Interview

Entretien avec Maria Héléna André, Directrice d’ACTRAV

Nommée récemment au poste de Directrice du Bureau des Activités pour les travailleurs (ACTRAV), Mme Maria Héléna André souhaite renforcer les services de son département pour les mandants travailleurs. Syndicaliste et ancienne ministre du Travail et de la Solidarité sociale du Portugal (2009-2011), Mme André aborde dans cet entretien, les questions de l’égalité des genres au sein du mouvement syndical et exprime son opinion sur le thème du travail décent qui sera célébré le 7 octobre prochain.

Actualité | 30 septembre 2013
ACTRAV INFO : Vous avez pris fonctions le 2 septembre dernier au poste de Directrice d’ACTRAV. Quelles sont vos objectifs à la tête de ce département pour épauler les organisations syndicales?

Maria Héléna André :
Je dois dire que c’est un honneur et un plaisir pour moi d’assumer ces fonctions de Directrice de ce département. Au sein d’ACTRAV, nous avons une équipe dynamique à la fois sur le terrain et au siège à Genève pour renforcer le tripartisme au sein de Bureau International du Travail (BIT) et mieux servir nos mandants travailleurs. Ma vision par rapport au travail d’ACTRAV est assez simple. Nous faisons partie du BIT et nos mandants sont les organisations syndicales qui représentent les travailleurs; et sur ce plan ACTRAV a deux objectifs. Premièrement, c’est de travailler de manière solidaire au sein du BIT pour assister le Bureau à élaborer et appliquer dans la pratique, les résultats, conventions, résolutions et recommandations pour aider les organisations syndicales qui sont sur le terrain. ACTRAV doit pouvoir influencer la politique du BIT et ses différents départements pour mieux réfléchir à la cause des travailleurs et du monde du travail.Deuxièmement, nous avons les organisations syndicales et les travailleurs pour et avec lesquels nous travaillons sur le terrain. Notre travail avec les organisations syndicales doit avoir des résultats sur l’agenda de l’OIT pour mieux assister les syndicats sur le terrain partout dans le monde. L’équipe d’ACTRAV va apporter son appui au secrétariat du Groupe Travailleur ainsi qu’aux membres du Groupe Travailleur du Conseil d’administration pour mieux préparer les sessions du Conseil d’administration et la Conférence internationale du travail.

Je pense que la question de l’application des normes internationales du travail doit être transversale pour impliquer tout le monde. Je suis d’avis que dans un monde globalisé, il doit y avoir une compétition saine qui doit s’appliquer sur les principes et les normes internationales du travail .Et les syndicats ont une grande responsabilité dans ce travail, parce qu’ils doivent travailler ensemble avec les gouvernements et les organisations d’employeurs. A ce niveau l’approche tripartite du BIT est très importante ; c’est pourquoi le travail d’ACTRAV pour appuyer les organisations syndicales, doit permettre la mise en œuvre de l’agenda du BIT et faire en sorte que cet agenda puisse renforcer la place et le rôle des organisations syndicales et par conséquent la défense des droits des travailleurs pour instaurer plus de justice sociale dans le monde.

ACTRAV INFO : Au niveau d’ACTRAV, vous êtes la première femme nommée à ces fonctions. D’une manière générale, quel regard portez-vous sur l’égalité des genres au sein du mouvement syndical?

D’abord, je pense qu’on a beaucoup fait dans le cadre de la participation des femmes dans les organisations syndicales. Mais je crois que beaucoup reste encore à faire parce que la participation des femmes doit être plus ouverte qu’elle ne l’est aujourd’hui. La plupart des organisations syndicales possèdent de nos jours, des départements  "Femmes " qui traitent des questions liées aux femmes sur leurs lieux de travail ; je ne suis pas pour cette approche. Je pense que la mise en place d’un département "Femmes" est très importante, mais il faut que les questions liées à l’égalité ne se concentrent pas uniquement sur l’approche des sexes. Cette égalité doit se concentrer également sur d’autres questions importantes comme l’aide aux femmes et aux hommes pour faire face à leur structure familiale. Par exemple, , il y a aujourd’hui des familles mono parentales qui ont besoin par exemple de concilier leur vie familiale et leur activité professionnelle. Et ces questions sont valables autant pour les femmes que pour les hommes. C’est pourquoi, la question d’égalité ne peut pas être traitée uniquement au sein d’un département "Femmes", mais elle doit faire partie d’une politique globale des organisations syndicales. Et sur ce plan, je pense qu’il y a encore un gros travail à fournir.

