325ème session du Conseil d’administration

325e session du Conseil d'administration de l'OIT: Quels résultats pour les travailleurs?

La violation des droits des travailleurs au Qatar, au Guatemala, à Fidji et au Myanmar était l’un des thèmes de la 325e session du Conseil d’administration qui s’est déroulée à Genève du 2 au 12 novembre 2015. Dans cet entretien, le président du Groupe Travailleur du Conseil d’administration, Luc Cortebeeck, revient sur plusieurs thèmes dont la crise mondiale des réfugiés et ses conséquences sur le marché du travail, et le changement climatique qui sera abordé lors de la Conférence de Paris en décembre 2015.

Actualité | 24 novembre 2015
Luc Cortebeeck, Président du Groupe des Travailleurs
ACTRAV INFO : La 325ème session du Conseil d'administration de l'OIT vient de s'achever. Quelle est votre évaluation de cette réunion du Conseil ?

Luc Cortebeeck :
Je pense que cette session du Conseil a été la plus intéressante et surtout la plus réussie depuis 2011, date à laquelle j’ai pris mes fonctions comme président du Groupe des travailleurs et Vice-président du Conseil d’administration. Nous avons obtenu des résultats très importants lors de cette session. Par exemple, le problème de la violence contre les femmes et les hommes dans le monde du travail a été examiné et inscrit à l’ordre du jour de la Conférence internationale du Travail en 2018 en vue d’une action normative. Aujourd’hui, beaucoup d’hommes et de femmes souffrent de violence sur leur lieu de travail ; c’est pourquoi il est nécessaire d’avoir à la fois une convention et une recommandation de l’OIT pour réguler ce problème. Nous n’en sommes pas là, mais c’est un bon début, enfin. Ensuite, l’évaluation de la Déclaration de la Justice Sociale (2008) sera abordée en juin 2016 pendant la Conférence ; elle pourrait s’inscrire dans le cadre des préparatifs du centenaire de l’OIT prévu en 2019. Ce centenaire sera l’occasion de discuter de l’avenir de l’OIT, du monde du travail en général et l’avenir des droits du travail, du dialogue social, du rôle des partenaires sociaux et des organisations syndicales en particulier. Les questions relatives aux violations des droits des travailleurs dans certains pays ont été discutées et des résultats positifs ont été obtenus. Après la discussion sur la situation des travailleurs au Qatar, un membre du Groupe Employeur m’a dit lors de cette session : « Pendant cette session du Conseil, nous avons senti que l’OIT a une conscience ». Cela montre que la clé du succès , sans oublier le rôle des gouvernements , dépend aussi d’une bonne négociation et d’un dialogue franc avec les Employeurs.

ACTRAV INFO : Plusieurs plaintes concernant le respect des droits des travailleurs ont été abordées lors de cette session. Quelle est votre évaluation des décisions du Conseil concernant les cas du Qatar, du Myanmar, de Fidji et du Guatemala?

Concernant le Qatar, une mission tripartite de haut niveau sera envoyée dans ce pays, conformément à la décision adoptée par le Conseil. Pour rappel, sur l’envoi de cette mission tripartite, il y a eu 35 votes favorables, 13 contre et 7 abstentions parmi les membres du Conseil d’administration. Depuis 2001 on n’avait plus eu de vote au Conseil d’Administration. Le Qatar a fait tout son possible pour éviter le vote et l’envoi de cette mission mais le Conseil en a décidé autrement. En mars 2016, le cas du Qatar sera de nouveau examiné par le Conseil, mais cela dépendra des conclusions de la mission, si le gouvernement accepte de la recevoir. Sinon la décision d’une ‘Commission d’Enquête’ selon l’article 26 de la Constitution devient presque inévitable. Je pense que c’est un signal fort envoyé par le monde, bien représenté au Conseil de l’OIT, au Gouvernement Qatari face aux violations des droits des travailleurs : le travail forcé et les nouvelles formes d’esclavage.

