Publication

La protection sociale pour tous: de la pauvreté à grande échelle à des sociétés décentes

La récession mondiale a accru le chômage et la pauvreté dans le monde. Une nouvelle publication, "Construire des sociétés décentes", rédigée par Peter Townsend, prend fait et cause pour le développement de systèmes globaux de sécurité sociale dans tous les pays, quel que soit leur niveau de richesses, développement qui permettrait d’adoucir les terribles conditions liées à la pauvreté, de mettre un terme au creusement des inégalités et d’encourager la croissance économique. BIT en ligne propose des questions et des réponses sur la sécurité sociale et nos sociétés d’aujourd’hui.

Article | 2 septembre 2009

Quelle est la pertinence de Construire des sociétés décentes au regard de la crise économique et financière?

Construire des sociétés décentes traite de la question de savoir si, et comment, les systèmes de protection sociale en général, et de sécurité sociale en particulier, doivent figurer en meilleure position dans les priorités politiques mondiales. Le livre suggère que les programmes mis en place pour se relever de la crise économique et financière mondiale de 2009 devraient garantir un niveau minimum de sécurité sociale pour tous; à ce jour, bien que la sécurité sociale soit un droit fondamental, et en dépit des efforts internationaux déployés pour la promouvoir, des pans entiers de la population mondiale s’en voient toujours privés. Construire des sociétés décentes examine l’évolution historique et contemporaine de la protection sociale dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et dans les pays en développement à la lumière de la crise économique et financière actuelle; il s’intéresse aux nouvelles stratégies internationales qui visent à mettre en place la sécurité sociale, à réduire la pauvreté et à contribuer au développement économique et social international.

Quelle importance revêt l’instauration de la sécurité sociale dans des sociétés décentes?

L’un des thèmes centraux de Construire des sociétés décentes est que l’établissement de systèmes de sécurité sociale universels fut une pierre angulaire du développement économique et social réussi des pays de l’OCDE et qu’il a contribué à leur succès en matière de réduction de la pauvreté et d’intégration sociale. Jusqu’aux dix dernières années, le droit à la sécurité sociale et à un niveau de vie suffisant ne comptaient pas parmi les tentatives de combattre l’extrême pauvreté à grande échelle. Cependant, l’énorme potentiel de la sécurité sociale universelle pour les pays à bas revenus est de plus en plus reconnu.

Quels sont les principaux arguments de Construire des sociétés décentes?

Si la sécurité sociale obtient des résultats tangibles dans la lutte contre la pauvreté, ses effets sur la croissance économique font encore l’objet de débats. Cependant, et en particulier dans le contexte de la crise économique et financière actuelle, la question de l’instauration de systèmes de protection sociale dans les pays à bas revenus est primordiale. De tels systèmes ne sont pas un simple luxe pour les pays qui en ont les moyens, mais un rempart contre les chocs économiques et la pauvreté grandissante, ainsi qu’une aide à l’activité économique productive. Construire des sociétés décentes étudie et démonte les mythes qui entourent la relation entre la protection sociale et la performance économique, et passe en revue les pays à bas ou à hauts revenus autour du monde pour voir quels enseignements peuvent être tirés de la présence ou de l’absence de mesures de protection sociale telles que les allocations familiales et l’assurance maladie.

Le modèle de l’OCDE peut-il s’appliquer aux pays moins développés?

Les pays de l’OCDE fondent leurs principaux modèles de sécurité sociale sur l’acceptation du fait que la sécurité sociale est un instrument de modernisation et de croissance durable, ainsi qu’un facteur essentiel de réduction de la pauvreté locale. Bien entendu, les systèmes éprouvés de l’OCDE ne peuvent être transférés en bloc, mais certains modèles de développement peuvent être dupliqués, en commençant par des niveaux de protection modestes pendant les premières phases de développement et en construisant progressivement des niveaux de protection plus élevés au fur et à mesure de la maturation de l’économie. Si ces modèles devaient être adoptés par les pays à bas revenus, la performance de l’économie mondiale, ainsi que les marges de manœuvre budgétaires et les priorités politiques de chaque pays continueraient à déterminer le rythme du développement de la sécurité sociale pour la majorité de la population. Dans de nombreux pays en développement, des programmes restreints voire élitistes continuent de prévaloir, et les systèmes de sécurité sociale sont désespérément sous-financés et très divers.

