Lutter contre les discriminations salariales: l’exemple jordanien

Selon le rapport global du BIT sur les discriminations «L’égalité au travail: un défi qui reste à atteindre», des progrès significatifs ont été accomplis ces dernières décennies en matière d’égalité entre hommes et femmes dans le monde du travail. Cependant, des disparités salariales liées au sexe persistent, les salaires des femmes équivalant en moyenne à 70 à 90 pour cent de ceux des hommes.La Jordanie s’est engagée de longue date sur la voie de l’égalité de rémunération entre les travailleurs et les travailleuses. Le pays a ratifié plusieurs conventions internationales affirmant le droit à une égalité de rémunération pour un travail de valeur égale. Pourtant, l’application des mesures garantissant cette égalité salariale pose toujours problème. BIT en ligne s’est entretenu avec Asma Khader, Secrétaire générale de la Commission nationale de la femme de Jordanie (JNCW en anglais).

Article | 18 mai 2011

1) Pourquoi l’égalité de rémunération est-elle importante pour les femmes jordaniennes?

Asma Khader: Tout d’abord, l’égalité de rémunération est un droit fondamental. C’est aussi une condition indispensable pour garantir la justice et la dignité, et pour prévenir les discriminations. Deuxièmement, les discriminations salariales contribuent à exclure les femmes du marché du travail, ce qui a des répercussions négatives sur les familles et l’économie nationale tout entière. De plus, l’égalité salariale permet de mesurer combien une société apprécie le potentiel et les aptitudes des femmes, c’est une expression de son adhésion aux principes de justice et d’égalité.

2) Comment se situe la Jordanie par rapport aux autres pays arabes sur cette question?

Asma Khader: A certains égards, nous sommes plus avancés que les autres pays arabes dans le domaine de l’égalité de rémunération alors que nous sommes à la traîne sur d’autres aspects. Les disparités salariales liées au sexe sont évaluées à 7 pour cent en Jordanie, ce qui n’est pas mal comparé à d’autres pays à revenus intermédiaires. Mais si l’on prend en compte les niveaux de qualification, il devient évident qu’en Jordanie les femmes sont moins bien rémunérées que les hommes. Par exemple, les femmes exerçant une profession libérale gagnent, c’est incroyable, 33 pour cent de moins que leurs homologues masculins.

3) Quels sont les principaux obstacles à l’égalité salariale en Jordanie?

Asma Khader: Le chômage est un défi majeur pour l’égalité de rémunération. Quand la demande d’emplois augmente, le marché du travail est influencé par divers facteurs sociaux, culturels et religieux – y compris la vision selon laquelle les hommes sont les soutiens de famille, ce qui peut conduire à exclure les femmes du marché du travail. Un autre problème est lié à l’absence de législation pour prévenir les discriminations. La Constitution et les lois jordaniennes, y compris le droit du travail et de la fonction publique, placent hommes et femmes sur un pied d’égalité, mais aucun de ces régimes ne prohibe ni ne punit réellement les discriminations. Ainsi, les femmes n’ont aucun recours en justice devant des tribunaux lorsque les lois sont violées, parce que le système judiciaire ne dispose pas d’un texte de référence indiquant la marche à suivre avec l’employeur dans ce cas. Les discriminations restent souvent impunies.

4) Quel est l’impact de la crise économique et financière mondiale sur les salaires des femmes en Jordanie?

Asma Khader: La chute des offres d’emplois et la concurrence accrue n’ont pas permis de réaliser le travail décent pour les femmes jordaniennes. La crise fait de l’ombre à l’économie jordanienne et les femmes sont les plus affectées, comme le montre le taux de chômage élevé des femmes. En période de crise économique et de récession, les femmes sont souvent les premières à être éjectées du marché du travail et les premières confrontées aux obstacles à l’emploi.

5) Qu’ont fait les gouvernements jordaniens successifs pour parvenir à l’égalité de rémunération?

Asma Khader: La Jordanie a une politique claire d’encouragement des femmes à participer au marché du travail et de prévention des discriminations à l’encontre des femmes. Le Royaume a ratifié plusieurs conventions internationales qui affirment le droit à l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale. Il convient également de noter que la section 23, 2 (a) de la Constitution jordanienne précise que tous les travailleurs doivent recevoir un salaire à la hauteur de la quantité et de la qualité du travail réalisé.

Le ministre du Travail s’efforce de lever les obstacles à l’égalité de rémunération en collaborant avec le Département des statistiques générales afin de recenser des informations concrètes qui illustrent les disparités et permettent de trouver des palliatifs. La stratégie nationale d’emploi qui doit être bientôt approuvée sera aussi consacrée à l’égalité de rémunération qui a un impact disproportionné sur l’entrée des femmes instruites sur le marché du travail.

6) Quel a été le rôle des syndicats et de la société civile?

Asma Khader: Je pense que nous n’en avons pas fait assez sur cette question. Les organisations de femmes ont été beaucoup plus déterminées à combattre la violence à l’encontre des femmes ou à promouvoir la participation des femmes à la vie politique qu’à défendre les droits des femmes au travail. Les études que nous avons conduites ont conclu à la très faible syndicalisation des femmes et ont montré que les syndicats pourraient être beaucoup plus actifs, en particulier sur les conditions de travail des femmes. Il est donc impératif de développer et soutenir des programmes qui promeuvent le rôle des femmes dans les syndicats et les organisations de la société civile.

7) Qu’a fait la Commission nationale pour la femme de Jordanie pour promouvoir l’égalité salariale?

Asma Khader: La Commission nationale de la femme a adopté une stratégie qui vise à mettre en place des programmes à long terme pour faire face à ce problème et pour appliquer les recommandations d’une étude récemment publiée sur L’égalité de rémunération en Jordanie, conduite en collaboration avec l’OIT. Nous avons lancé une campagne pour inciter les femmes qui travaillent à contacter le Bureau des plaintes des femmes et à déclarer toute violation des normes internationales au travail, en particulier concernant l’égalité de rémunération. Ce processus de consignation nous fournit des éléments tangibles sur les différents types de discrimination à l’encontre des femmes et nous aident à trouver les moyens de combattre ces pratiques discriminatoires.

Nous devons commencer à travailler très bientôt sur la Stratégie nationale pour les femmes 2011-2016: elle s’emploiera à promouvoir la participation des femmes au marché du travail en améliorant leurs conditions de travail, en particulier eu égard à leur rémunération. Nous allons préparer des publications spécialisées et les distribuer aux travailleuses et à leurs employeurs; nous allons également organiser des ateliers et des séminaires sur les droits des femmes au travail. Nous espérons réunir suffisamment de fonds pour financer des campagnes de presse et de sensibilisation, ainsi que des sessions de formation pour les ONG qui travaillent avec les femmes. Une liste de revendications en matière de justice et d’égalité sur le lieu de travail a été récemment soumise au Parlement, à Sa Majesté le Roi de Jordanie et au Premier ministre. Elle comprend une section sur les femmes qui travaillent avec des dispositions sur l’égalité de rémunération.