Coopération Technique et Développement: Entretien avec Enrico Cairola

Communiqué de presse | 15 avril 2011

ACTRAV INFO : Quel rôle les constituants de l’Organisation Internationale du Travail peuvent-elles jouer pour donner toute son efficacité à l’aide au développement ?

Enrico Cairola : Les syndicats tiennent un rôle-clé dans les processus de développement. Leurs structures démocratiques leur confèrent une légitime représentativité dans la défense des travailleurs auprès des gouvernements et des organisations patronales. Leur implication dans le dialogue social fait d’eux, des acteurs de premier plan dans l’élaboration des politiques du travail et de l’action sociale. Tout développement efficace suppose également de renforcer la démocratie. Des syndicats libres et un plus large recours à la négociation collective dans les pays industrialisés et en développement en sont les deux principaux piliers, à la fois tremplin de la démocratie et pierre angulaire d’un développement juste et durable. En organisant les salariés, y compris ceux qui émargent à l’économie informelle, les organisations syndicales sont à même de jouer un rôle notable dans l’épanouissement du dialogue et de la justice sociale Donner plus de cohérence à une politique de développement, appelle à évaluer les capacités d’action des organisations de travailleurs, un atout propre à faciliter le dialogue social. Renforcer le potentiel des partenaires sociaux et leur aptitude à oeuvrer de concert sur les questions de travail et d’intérêt social (l’Agenda du travail décent) est, à l’évidence, le meilleur moyen de promouvoir le progrès social, la démocratie et une croissance partagée.

Au sein du mouvement ouvrier, la notion même d’efficacité se fonde aussi sur les échanges de pratiques et d’expériences entre organisations partenaires, sous la condition que l’on respecte scrupuleusement la responsabilité première du récipiendaire dans la définition des priorités et des concepts et dans l’exécution de toute initiative de coopération. L’efficacité en matière de développement passe aussi, dans l’esprit du mouvement ouvrier, par la multiplication d’accords de partenariat, fondés, en règle générale, sur le principe de l’égalité et s’exprimant au sein de réseaux de caractère social, propres à favoriser l’échange de connaissances. Cette « approche en partenariat » trouve sa traduction dans le partage, sur un pied d’égalité, des expériences et des bonnes pratiques. Elle se fonde sur le respect et la confiance mutuels et la compréhension, étant entendu que la diversité, voire même des opinions divergentes, ont qualité de valeur ajoutée.

Autre facteur de première importance: le caractère viable et durable du processus de développement. La durabilité suppose que les institutions impliquées –entendez les partenaires sociaux- disposent d’un mandat clair, d’un certain degré d’indépendance/autonomie, d’une parfaite conscience des enjeux et d’un sens des responsabilités (en particulier dans le choix des candidats intégrant les représentations ouvrières et patronales). Les représentants tripartites sont des acteurs de premier plan dans la mise en place d’un système de gouvernance au niveau national. Il leur suffit d’être là, et s’ils ne sont pas présents, c’est que la démocratie bat de l’aile et que l’on bafoue les droits essentiels du monde du travail. On ne saurait imaginer un nouveau modèle de développement efficace sans des partenaires sociaux dûment habilités à façonner les politiques nationales en la matière et à donner au marché un caractère dynamique et viable.

Développer les capacités d’action est à l’évidence un gage important de durabilité: cela conforte les partenaires sociaux et, dans un deuxième temps, permet aux organisations de travailleurs et d’employeurs de s’autofinancer par le biais des cotisations de leurs membres. C’est en démocratisant l’élaboration des stratégies de développement et en la confiant à des institutions représentatives, comme les syndicats, que l’on aura le plus de chance de s’assurer d’un développement efficace. Les partenaires sociaux sont les acteurs-clés de l’avènement d’une démocratie réelle et ils doivent avoir leur mot à dire dans la définition de ces stratégies.

ACTRAV INFO : Comment s’assurer de l’efficacité des politiques de développement?

