Le coût de la migration

Les travailleurs migrants pakistanais paient au prix fort la chance de travailler

Une nouvelle étude de l’OIT, «The cost of migration: What low-skilled migrant workers from Pakistan pay to work in Saudi Arabia and the United Arab Emirates» (Le coût de la migration: ce que les travailleurs peu qualifiés venus du Pakistan paient pour aller travailler en Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis), montre que de nombreux migrants paient jusqu’à 20 fois les tarifs officiels pour avoir le droit de travailler à l’étranger.

Editorial | 4 octobre 2016
Anna Engblom
Anna Engblom, conseillère technique en chef pour le Projet de gouvernance des migrations de main-d’œuvre en Asie du Sud, s’est entretenue avec OIT Info des principaux enseignements du rapport.

Que cherchiez-vous à savoir avec cette étude?

En principe, les migrations de main-d’œuvre devraient être bénéfiques pour tous. Les pénuries de main-d’œuvre sont comblées dans l’économie d’accueil, les migrants bénéficient de meilleurs salaires et leurs familles et leurs pays d’origine augmentent leurs revenus grâce aux envois de fonds. En réalité, cependant, de nombreux travailleurs cherchant à s’expatrier y perdent en raison des abus pratiqués par les sociétés privées de recrutement. S’il existe de nombreux éléments empiriques sur l’impact de ces pratiques abusives, en ce qui concerne l’évaluation de ce que les migrants peu qualifiés ont vraiment payé, les données vérifiables faisaient défaut. Cette enquête visait à contribuer à collecter ces données en utilisant une méthodologie qui permette d’établir des comparaisons entre les différents axes migratoires.

En quoi a consisté l’étude?

Nous avons utilisé une méthodologie classique d’enquête par questionnaire mis au point par l’OIT et la Banque mondiale dans le cadre du projet d’Alliance mondiale pour le savoir en matière de migration et de développement (KNOMAD). Puis nous l’avons traduit en ourdou et avons formé des équipes pour le diffuser sur le terrain. Nous avons ciblé les migrants qui avaient utilisé une filière légale pour trouver du travail à l’étranger, qui avaient travaillé ou travaillaient toujours en Arabie saoudite ou aux Emirats arabes unis (EAU) et qui étaient de retour au Pakistan entre deux emplois ou pour des vacances. Nous nous sommes aussi intéressés aux migrants qui avaient occupé ou occupaient encore des postes peu qualifiés, dans les secteurs du bâtiment et de l’agriculture.

Comment avez-vous eu accès aux travailleurs migrants?

En fait, cela a été un véritable défi. Sachant que l’essentiel des migrants vient de 20 districts, nous en avons sélectionné six pour l’enquête: Rawalpindi et Gujrat dans le Nord du Pendjab; Gujranwala et Sialkot dans le centre du Pendjab; et Mardan et Charsadda dans le Khyber Pakhtunkhwa.

Une fois sur place, nous avons dressé une liste des personnes susceptibles d’être interrogées parmi les migrants qui se rendaient au bureau du Protecteur des émigrés et grâce à d’autres sources, et nous les avons mis à contribution pour trouver d’autres personnes qui pourraient correspondre au profil recherché. En statistique, c’est ce qu’on appelle un échantillon boule de neige. Finalement, nous avons recensé un total de 877 personnes et 620 ont été interviewées, avec un minimum de 100 entretiens par districts.

Il existe des montants minimaux dont doivent s’acquitter les travailleurs pakistanais pour le recrutement outremer – quels sont ces tarifs?

Au total, un migrant qui a recours à un agence de placement à l’étranger doit payer entre 21 125 PKR (201 $) et 31 524 PKR (301 $) pour couvrir les divers coûts. C’est plus cher pour les migrants qui décrochent directement un emploi: ils paient habituellement entre 45 575 PKR (435 $) et 48 524 (463 $). Ce sont des tarifs fixés par le gouvernement.

Alors que paient-ils en réalité?