Comment pouvons-nous surmonter les défis que pose la mise en place de la sécurité sociale?

Des partenariats globaux entre gouvernements nationaux, donateurs internationaux et ONG pourraient agir efficacement pour lever certaines contraintes; le défi est d’établir des systèmes de sécurité sociale qui prennent en compte l’absence de politiques d’aide sociale cohérentes et complètes dans les pays les plus pauvres. Pour parvenir à ce but, les pays à bas revenus ou à revenus intermédiaires ont besoin d’aide. Les modèles européens de protection sociale, même s’ils ne seront jamais complètement répliqués, continuent de servir de référence pour les réformateurs de l’Etat providence dans les pays en développement. La clé, c’est de créer, grâce à une volonté et à une vision politiques, une société où la population est en relative sécurité même si son pays n’est pas nécessairement riche. Cet ouvrage essaie de briser quelques-uns des mythes qui laissent entendre que cela n’est pas réalisable dans les pays à revenus faibles ou moyens. La sécurité sociale est une question de partage des ressources sociétales – et personne n’est trop pauvre pour partager.

Quels enseignements pouvons-nous tirer de la crise économique vis-à-vis de la sécurité sociale?

La crise économique a clairement montré que les Nations Unies et les autres organismes internationaux devraient formuler des stratégies qui favorisent la sécurité sociale comme élément fondamental des politiques de réduction de la pauvreté et qui encouragent la poursuite de vastes politiques de développement permettant aux pays de croître avec équité. Cet ouvrage est un argument de poids en faveur d’une rapide extension de la sécurité sociale universelle dans les pays à bas revenus et de l’introduction d’un niveau minimum de protection sociale dans tous les pays, comme le préconise le Pacte mondial pour l’emploi adopté par la Conférence internationale du Travail de l’OIT en juin 2009.

Quelles sont les recommandations de l’ouvrage?

Construire des sociétés décentes débat de l’énorme potentiel, insuffisamment exploité, qui existe dans les pays à bas revenus pour étendre la sécurité sociale universelle. De nouvelles stratégies internationales doivent reconnaître que les développements économiques et sociaux des différents pays sont inextricablement interdépendants; des politiques de sécurité sociale adaptées doivent donc être élaborées pour concourir à réduire véritablement la pauvreté et contribuer fructueusement au développement économique et social. C’est un message fort qui a encore gagné en pertinence avec la crise financière et économique mondiale de 2008-09 et qui commence à faire son chemin dans les débats nationaux et internationaux sur les politiques de développement.

L’auteur

Peter Townsend fut professeur de politique sociale internationale à la London School of Economics et Professeur émérite de politique sociale à l’Université de Bristol. Au cours de sa longue carrière, ses thèmes de recherche ont porté sur la politique sociale internationale; la sociologie de la pauvreté; les inégalités en matière de santé; le vieillissement, le handicap et la famille. Parmi ses publications les plus récentes figurent Le droit à la sécurité sociale et le développement national: leçons tirées de l’expérience de l’OCDE pour les pays à bas revenus (2007), La pauvreté des enfants dans le monde en développement (en collaboration avec David Gordon et autres, 2003) et La pauvreté mondiale: de nouvelles politiques pour vaincre un vieil ennemi (coauteur, 2002). Militant et activiste inlassable, il fut le cofondateur et le président d’Alliance pour le handicap, et membre fondateur et président du Groupe d’action contre la pauvreté des enfants, jusqu’à sa mort inopinée en juin 2009.

Les collaborateurs

Un grand nombre d’éminents spécialistes de la sécurité sociale ont collaboré à cet ouvrage: Armando Barrientos, Christina Behrendt, Bea Cantillon, Michael Cichon, Chris de Neubourg, John Farrington, Krzysztof Hagemejer, Paul Harvey, Rebecca Holmes, Pongpisut Jongudomsuk, Stephen Kidd, Rüdiger Krech, Supon Limwattananon, Peter Lindert, Francie Lund, Walaiporn Patcharanarumol, Phusit Prakongsai, Michael Samson, Wolfgang Scholz, Rachel Slater, Viroj Tangcharoensathien et Raymond Wagener.