Interview de David Edwards, Secrétaire général adjoint de l'Internationale de l'Education (IE)

A l'occasion de la journée mondiale des enseignants, le Secrétaire général adjoint de l'Internationale de l'Education (IE), David Edwards a souligné les principaux défis qui attendent les travailleurs du secteur de l'éducation.Dans cet entretien, il explique le rôle du dialogue social et les normes internationales du travail ainsi que les attentes de l'IE vis-à-vis de l'OIT...

Communiqué de presse | Bruxelles, Belgique | 5 octobre 2012

ACTRAV INFO: Quel est le regard que porte l’Internationale de l’Education (IE) sur l’édition de 2012 de la journée mondiale des Enseignants ?

Cette année, en cette journée mondiale des Enseignants, nous prenons position pour les éducateurs. Avec la Campagne Mondiale pour l’Education (CME), l’IE a lancé un nouveau rapport intitulé « Chaque enfant a besoin d’un(e) enseignant(e) : un(e) enseignant(e) qualifié(e) pour tous » (en Anglais). Ceci, afin de mettre l’accent sur le rôle déterminant des enseignants, en prodiguant une éducation de qualité. Dans les mois à venir, nous mènerons cette campagne dans chaque forum et espace que nous pourrons, pour que le droit de chaque enfant à l’éducation, délivrée par un enseignant qualifié, soit reconnu.

L’IE a sans cesse incité les gouvernements nationaux à recruter davantage d’enseignants afin d’améliorer la qualité de l’enseignement et d’apprentissage ; de permettre aux éducateurs d’accéder à des formations et un développement professionnel continu ; d’améliorer les conditions de travail des enseignants et de créer des environnements pédagogiques favorables aussi bien pour les enseignants que pour les étudiants. Alors que nous nous rapprochons des échéances importantes de l’agenda international, tel que le processus actuel des définitions de l’agenda de l’après 2015, l’IE s’engage à mettre ces questions en lumière.

ACTRAV INFO : Dans le contexte de la crise économique actuelle et des mesures d’austérité, quels sont les problèmes principaux auxquels sont confrontés les enseignants d’aujourd’hui ?

Les mesures d’austérité résultant de la présente crise économique ne font qu’aggraver davantage les problèmes auxquels les enseignants sont confrontés actuellement. Les réductions des budgets publics alloués à l’éducation conduisent au licenciement d’enseignants et du personnel administratif pédagogique à tous les niveaux d’éducation, à une diminution ou gel de salaire et/ou pension, une baisse des prestations, une restriction des programmes, une détérioration des conditions de travail et des violations des droits syndicaux. On peut constater les conséquences directes non seulement en Europe, mais aussi aux Etats-Unis ainsi qu’au Canada. Nous avons également relevé des effets indirects sur les enseignants, y compris des tentatives pour les soumettre à une évaluation basée sur la performance de leurs élèves par le biais de tests standards.

Dans d’autres régions, particulièrement dans les pays qui dépendent massivement de l’aide bilatérale, les problèmes des enseignants ou des systèmes d’éducation en général, pourraient se détériorer dus à des programmes d’aide de soutien réduites et non-prévisibles. La pénurie d’enseignants est, à ce jour, un problème préoccupant, considérant le nombre croissant d’inscriptions d’étudiants et le fait que plus de la moitié des enseignants requis à travers le monde, représente les besoins de l’Afrique sub-saharienne. Les enseignants sous contrat constituent un autre problème sous-jacent - un grand nombre d’éducateurs contractuels sont actuellement employés dans certains systèmes d’éducation pour pallier au problème de pénurie d’enseignants ; beaucoup ont des qualifications insuffisantes et n’ont bénéficié d’aucune formation. Ils n’obtiennent souvent qu’environ un dixième du salaire d’un enseignant fonctionnaire normal. La contractualisation du travail dans les systèmes d’éducation a des répercussions drastiques sur la qualité et le professionnalisme du secteur ; les conséquences inévitables étant les lacunes énormes entre la qualité des éducateurs et l’enseignement.