En fait, le coût varie beaucoup en fonction des régions d’origine et des destinations mais, en bref, l’investissement moyen consenti par les travailleurs pakistanais qui ont répondu à l’enquête pour trouver un emploi et commencer à travailler en Arabie saoudite ou dans les EAU était de 3 489 dollars. L’Arabie saoudite, en raison d’un coût de la vie inférieur et d’une législation du travail légèrement plus souple, est la destination la plus prisée et donc la plus onéreuse des deux.

Le coût moyen le plus faible pour les migrants concernait ceux qui quittaient le Gujrat pour travailler aux EAU (1 863 $) et le plus élevé incombait aux migrants du Mardan travaillant en Arabie saoudite (4 904 $).

Même le coût le plus faible est bien au-dessus du tarif officiel, que se passe-t-il?

Nous avons analysé la structure de ces coûts: il y a 13 composantes au total et il apparaît que, en particulier pour les migrants peu qualifiés, les frais de visa représentent le principal coût – jusqu’à 80 pour cent de leur investissement total.

Il ressort clairement de nos conclusions qu’il existe au Pakistan un marché très segmenté et prohibitif des visas.

Le mécanisme de base est le suivant: en bref, les gouvernements des EAU et d’Arabie saoudite donnent à certains employeurs – en fonction des projections sur les besoins de main-d’œuvre – l’autorisation d’accueillir un nombre déterminé de travailleurs pour un projet donné. Avec cette autorisation, le gouvernement délivre aussi des permis de travail et des visas. Le commerce des visas a lieu si et quand l’employeur décide de vendre ces permis et ces visas sur un marché informel. L’acheteur peut être quiconque a accès aux travailleurs et fait le lien avec l’employeur ou l’agent dans un pays de destination. Par exemple, un acheteur peut être un agent officiel de placement à l’étranger ou un sous-traitant non déclaré au Pakistan, ou un travailleur migrant pakistanais dans le pays de destination (qui l’achète pour un ami ou un parent).

A partir de là, cela dépend de la façon dont le migrant a trouvé du travail. Le coût moyen était plus élevé (3 776 $) quand les migrants interrogés avaient obtenu du travail auprès d’un agent/intermédiaire individuel. On observe le même schéma pour l’Arabie saoudite et pour les EAU. Le coût moyen pour le parcours d’émigration était de 3 435 $ quand le travail était obtenu par le biais d’un parent ou d’un ami. Le coût moyen de ce parcours était relativement plus faible quand le pourvoyeur d’emploi était une agence de recrutement.

Pour les travailleurs migrants peu qualifiés, ce sont des sommes d’argent considérables, que peut-on faire?

D’abord, ce sont des sommes énormes qui dépassent parfois, ou amputent considérablement, le bénéfice net tiré d’une expatriation professionnelle. Les revenus moyens que ces migrants déclarent avoir gagnés pendant leur séjour à l’étranger indiquent qu’il leur fallait, en moyenne, près de 8 mois pour rentrer dans leurs frais – pour compenser ce qu’ils avaient dû payer pour partir travailler à l’étranger. Selon les pays, il fallait neuf mois en Arabie saoudite et environ six mois aux EAU pour rentabiliser leur investissement. C’est un énorme problème puisque la plupart des migrants n’ont pas la possibilité de mettre fin à leur contrat s’ils constatent que leurs conditions de travail soient moins favorables que celles acceptées avant de quitter le Pakistan. Dans certains cas, cela peut se traduire par des conditions que l’on peut assimiler à du travail en servitude.

En termes de réponse, la conclusion à laquelle nous sommes parvenus est qu’il n’y a pas besoin de plus de règles et de réglementations pour améliorer le système, pas besoin d’un rôle accru du gouvernement ni de sanctions plus strictes et plus sévères. Ce qu’il fait mettre en place, ce sont des mesures qui aident les institutions existantes à mieux fonctionner. Stricto sensu, si les lois en vigueur étaient correctement appliquées, le coût supplémentaire des visas par rapport au tarif officiel devrait être proche de zéro. Je pourrais ajouter que la convention (n° 181) de l’OIT sur les agences d’emploi privées stipule également que les migrants ne devraient pas avoir à couvrir aucun frais lié à l’émigration.