Système bancaire

Ce que les coopératives financières peuvent enseigner aux grandes banques

La réussite des coopératives financières pendant la crise financière mondiale montre qu’il existe une alternative crédible au système bancaire d’investissement.

Analyse | 5 novembre 2012
Professeur Johnston Birchall
GENÈVE (OIT Info) – Tandis que beaucoup de grandes banques luttaient pour survivre à la crise économique mondiale, les réseaux de coopératives financières – des banques appartenant à leurs clients – ont résisté à la tourmente et en sont sortis renforcés.

Les données présentées à l’OIT par Johnston Birchall, professeur de politique sociale à l’Université Stirling, montrent que ce «système bancaire alternatif» a surpris de nombreux économistes en se révélant plus stable et efficace qu’ils ne l’avaient prévu.

«En Europe et en Amérique du Nord, un léger repli s’est produit en 2008 (dans les banques coopératives) suivi d’un redressement en 2009, 2010 et 2011 – tout était orienté à la hausse», a-t-il confié à OIT Info lors d’une visite à l’OIT.

«Nous avons constaté que les caisses de crédit mutualistes d’autres parties du monde n’ont même pas reculé en 2008. Elles n’ont pas été marquées par la crise bancaire; elles ont tout simplement continué à se développer lentement, régulièrement, pas de manière spectaculaire.»

Par contraste, plusieurs banques privées ont dû être renflouées – voire ont fait faillite – au plus fort d’une crise financière mondiale que beaucoup ont imputé à des activités bancaires à risque.

Les coopératives financières à travers le monde
  • 20 pays européens détiennent à eux tous 24 systèmes de banques coopératives locales.
  • Les coopératives bancaires françaises détiennent une part de marché de 45 % des dépôts; c’est 40 % aux Pays-Bas.
  • Les 3 874 banques coopératives locales d’Europe regroupent 181 millions de clients.
  • Les coopératives européennes ont 5 647 milliards d’euros d’actifs et 3 107 milliards d’euros de dépôts.
  • Les caisses mutuelles de crédit opèrent dans une centaine de pays dans le monde, fortes de 51 000 établissements et 200 millions de membres.
  • Ces caisses détiennent 1 564 milliards de dollars en actifs, 1 223 milliards de dépôts et 1 016 milliards en crédits.
  • Les coopératives bancaires et les caisses de crédit sont accessibles aux plus pauvres et ont un impact économique considérable.
Récemment, le géant suisse du secteur bancaire UBS – que les autorités suisses ont dû secourir pendant la crise – a annoncé qu’il allait supprimer 10 000 postes et abandonner la plupart de ses activités commerciales à risque.

Un monde bancaire démocratique

Le terme de «coopérative financière» est un terme générique qui regroupe les banques coopératives, les caisses de crédit mutualistes et les sociétés de crédit immobilier, ainsi que des banques qui appartiennent à des coopératives d’agriculteurs ou de consommateurs. Leur point commun est d’appartenir à leurs clients.

A l’origine, les caisses mutualistes ont été créées pour servir aux personnes ayant les revenus les plus modestes, souvent dans les pays en développement et en Amérique du Nord. La majorité des coopératives bancaires sont, elles, basées en Europe et sont au service d’une clientèle nombreuse.

«L’idée, c’est que vous devenez membre. Vous payez une faible cotisation que nous appelons part sociétaire qui vous donne le droit de vote et vous ne détenez qu’une seule voix parce que l’organisation est centrée sur l’homme plutôt que sur l’argent», explique M. Birchall.

«Vous ne pouvez pas détenir plus de voix en acquérant davantage de parts. Vous n’aurez peut-être pas beaucoup de pouvoir mais vous aurez, comme dans toute instance démocratique, la possibilité d’influencer la manière dont la banque est gérée en élisant ou en refusant d’élire les instances dirigeantes. Si les choses tournent mal, vous pouvez les changer, ce que vous ne pouvez faire dans aucun autre type de banque.»

La recherche menée par M. Birchall a montré que les coopératives financières ont continué d’alimenter le crédit pendant la crise, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME) et sont restées stables dans les différentes régions du monde.

Une aversion pour le risque

La différence entre les coopératives financières et les banques privées, précise M. Birchall, est que les coopératives ne prennent pas les mêmes risques parce qu’elles ne courent pas après d’énormes profits.

«La stabilité et la répugnance à prendre des risques relèvent de l’ADN des coopératives financières. Elles dégagent des surplus et elles en ont besoin, sinon elles ne seraient pas des entreprises. Mais elles mettent ces surplus en réserve, ce qui renforce leur assise financière; elles n’ont donc pas de mal à respecter les exigences réglementaires en matière de fonds propres.»

«Non seulement elles disposent d’ores et déjà de réserves décentes qui leur apportent stabilité et pérennité mais, d’une manière ou d’une autre, elles restituent les profits à leurs membres, soit sous forme de dividende annuel, soit en baissant la tarification de leurs produits.»

Les coopératives financières à travers la crise
  • Entre 2007 et 2010, les actifs des coopératives bancaires ont augmenté de 10 %.
  • La clientèle de ces coopératives a, elle, augmenté de 14 %.
  • 7 % des coopératives bancaires européennes ont subi des pertes pendant la crise.
  • Les réserves des caisses de crédit ont augmenté de plus de 14 %.
  • L’épargne déposée dans les caisses de crédit s’est accrue de 1 % cent en 2008, 15 % en 2009 et 7,3 % en 2010.
  • Les prêts accordés par les caisses de crédit ont légèrement diminué en 2008, puis ont augmenté de 7,6 et 5,3 % au cours des deux années suivantes.
  • La plupart des pertes financières des coopératives ont été compensées en une ou deux années.
  • Presque tous les indicateurs ont rebondi et sont à nouveau orientés à la hausse.
Un autre facteur de stabilité, est leur capacité à motiver «différemment» leur gestionnaire: la plupart d’entre eux touchent simplement un salaire raisonnable.

«Avant la crise, les économistes affirmaient que les coopératives financières étaient vouées à être moins efficaces que les banques privées parce qu’elles ne pouvaient pas rémunérer leurs dirigeants par des actions. Aujourd’hui, un point de vue différent prévaut: récompenser les dirigeants en leur attribuant des actions, les pousse à adopter des stratégies à haut risques, puis à quitter leurs fonctions cinq ans plus tard une fois devenus multimillionnaires, en laissant les banques courir à la faillite. »

«Ainsi, toutes les choses que les experts avaient l’habitude de reprocher aux coopératives financières se sont révélées autant d’atouts», conclut M. Birchall.

«Les coopératives financières n’atteignent pas les mêmes `hauts’ que les autres banques mais elles ne subissent pas les mêmes `bas΄. Et c’est cela même qui les rends plus stables et pérennes que les autres.»