Ensuite, dans beaucoup d’organisations syndicales, les femmes occupent des postes de direction et de prises de décisions. Mais les questions liées à la parité ou le quota de représentation des femmes dans ces organisations, ne sont pas suffisamment implantées car, il y a des exécutifs dans certains syndicats qui sont composés uniquement par des hommes. Je pense que les syndicats ne doivent pas être ceux qui prêchent l’égalité sans pour autant la pratiquer dans leurs organisations.

Enfin, je pense qu’avec l’entrée massive des femmes sur le marché du travail, les syndicats en tant que partenaires sociaux doivent tenir compte dans les négociations collectives, de cette diversité sur les lieux de travail. Or pour atteindre cet objectif, il faut que les syndicats constituent davantage d’équipes mixtes composées d’hommes et de femmes pour mieux négocier avec les employeurs et les gouvernements; et pas uniquement des équipes masculines comme c’est le cas encore dans beaucoup de pays.

ACTRAV INFO : Le mouvement syndical international célèbre le 7 octobre, la Journée mondiale pour le travail décent sous le thème, “Organisez-vous!”. A cette occasion, quel message adressez-vous aux organisations syndicales qui ont des attentes vis-à-vis du BIT?

Pour que les organisations syndicales soient fortes, autonomes et indépendantes, il faut qu’elles soient représentatives ; et dans ce sens, le thème de cette année sur l’organisation des syndicats, est très important pour deux raisons.

D’abord, parce que les syndicats ont besoin d’élargir leurs bases d’appui pour accroître leur représentativité. Le travail effectué par le BIT à travers ACTRAV pour appuyer les organisations syndicales, vise aussi à renforcer ces organisations pour être plus représentatives avec des moyens techniques, pour discuter avec les employeurs et les gouvernements. Je pense que ce travail de développement des ressources des organisations syndicales est donc très important et les syndicats doivent s’impliquer davantage sur les lieux de travail pour recruter plus de travailleurs. Ceci demande de nouvelles stratégies de recrutement, différentes de celles utilisées il y a 30 ou 40 ans. Il faut penser donc aux jeunes, aux femmes, aux minorités ; ce qui nécessite une ouverture dans le langage et la pratique des organisations syndicales. Je suis certaine que les syndicats sont conscients de ces défis et qu’ils agiront conséquemment pour mieux répondre aux besoins des travailleurs.

Ensuite, l’organisation des syndicats implique également l’objectif du travail décent pour tous. Ce qui suppose une meilleure protection sociale et une sécurité de l’emploi pour tous, en particulier pour les travailleurs de l’économie informelle. Des millions de travailleurs sont aujourd’hui dans l’économie informelle et les défis sont énormes pour leur syndicalisation qui est indispensable pour mieux défendre leurs droits. D’ailleurs, vu l’importance de ce thème de l’économie informelle, le Conseil d’administration de l’OIT a décidé en mars 2013 d’inscrire à l’ordre du jour de la 103ème session de la Conférence international du travail, une question normative sur la nécessité de faciliter la transition de l’économie informelle à l’économie formelle. L’objectif , c’est de faciliter l’élaboration d’une recommandation sur ce thème. En juin 2014, les travailleurs, les employeurs et les gouvernements vont donc réfléchir ensemble sur les éléments de réponse dans le cadre tripartite, pour faciliter la transition de l’économie informelle à l’économie formelle. Je pense que c’est le début d’un processus dont l’objectif final est de permettre aux millions de travailleurs de l’économie informelle d’accéder à un travail décent
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Pour terminer, je pense que ce thème de l’organisation des syndicats implique également une solidarité renforcée au sein du mouvement syndical, surtout en cette période de crise économique et financière qui touche principalement les travailleurs. L’unité du mouvement syndical est donc indispensable, et le BIT à travers ACTRAV, est disponible pour appuyer les syndicats afin renforcer le dialogue social, le tripartisme et l’application des normes internationales du Travail.