Depuis Haïti

Esclave en pays libre

L’utilisation des enfants comme travailleurs domestiques est omniprésente en Haïti. Bien qu’acceptée culturellement depuis des générations, une nouvelle campagne a été lancée pour lutter contre cette pire forme de travail des enfants.

Reportage | 29 août 2012
PORT-AU-PRINCE, Haïti (OIT Info) – Sa journée débute à quatre heures du matin.

Elle se réveille avant tout le monde dans la maison. En silence, elle vide les pots de chambre et balaie les sols. Elle va tirer plusieurs seaux d’eau à la pompe en bas de la rue et les rapporte à la maison.

Alors que le soleil se lève, elle prépare le café et fait chauffer de l’huile pour préparer le petit-déjeuner de la famille – sauf que…ce n’est pas sa famille.

Chaque journée est remplie de tâches ménagères sans fin, du réveil au coucher.

Elle a sept ans. C’est une «restavec».

Un système qui a affreusement mal tourné

En créole, le terme «restavec» signifie littéralement «rester avec». Aujourd’hui, c’est l’une des pires dénominations que l’on puisse avoir dans la société haïtienne.

Les restavec: Faits et chiffres
  • Selon l’UNICEF, on dénombre environ 225 000 enfants, en priorité des filles, âgés de 5 à 17 ans qui vivent comme restavec en Haïti.
  • Leur journée de travail dure en moyenne 10 à 14 heures.
  • Bien qu’étant chargés de préparer les repas de la maison, les restavec ne se nourrissent généralement que des restes. Du fait de cette malnutrition, un restavec de quinze ans mesure en moyenne quatre centimètres et pèse vingt kilos de moins qu’un enfant haïtien ordinaire.
  • Haïti a ratifié la convention (n° 182) de l’OIT pour l’élimination des pires formes de travail des enfants en juillet 2007 et la convention (n° 138) sur l’âge minimum en juin 2009; toutes deux prohibent l’esclavage des enfants et protègent le droit des enfants à une éducation fondamentale gratuite.
  • La convention n° 182 de l’OIT identifie les pires formes de travail des enfants, mettant en tête de liste «l’esclavage ou les pratiques similaires à l’esclavage, comme la vente ou la traite d’enfants, la servitude pour dette et le servage, et le travail forcé ou obligatoire» – toutes formes de travail concernées par le système restavec.
Conçu à l’origine comme un système permettant d’envoyer les enfants vivre en ville auprès de parents plus aisés afin qu’ils puissent recevoir une éducation et vivre dans de meilleures conditions, le système restavec s’est perverti ces dernières années.

Confronté en particulier à des pressions économiques croissantes consécutives au séisme de janvier 2010, il est devenu une forme de trafic de domestiques et d’esclavage moderne. Des intermédiaires, désignés en créole comme koutchye, sont rémunérés pour trouver des restavec pour les familles d’accueil.

En plus d’effectuer de longues heures de travail, ces enfants sont souvent physiquement, sexuellement et verbalement abusés.

L’ironie est d’autant plus frappante qu’Haïti a conquis son indépendance en 1804, fruit de la seule révolte d’esclaves victorieuse de l’histoire, créant ainsi la première république noire libre au monde. Son message de défiance et de condamnation du système oppressif de l’esclavage s’est clairement fait entendre sur toute la planète.

Pourtant, l’esclavage se pratique toujours en Haïti, cette fois à l’encontre de ses citoyens les plus vulnérables.

La fin de l’invisibilité

Le 15 juin 2011, sous les auspices de l’OIT, le ministère haïtien des Affaires sociales et du Travail, le Département d’Etat américain et le ministère brésilien des Relations extérieures ont signé un accord de coopération triangulaire pour abolir le travail des enfants en Haïti. Il s’agit du premier accord triangulaire Nord-Sud-Sud.

Suite à cet accord, en décembre 2011, le Programme international de l’OIT pour l’abolition du travail des enfants (IPEC) a lancé un nouveau projet en Haïti, financé par les Etats-Unis et le Brésil.

Le projet consiste à soutenir le renforcement des capacités institutionnelles et le dialogue social comme outil de protection des enfants contre le travail des enfants, ainsi qu’à élaborer des modèles permettant de créer des possibilités de travail décent pour les adolescents. Il s’efforce aussi de sensibiliser la société civile au travail des enfants en Haïti, particulièrement au système des restavec.

«Le système des restavec est indubitablement la pire forme de travail des enfants en Haïti et il a continué de se détériorer ces dernières années. Un enfant haïtien sur dix est un restavec, mais il reste invisible, caché dans les sombres recoins du foyer qui l’emploie et totalement vulnérable à de nombreuses formes d’exploitation», déclare Nancy Robinson, Conseiller technique en chef pour l’IPEC en Haïti.

En coordination avec des partenaires locaux et internationaux, l’IPEC et l’Organisation internationale des migrations (OIM) ont lancé une autre campagne intitulée Frennen Sistem Restavèk La (En finir avec le système restavec) qui a pour but de lever le voile sur le système restavec et les violations des droits de l’homme qu’il entraîne.

La campagne a été officiellement inaugurée à Port-au-Prince le 12 juin 2012 pour coïncider avec la Journée mondiale contre le travail des enfants. Elle symbolise la première association du gouvernement, de la société civile et du secteur privé en Haïti avec des partenaires internationaux en vue d’abolir cette forme moderne d’esclavage.

Amy Rhoades
Journalist and skills specialist