Conférence Internationale du Travail 2012: Interview de Luc Cortebeeck, Vice-président Travailleur du Conseil d'administration

La 101ème session de la Conférence Internationale du Travail s’est achevée avec l’adoption d’une nouvelle recommandation sur la protection sociale et un appel en faveur de la démocratie au Myanmar.M. Luc Cortebeeck, Vice-président Travailleur du Conseil d'administration, revient sur les moments forts de cette Conférence à laquelle assistait pour la dernière fois, M. Juan Somavia dans ses fonctions de Directeur général du Bureau International du Travail, après l’élection de son successeur, M. Guy Ryder.

Communiqué de presse | Geneva,Switzerland | 15 juin 2012

ACTRAV INFO : La Conférence Internationale du Travail vient de s’achever avec l’adoption d’une recommandation sur la protection sociale. Que représente cet instrument de l’OIT pour les travailleurs ?

C’est pour la première fois, qu’on a un tel instrument. Il y a naturellement la convention sur la sécurité sociale, mais ce qui est nouveau c’est que désormais, les travailleurs, partout dans le monde doivent bénéficier d’un socle de protection sociale. On a donc une possibilité de construire partout, une sécurité sociale ; ce qui est un pas en avant énorme pour les travailleurs. Naturellement, il s’agit d’une recommandation qui doit être mise en pratique. Les négociations doivent commencer maintenant dans tous les pays sur le soutien des institutions internationales pour atteindre cet objectif. Je pense que c’est un moment important avec l’adoption de cette recommandation, mais c’est maintenant que le travail commence.

ACTRAV INFO : Un des thèmes abordés lors de cette conférence, c’est la question de l’emploi des jeunes. Selon vous, comment le BIT peut il relever ce défi dans un contexte économique marqué par les mesures d’austérité et la précarité qui touchent les travailleurs, notamment dans les pays riches ?

Avec les mesures d’austérité, on voit aussi qu’elles n’aident pas beaucoup. Je vois que dans beaucoup de pays, il y a des problèmes de croissance économique et budgétaire. Je pense qu’il faut balancer, travailler avec plus d’éléments de croissance et d’investissements. Dans les pays riches, on voit également qu’il y a beaucoup de jeunes qui n’ont pas d’emploi ; et c’est dans ce sens que nous estimons qu’il faut vraiment travailler pour la croissance qui doit être vivable dans l’avenir. Si on ne veut pas perdre les jeunes, c’est le moment d’aller en avant en investissant, en changeant la politique actuelle adoptée dans plusieurs pays en Europe.

ACTRAV INFO : Est-ce que le BIT peut agir dans ce sens pour renforcer cette politique en matière d’emploi des jeunes ?

Oui, tout à fait ! Si la communauté européenne avait son modèle social, on a pu observer pendant cette conférence de l’OIT, que cet élément est presque perdu dans ces pays. Et c’est le BIT qui peut faire l’équilibre et c’est l’OIT qui peut dire à l’Union européenne par exemple, d’agir avec les acteurs sociaux, de travailler pour l’emploi et renforcer la sécurité sociale. En Europe, quand on compare cette période à d’autres périodes difficiles notamment dans les années 30, c’est avec des taxes sur les transactions financières, qu’on peut avoir suffisamment de moyens pour investir. Je pense qu’il faut donc changer la politique actuelle.

ACTRAV INFO : Cette conférence a connu la participation de la Présidente de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), Mme Aung Sang Suu Kyi, qui a également rencontré le Groupe travailleur. Que représente pour vous cette visite ?

C’est un moment unique. Avant, le BIT a connu déjà la visite de Nelson Mandela, de Lech Walesa. Ce sont toutes des personnes qui ont changé pas seulement leurs pays, mais une partie du monde entier. Ce sont des exemples pour nous tous y compris les travailleurs. Cette visite de Mme Suu Kyi signifie aussi que le système de l’OIT a marché. Pendant des années, nous avons lutté au sein de la commission d’application des normes où nous avons eu des discussions parfois pessimistes sur le changement au Myanmar. Mais après 20 ans, il faut dire qu’il y a eu un changement. Et Mme Aung Sang Suu Kyi l’a dit elle-même ; s’il y a une organisation internationale qui l’a vraiment soutenu, c’est bien l’OIT.

ACTRAV INFO : L’OIT a décidé de lever les restrictions à l’encontre de Myanmar. Est-ce l’aboutissement d’une longue lutte menée par l’OIT dans le cadre de l’éradication du travail forcé et le renforcement de la liberté syndicale dans ce pays ?

J’ai participé récemment à une mission de haut niveau de notre organisation dans ce pays. On a constaté qu’il y a des progrès et nous avons rencontré les facilitateurs qui nous ont confirmé qu’il y a des changements au Myanmar. Nous avons l’impression que ça va dans la bonne direction, mais il faut être prudent. Et c’est pour ça, qu’il y aura encore de nouvelles évaluations en novembre 2012 au conseil d’administration, des discussions auront lieu en mars et juin 2013. Donc, il faut marquer notre présence et exiger plus d’avancements dans l’éradication du travail forcé.

ACTRAV INFO : Enfin, M. Juan Somavia a assisté à sa dernière conférence dans ses fonctions de Directeur général. Au nom du Groupe travailleur, avez-vous un message pour le Directeur général et son successeur, M. Guy Ryder ?

Pour le Directeur sortant, M. Somavia, nous devons vraiment le remercier. Parce que ce n’est pas évident car l’OIT, c’est une organisation tripartite. Et il fut un moment où le monde disait, « oui, il y a l’OIT, mais est ce qu’elle a encore une grande importance ? » Maintenant, on voit que l’OIT a plus de visibilité dans le monde, dans les pays ainsi que vers les autres institutions notamment le FMI et la Banque Mondiale. Ce sont des éléments importants et il faut noter également que l’OIT est représentée au G20 par le Directeur Général. Aujourd’hui, l’OIT a sa place dans le monde. Peut être que la masse des travailleurs ne connait pas suffisamment l’OIT ; mais heureusement que nous avons cette possibilité avec l’OIT de discuter au niveau mondial, avec les employeurs et les gouvernements. Les travailleurs ont leur place dans cette institution internationale. Il y a encore beaucoup à faire, mais il ne faut pas oublier que l’OIT est très importante. Beaucoup de choses ont été acquises grâce au Directeur général, Juan Somavia.

Pour le nouveau Directeur, Guy Ryder, beaucoup de choses ont été faites. Je pense qu’il faut voir maintenant ce qu’on peut faire avec les conventions, les normes dans l’avenir. Comment améliorer ces normes, comment les adapter au contexte actuel ? Les valeurs restent les mêmes, mais les temps changent. Donc, il faut parfois prendre le risque de s’adapter à ces temps nouveaux mais en gardant les valeurs. Ensuite, il faudrait renforcer la coopération entre l’OIT et les autres organisations internationales qui sont plutôt économiques pour trouver l’équilibre entre l’économique qui est nécessaire et le social. Car l’économie réelle ne marche pas sans les travailleurs, sans les organisations syndicales, sans concertations et dialogue social. C’est ce message qu’il faut renforcer dans tous les pays. On doit encore ratifier plus de conventions et insister sur leur application. Ce n’est pas seulement les mots, mais c’est aussi la pratique. C’est ce message là que j’adresserai au nouveau Directeur général, car il aura beaucoup à faire.