Enrico Cairola : Repenser les politiques de développement, c’est s’attaquer à la réduction des inégalités au plan national (par le biais d’une politique ad hoc) et reformer profondément, à l’échelle mondiale, la gouvernance d’organisations comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).. Négociation collective, politiques fiscales progressistes, minimums salariales, services publics de qualité et meilleure protection sociale sont les principales composantes d’un futur modèle de développement. Le Pacte mondial pour l’emploi du BIT retient l’ensemble de ces éléments et s’efforce de les intégrer dans les DSRP (Documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté).Par le truchement de ce Pacte, l’Organisation internationale du Travail offre aux partenaires sociaux un instrument original qui devrait les aider à concevoir de nouvelles politiques nationales de développement et à surmonter la présente crise. Dans le même temps, le Pacte dessine les contours d’un autre modèle de mondialisation, fondé sur le travail décent, l’équité et la notion de droits

ACTRAV INFO : Comment intégrer pratiquement les principes et droits fondamentaux du travail dans les priorités que chaque pays fixe à son développement?

Enrico Cairola : Les droits du travailleur sont des droits de l’homme: il appartient aux états membres et à la communauté internationale de s’assurer de leur respect universel. Pour l’ACTRAV, un développement efficace se doit d’être profondément ancré sur le respect des droits. La notion de démocratie trouve son fondement dans les principales conventions de l’OIT et il serait bien difficile de promouvoir un nouveau modèle de développement sans mettre au cœur même de cette démarche, la primauté de ces droits. Concevoir ce nouveau modèle suppose aussi un certain degré de cohérence au sein des institutions financières internationales, et en particulier au sein de l’OMC ; il importe qu’elles fassent de la promotion des droits du travailleur un objectif déclaré de leurs activités, qu’elles reconnaissent pleinement les dispositions du mandat de l’OIT et acceptent le déploiement de son dispositif de surveillance. L’inclusion des principes et droits fondamentaux au travail dans le schéma de développement national (élaboration et lancement des programmes par pays pour le travail décent -DWCPs) est, pour le mouvement ouvrier, une priorité. Cet aspect devra, dans un deuxième temps, être conforté dans les DCWPs, et notamment dans les Plans cadres des Nations Unies pour l’aide au développement (PNUAD).

ACTRAV INFO : Une autre dimension du développement, c’est la coopération Sud Sud entre les Etats. Comment le BIT peut-il s’engager davantage dans la coopération Sud-Sud et renforcer son aide aux pays les plus fragiles?

Enrico Cairola : La coopération Sud Sud se doit de refléter un nouveau modèle économique et social de développement. La plupart des priorités du mouvement ouvrier, mis en exergue ci-dessus, se retrouvent dans cette coopération. Les pays du Sud continueront à jouer un rôle important dans les programmes de développement international, d’aide et de coopération parce que les pays en développement ont encore besoin de partager connaissances, expériences et bonnes pratiques, qui reflètent leur histoire particulière et leur propre cheminement vers l’essor. De plus, ils sont une importante composante de la communauté internationale, en même temps qu’ils s’affirment comme des acteurs politiques et parties prenantes à l’esquisse des nouveaux contours de l’assistance mondiale.

Enfin, la coopération Sud Sud n’est pas un simple concept géographique: elle traduit un changement dans le paradigme économique et social et fait office de transition entre un modèle fondé sur l’aide et un autre reposant sur un développement efficace. ACTRAV encourage le Bureau international du Travail à poursuivre ses efforts pour favoriser les initiatives Sud Sud et multiplier les nouveaux accords. L’Organisation internationale du travail, y trouverait l’occasion de faire valoir les dispositions de son mandat et l’Agenda du travail décent.

Pour plus d’informations, contacter :

Enrico CAIROLA
Spécialiste en matière d'activités pour les travaillleurs (ACTRAV)
Tél : +41 22 799 82 79
Email : cairola[at]ilo[dot]org