Kenya: Entretien avec Francis Atwoli

Questions et réponses avec Francis Atwoli, Secrétaire Général de la Confédération syndicale du Kenya (COTU-K) et membre du Conseil d’Administration du BIT.

Communiqué de presse | Geneva, Switzerland | 14 novembre 2012

En tant que Secrétaire général de COTU-Kenya, comment voyez-vous la situation des droits des travailleurs dans votre pays ?


Francis Atwoli :
Les droits des travailleurs sont dans une situation épouvantable dans mon pays car nous ne recevons pas le soutien du gouvernement que nous sommes censés avoir et la réglementation de la pratique des relations professionnelles a été entièrement laissée à l’initiative des syndicats et des employeurs. Le gouvernement est mal équipé et le ministère du Travail mal financé ; ce qui explique que ledit ministère ne s’acquitte pas des tâches de gestion et d’inspection du travail qu’il est tenu de mettre en œuvre. Aussi, dans d’autres branches d’activité où nous ne disposons pas d’une forte représentation syndicale, l’exploitation est à l’ordre du jour, avec un plus grand nombre d’heures de travail – par l’introduction des emplois précaires, de la précarisation des travailleurs sous contrats à durée déterminée, des travaux ponctuels et d’un système de travail non dûment réglementé. La protection des droits des travailleurs est donc mise en danger au Kenya par la faiblesse des fonds attribués au ministère du Travail, qui manque par ailleurs de moyens pour faciliter les tâches requises en matière de gestion et d’inspection du travail. En effet, le ministère manque à la fois de véhicules et de fonctionnaires – et ceux qui s’y trouvent ont été formés il y a plus de vingt ou trente ans, c’est-à-dire qu’ils sont pratiquement sur le point de partir à la retraite. Nous avons besoin de jeunes inspecteurs du travail et de personnes à même de poursuivre les employeurs qui ne respectent pas les normes internationales du travail de l’OIT et la législation locale, ou qui commettent des manquements dans d’autres domaines. Ainsi, par exemple, nous exigeons la mise en place d’une inspection dans le domaine des rémunérations et dans d’autres domaines. Nous voulons que le ministère apporte son soutien et adopte une politique salariale et une politique de l’emploi dans des domaines qui déboucheront sur la création d’emplois pour les jeunes au Kenya. C’est vraiment ce dont le pays a besoin car le ministère du Travail n’a pas assez de fonds et les syndicats ne sont pas soutenus à 100 pour cent par le gouvernement, ce qui laisse de nombreuses failles que peuvent exploiter nos frères chevronnés – hommes politiques, etc. – en particulier dans les domaines de la protection sociale, du financement de la caisse nationale d’assurances, etc., dans l’objectif de soustraire les fonds dont les travailleurs ont tant besoin et d’augmenter de manière drastique les taux de cotisations sans aucune large consultation préalable des partenaires sociaux et en contradiction avec la Convention n° 144 de l’OIT.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis de l’OIT dans le cadre de la promotion et du respect des normes internationales du travail dans votre pays ?


Francis Atwoli :
Ils ne respectent et n’honorent pas les cinq ensembles de lois nationales du travail dont nous disposons – qui sont très bonnes –, pas plus qu’ils ne respectent les spécialistes des relations professionnelles puisque, vous le savez peut-être, ils ont criminalisé une question relative à la grève, qui est pourtant inscrite dans notre Constitution nationale, et ils m’ont arrêté ! Il s’agit là de pratiques déloyales du travail et d’un abus de pouvoir exercé de nos jours par ceux qui se sont vu confier des mandats constitutionnels. Ils ont usé abusivement de leurs pouvoirs pour être certains que les voix de ceux qui ont été élus au nom des sans-voix soient inaudibles – ce qui est très mauvais et inacceptable au niveau international. Donc, s’ils peuvent faire ce qu’ils font et ne pas respecter et honorer nos lois et règlements nationaux, comment pourraient-ils respecter les normes du travail de l’Organisation internationale du Travail ? La situation a encore empiré quand ils ont su que j’avais été élu vice-président de la Conférence internationale du Travail, ce qui plaçait notre pays sur le devant de la scène internationale ; et, à mon retour au pays, personne ne voulait connaître mon expérience syndicale, ni l’histoire des relations professionnelles, ni les techniques de gestion modernes que j’ai appliquées. Tout ce qu’ils voulaient, c’était m’arrêter et engager une action en justice contre moi, pour finalement me condamner à verser près de six mille dollars des E.U. (6 000 $) – où les travailleurs pourraient-ils trouver une pareille somme ? Et tout ce qu’ils ont derrière la tête, c’est justement ça : ils ne respectent pas les normes du travail internationales.

Parlons à présent des activités de la COTU-Kenya est très impliquée dans l’éradication du travail des enfants. Selon vous, quelles solutions recommandez-vous pour protéger les enfants et faciliter l’application des conventions de l’OIT notamment la Convention 182 ?


Francis Atwoli :
En fait, lorsque la Convention n° 182 a vu le jour, nous avons été les premiers au Kenya à nous réjouir car j’étais alors Secrétaire général du Syndicat des travailleurs des plantations et de l’agriculture du Kenya – et les têtes de pont des abus sur les enfants étaient les plantations. Ces enfants qui étaient censés aller à l’école étaient forcés à travailler dans les plantations ; et je puis vous assurer que, grâce au soutien que nous avons reçu du programme IPEC de l’OIT, nous avons fait un excellent travail avec les employeurs et les travailleurs pour réduire de manière considérable le nombre d’abus dans ce domaine particulier du travail des enfants. Nous aimerions que l’OIT redouble d’efforts dans ce domaine pour que nous puissions encore progresser. Par ailleurs, comme je l’ai expliqué, il s’agit d’un domaine où le gouvernement est censé exercer des pressions et faire œuvre de sensibilisation au travail des enfants. Mais lorsqu’il ne dispose tout simplement pas de moyens, lorsqu’il n’attribue pas suffisamment de fonds pour établir un budget en mesure de soutenir le ministère du Travail et de s’assurer que les inspecteurs du travail interviennent partout, alors, dans d’autres domaines auxquels nous n’avons pas accès, le travail des enfants persiste. C’est pourquoi j’en appelle à l’OIT pour qu’elle mette en place un programme semblable à celui dont nous avons bénéficié au titre de l’IPEC pour prêter son concours à l’élimination du travail des enfants. Nous rejoignons également la position prise par les pays à l’appui des questions soulevées par la convention n° 182 et en faveur de l’élimination du travail des enfants à l’échelle planétaire.