Opinion

Protéger les droits sociaux dans l’UE

Au moment où la mondialisation est remise en question pour les inégalités de richesse et de pouvoir qu'elle génère, les droits sociaux constituent le fondement sur lequel il est possible de protéger les plus vulnérables et de construire un monde plus juste. La réflexion sur l'avenir de l'Europe fournit une occasion unique de traiter ces questions.

Actualité | 17 mars 2017
Le 25 mars marquera le 60ème anniversaire de la signature du Traité de Rome qui lança le processus d'intégration européenne. Il s'agit là d'une occasion unique de réfléchir sur l'avenir de l'Europe et d'approfondir un débat, qui trop souvent a été réduit à la question de savoir s'il faut davantage ou moins d'Europe.

L’opportunité se présente cependant à un moment où l'UE affronte plusieurs défis, de la viabilité des finances de la Grèce aux tensions créées par les flux migratoires et de la montée de l'euroscepticisme au vote sur le Brexit. La crise multidimensionnelle que traverse l'UE aujourd'hui est différente des précédentes en ce qu’elle est existentielle. Elle touche à la notion même d'intégration. De quel type d'intégration parlons-nous? Quel niveau de solidarité cherche-t-on à atteindre? Quel type de modèle socio-économique veut-on promouvoir? (Re)définir une vision pour l'Europe est impératif, non seulement pour surmonter les défis actuels, mais aussi pour faire face à la mondialisation.

Ce débat essentiel se déroulera avec pour toile de fond la crise de 2008 dont les conséquences sociales se font encore sentir. Si le chômage diminue lentement dans l'UE, près d'une personne sur quatre présente un risque de pauvreté, parmi elles 9% ont un emploi. De nombreuses personnes se sentent abandonnées dans un monde par lequel elles se sentent dépassées. En outre, la crise a sensiblement aggravé les disparités entre les résultats des politiques sociales et d’emploi des Etats membres. Un exemple frappant de cette divergence est l'évolution du rapport entre le taux de chômage le plus élevé et plus bas de l'UE. Il était de 1 à 3 en 2007. Aujourd'hui il est de 1 à 5. Cette divergence, qui met à mal l'ambition déclarée du projet européen, doit conduire à faire de la recherche de la convergence une priorité absolue afin de maintenir le soutien politique à l'UE, mais aussi afin d'assurer le bon fonctionnement de l'union monétaire.

Les raisons de ces écarts croissants entre les États membres sont diverses et complexes. Un facteur clé réside néanmoins dans la fragilité de la gouvernance sociale de l'Union, dont la faiblesse contraste fortement avec le cadre budgétaire contraignant applicable aux membres de la zone Euro.

Bien que leurs engagements internationaux soient largement similaires en vertu des Conventions de l'OIT ou de la Charte sociale du Conseil de l'Europe, l'application des droits sociaux dans les États membres de l'UE est très inégale. Plutôt que de pallier ce déséquilibre et de consolider l'union économique et monétaire en renforçant la protection des droits sociaux, la gouvernance socio-économique actuelle de l'Union n’a pas inclus cette dimension. Même la Charte des droits fondamentaux de l'UE, qui fait partie intégrante de l'acquis de l'Union, n'est que marginalement prise en considération dans les processus de coordination macroéconomique. Elle n'est pas davantage prise en compte dans les programmes d'assistance financière qui sont négociés en dehors du champ d'application des traités de l'UE. De fait, des experts des Nations Unies, de l'OIT ou du Conseil de l'Europe ont à plusieurs reprises mis en garde contre l'impact de la politique économique de l'UE sur la capacité des États membres à remplir leurs obligations découlant de traités internationaux.

Sans un ensemble contraignant de droits sociaux applicable à tous les États membres, il est peu probable qu’une convergence sociale vers le haut se réalise. Deux événements récents pourraient cependant nous permettre de sortir de l'impasse actuelle. Le premier est la proposition du président Juncker de créer un socle européen des droits sociaux, dont l'objectif est de rapprocher les performances des politiques nationales d'emploi et sociales. Bien que ses contours soient encore à définir, cette initiative pourrait remédier à certains déséquilibres actuels.

Deuxièmement, dans une récente décision concernant Chypre, la Cour de justice de l'UE a estimé que la Commission européenne et la Banque centrale européenne devaient veiller à ce que les droits fondamentaux, tels que reconnus dans la Charte de l’UE, soient pleinement respectés dans la conception et la mise en œuvre des mémorandums d'accord conclus avec les États qui souhaitent obtenir le soutien du Mécanisme européen de stabilité. Ainsi, les programmes de sauvetage devront dorénavant tenir compte des droits sociaux. Cette décision s'inscrit dans la logique de la Déclaration adoptée le 24 juin 2016 par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, qui rappelle les obligations en matière de droits de l’homme incombant aux organisations internationales et aux États, tant prêteurs qu’emprunteurs, lorsqu'ils participent à des programmes de stabilité financière.

Comment mieux intégrer les droits sociaux dans l'architecture économique de l'UE?

À court terme, des actions concrètes pourraient être envisagées afin de renforcer la cohérence des objectifs nationaux en matière sociale, économique et budgétaire. A cette fin, les études d'impact pourraient se révéler un instrument utile puisqu’elles permettent d’évaluer ex ante la compatibilité de mesures économiques et fiscales avec les droits sociaux fondamentaux reconnus par l'ordre juridique européen et par le droit international des droits de l’homme.

À plus long terme, il faudra peut-être reprendre les discussions sur la manière de placer l’UE sous le contrôle des organes internationaux et régionaux de protection des droits de l'homme, notamment pour permettre aux États membres de remplir leurs obligations découlant de la ratification de traités internationaux ou régionaux.


Les auteurs s’expriment en leurs noms propres.

Claire Courteille-Mulder est la directrice du Bureau international du travail (BIT) à Bruxelles
Olivier De Schutter est professeur à l’Université de Louvain (UCL) et membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies

Cette opinion a été publiée d'abord par Le Soir et Le Monde