Entretien

Le rôle des syndicats dans le programme de développement post-2015

La Conseillère spéciale auprès du Secrétaire général de l'ONU sur les questions relatives au programme de développement post-2015, Mme Amina J. Mohammed, entend faire participer les syndicats à la planification et à la mise en œuvre des objectifs de ce programme. Dans cet entretien avec le Bureau des activités pour les travailleurs (ACTRAV) de l’OIT, elle nous fait part de ses points de vue sur l’Agenda du travail décent de l’OIT et sur le rôle des normes internationales du travail et du dialogue social.

Article | 3 juin 2013
La vision de l’OIT est centrée sur le travail décent – c’est-à-dire sur l’emploi, la protection sociale, les droits du travail et le dialogue social. Partagez-vous la vision de l’OIT sur l’importance d’inclure le travail décent dans le programme de développement post-2015?

Oui, absolument. Pour le Secrétaire général, le travail décent est au cœur de ces objectifs. Les peuples se demandent sur quoi va porter ce prochain programme de développement; eh bien, il s’agit de créer un programme universel pour tous les peuples. Nous avons la chance que l’OIT travaille depuis de nombreuses années sur l’Agenda du travail décent, plaçant ainsi des thèmes essentiels sur le devant de la scène – les Droits de l’homme étant l’un d’eux. Il ne s’agit ni de luxe ni de charité. Il s’agit du droit d’avoir une vie décente grâce à des possibilités d’emplois décents.

Etant donné le contexte actuel en matière de travail, la qualité de l’emploi est aujourd’hui devenue pour nous un enjeu majeur. Nous avons vu les inégalités se développer en même temps que les économies, laissant de nombreuses personnes au bord de la route. Dire que les emplois sont la panacée pour résoudre ce problème demande quelques éclaircissements: qu’entend-on par là? Nous devons absolument veiller à ne pas reproduire les mêmes erreurs que par le passé. Je pense tout d’abord que nous n’avions peut-être pas autant qu’aujourd’hui insisté sur la nécessité d’un environnement propice à la protection de nos travailleurs. Le fait que nous disposions désormais d’un cadre qui nous pousse précisément à le faire est très utile; et il existe des normes auxquelles nous avons souscrit. Tous ces éléments nous faisaient auparavant défaut.

Avant, on pensait que c’était une bonne chose de voir la production arriver dans d’autres régions du monde et donner ainsi aux pauvres une possibilité d’avoir accès à des emplois. Mais personne ne s’interrogeait réellement sur les types d’emplois dont il s’agissait. Lorsque nous nous sommes rendus sur place et avons découvert ce qui se passait dans ces ateliers clandestins – où des immeubles s’effondraient sur les gens – nous avons pu voir et comprendre que tout cela ne fonctionnait pas bien et était totalement inacceptable. Nous devons ici adopter une attitude de «tolérance zéro». Il est regrettable qu’il faille que des tragédies surviennent pour que nous commencions à mettre en œuvre une approche fondée sur le travail décent. Pour le prochain programme de développement, nous tirerons les leçons de ces erreurs.

Quel devrait selon vous être le rôle des syndicats dans les consultations sur le programme de développement post-2015?

Le Secrétaire général des NU, M. Ban Ki-Moon, a dit d’entrée de jeu que ces consultations sont une conversation ouverte à tous et que les syndicats sont des acteurs très importants de ce processus. Au bout du compte, si nous voulons suivre un programme pour les emplois et veiller à ce que les personnes de tous âges aient accès à un travail décent, les syndicats vont avoir un rôle majeur à jouer bien au-delà du processus de consultation. Il s’agira de la qualité de ce travail. C’est là que les syndicats ont une influence considérable dans les pays où les parlements et les gouvernements sont à l’écoute. Une meilleure coordination de leurs efforts serait la bienvenue. Il faut encore clarifier plusieurs questions telles que: quels sont les programmes? Quelle est la vision d’un pays? Comment pouvons-nous mettre les gouvernements au pied du mur pour qu’ils tiennent parole? Comment définir les rôles et responsabilités de chacun des protagonistes de manière à obtenir des résultats sur le terrain?

A présent, nous voulons tous la même chose et, si nous le disons, il faut que nous le pensions vraiment. Il nous faut obliger les gouvernements et les parlements à rendre des comptes sur ce que les peuples ont demandé – ce qu’ils disent et ce qu’ils vont réaliser. A cet égard, les syndicats ont un rôle important à jouer dans ce processus en termes de mobilisation. Chaque pays étant différent, il n’existe pas de solution unique valable pour tous. Un défi intéressant pourrait porter sur la façon dont nous pouvons trouver de nouveaux partenaires pour mettre en œuvre ces programmes au cours des deux prochaines années.

Pensez-vous que les syndicats joueront, pendant la mise en œuvre du  programme post-2015, le même rôle que pendant la période de négociations?


Je pense tout d’abord qu’ils devront tirer parti de leur expertise et de leur expérience acquises sur le terrain pour inspirer le programme post-2015. Les priorités que nous mettons en avant devraient servir de base aux négociations du prochain ensemble d’objectifs; et c’est alors selon moi ce qui permettra d’aller loin. Il s’agit de parler au niveau national et d’établir le lien entre les simples citoyens et le niveau international. Les syndicats ont accès aux deux et ils devront utiliser ces réseaux pour renforcer la qualité des contributions au programme.

Ils auront ensuite pour mission de maintenir la pression car, en définitive, ce sont les Etats qui décideront de ce programme. Ils se chargeront de la négociation. Je pense que c’est la pression que «nous, les gens, exercerons sur eux», qui nous permettra d’obtenir les meilleurs résultats dans les domaines importants. Je pense que les gouvernements, à l’intérieur des pays et à l’étranger, sont aujourd’hui à l’écoute. Sinon, comme on dit, «gare à vous ».

Au niveau national, les normes du travail et le dialogue social de l’OIT ont-ils une place dans la mise en œuvre du programme de développement post-2015?

Je pense qu’ils sont tous les deux extrêmement importants. Si nous n’avons pas de normes, nous ne pouvons pas mesurer la conformité et des pans de la population nous échappent. Nous avons besoin de normes et de dialogue. Sans dialogue, il n’y aura ni paix ni viabilité à long terme. C’est la meilleure manière d’aller de l’avant. Il faut encourager le dialogue et, pour ce faire, les syndicats sont tout indiqués. Nous devons étendre les largesses du dialogue.

Dans le contexte actuel, nous nous heurtons partout au conflit et à la violence. Nous devons trouver le moyen de dépasser cette situation par le dialogue. C’est la meilleure façon de résoudre les conflits d’une manière durable.