des organisations non gouvernementales participant à la Table ronde sur la RSE, vont examiner les tendances actuelles en matière de MPD et de bonnes pratiques aux divers échelons gouvernementaux, y compris au sein du système des Nations Unies lui-même.

Les gouvernements disposent d’une assez grande marge de manœuvre pour prendre d’autres mesures incitatives afin de promouvoir un comportement responsable des entreprises. L’utilisation de cet effet de levier considérable exige des gouvernements qu’ils trouvent leur propre formule, élaborée à partir des bonnes pratiques et des leçons tirées de l’expérience, et encouragent en interne l’innovation et le changement. A cette fin, il est tout à fait possible de «sortir des sentiers battus» et d’établir des pratiques pionnières et avant-gardistes.

D’un autre côté, les gouvernements doivent être attentifs aux conséquences. Les MPD contribuent-ils réellement à sensibiliser [les personnes chargées de] la RSE au respect des droits des travailleurs? Comment la passation de MPD peut-elle éviter de désavantager les petites et moyennes entreprises (PME)? A cet égard, les partenaires sociaux ont un rôle fondamental à jouer pour élaborer des politiques et des pratiques durables en matière de marchés publics.