Pour le Myanmar le Conseil a décidé de prolonger les activités du Bureau de l’OIT dans ce pays qui devraient s’achever en décembre 2015. L’objectif visé est de préserver et renforcer les acquis obtenus au Myanmar concernant la lutte contre le travail forcé, la liberté syndicale et le dialogue social et la protection des droits des travailleurs. La prolongation jusque mars 2016 a comme objectif de redéfinir, en concertation avec le nouveau gouvernement en formation, le soutien de l’OIT pour atteindre ces objectifs. Beaucoup reste à faire au Myanmar.

Concernant les îles Fidji, la situation est différente car l’accord tripartite signé par le gouvernement et les partenaires sociaux n’a pas été appliqué par les autorités de ce pays. Par conséquent, une mission tripartite de haut niveau sera envoyée à Fidji avant mars prochain. Depuis des années, le syndicats de ce pays, le FTUC a beaucoup de problèmes avec la liberté syndicale et le droit de négociation et nous demandons que la situation s’améliore très rapidement. Le gouvernement a donné son accord pour la mission et doit surtout exécuter l’accord qu’il a signé avec le syndicat et l’organisation patronale en mars dernier. Sans changement d’attitude du gouvernement, aussi pour le Fidji, la décision d’une ‘Commission d’Enquête’ sous l’art. 26 de la Constitution de l’OIT s’approche.

Enfin, en ce qui concerne le Guatemala, le Conseil a décidé de prolonger les activités du Bureau spécial de l’OIT dans ce pays en concertation avec les nouvelles autorités guatémaltèques pour renforcer la liberté syndicale. Le mandat du Représentant spécial du Directeur général de l’OIT sera explicité afin que des mesures effectives soient prises par le nouveau gouvernement pour protéger les droits des travailleurs. Plus de 70 leaders syndicalistes ont déjà perdu leur vie au Guatemala et un changement radical de la politique du gouvernement est nécessaire pour que les droits des travailleurs, la liberté d’expression et la liberté syndicale soient protégés.

ACTRAV INFO : Un des thèmes abordés lors de cette session concerne la crise mondiale des réfugiés et ses conséquences sur le marché du travail. Quelles sont les mesures préconisées par le Groupe Travailleur pour répondre à cette crise ?

Je pense que cette crise mondiale des réfugiés est la plus grave crise depuis la fin de la seconde guerre mondiale car tous les pays sont plus ou moins touchés par ce phénomène migratoire. Naturellement, il s’agit d’une grave crise humanitaire et nous estimons que la communauté internationale et les Etats ont un rôle important à jouer pour terminer et prévenir les conflits. Concernant l’OIT, la question des réfugiés se pose au niveau des défis liés à l’emploi de ces personnes déplacées. Beaucoup de réfugiés sont détenteurs de diplômes et/ou des qualifications, il faudrait s’interroger sur leur intégration dans le marché du travail dans leurs pays d’accueil.

Je pense que chaque gouvernement devrait réfléchir avec les partenaires sociaux sur des solutions possibles afin d’intégrer ces personnes déplacées dans le monde du travail. Car l’accès à l’emploi et à la protection sociale est l’une des voies vers l’intégration et cette expérience pourrait être un tremplin pour un retour éventuel si la paix revient dans leur pays d’origine.

ACTRAV INFO : Le Conseil d’administration a discuté sur le résultat de la réunion tripartite sur le développement durable, le travail décent et les emplois verts. Quelle est la position du Groupe Travailleur sur la question du changement climatique qui sera abordée lors de la réunion de Paris en décembre?

Nous disons qu’il n’y a pas d’emploi sur une planète morte. Nous sommes favorables aux investissements dans une économie durable pour préserver le climat. Aujourd’hui, ce sont les travailleurs vulnérables qui sont touchés directement par les effets du changement climatique. Nous espérons que la Conférence de Paris (COP21) va reprendre dans le texte de l’accord la nécessité d’une transition sociale pour adapter la formation et les qualifications des travailleurs et pour protéger leurs droits et leurs emplois dans l’économie en transition pour réduire de manière importante les émissions de carbone. Nous luttons pour des emplois durables dans une économie durable.