ACTRAV INFO : Selon le nouveau rapport intitulé « Chaque enfant a besoin d’un(e) enseignant(e) : Fin à la pénurie d’enseignant(e)s qualifiés » lancé conjointement par la Campagne mondiale pour l’Education (CME) et l’IE, une pénurie d’enseignants du primaire dans 114 pays est identifiée, nuisant ainsi aux efforts pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) de l’Education pour Tous (EPT) d’ici 2015. Quelles sont les principales recommandations pour améliorer la situation des travailleurs, et en particulier, des enseignants ?

Ce rapport fut lancé à la veille du lancement de l’initiative Education First du Secrétaire général de l’ONU pour attirer l’attention sur la pénurie d’enseignant(e)s qualifiés. En effet, 1,7 millions d’enseignant(e)s supplémentaires sont nécessaires pour dispenser l’EPT d’ici 2015.

Les principales recommandations sont de développer et d’appliquer des normes nationales rigoureuses de formation en référence aux normes internationales ; garantir une formation initiale pour tous nouveaux éducateurs, assurer une formation interne et des opportunités de perfectionnement professionnel, ainsi que les conditions de travail décentes des enseignants (rémunération, heures de travail, lieu de travail, proportion d’élèves par rapport à l’enseignant, etc.)

De plus, nous exhortons les gouvernements nationaux à allouer un minimum de 6% du PIB à l’éducation et à s’assurer que 50% de cette attribution soit consacré à l’éducation de base, et que les donateurs bilatéraux réalignent l’Aide publique de Développement (APD) afin d’y consacrer au moins 10% à l’éducation de base.

ACTRAV INFO : Comment voyez-vous le dialogue social et le respect des normes internationales du travail en cette période de crise économique et financière ?

Le dialogue social et le respect des normes internationales de travail sont sous une pression extrême à cause de la crise économique. Les mesures d’austérité prises par les gouvernements ont mis en péril les droits de négociation collective de plusieurs syndicats du monde entier.

Les Etats Unis et le Canada en particulier, ont relevé une attaque contre les syndicats d'enseignants et / ou des restrictions de droits de négociation collective dans le secteur public, comme l’Ontario au Canada ou le Wisconsin aux Etats Unis. Plus récemment, en Europe, les syndicats d’enseignants espagnols ont subi des attaques similaires suite aux mesures d’austérité. L’instabilité sociale et les inégalités salariales grandissantes sont susceptibles de résulter de l’affaiblissement des droits de négociation collective des enseignants et l’effritement des conditions de travail de ces derniers est extrêmement préjudiciable à la profession.

Au-delà de la crise économique, les enseignants ont durant ces dernières années, noté une recrudescence dans la violation des droits humains ainsi que de leurs droits syndicaux. Dans de nombreux pays, les gouvernements n’ont pas encore mis en œuvre une législation afin de protéger les droits des syndicats.

Un mouvement syndical libre et dynamique est l’un des principaux piliers d’une démocratie et la mesure d’un développement sain. Au cours des dernières décennies, les syndicats d’enseignants ont acquis une meilleure place à la table de négociation. De fait, ils ont contribué à une société libre et équitable où l’éducation publique est démocratiquement contrôlée et reflète la diversité sociale, la justice et les valeurs démocratiques.

ACTRAV INFO : Quelles sont les attentes de l’IE de la part de l’OIT, sous la direction de Guy Ryder?

Malgré le fait qu’au cours de ces dernières décennies, les syndicats d’enseignants ont pu accéder à une meilleure place à la table de négociation, ces dernières années ont été témoins du développement ou la confirmation de tendances inquiétantes dans les violations des droits humains et des droits syndicaux des organisations des enseignants. En effet, lors de la réunion triennale du Comité d'experts sur l'application des Recommandations concernant le personnel enseignant (CEART) en octobre prochain, l’IE présentera un rapport alternatif démontrant que la confrontation est imminente dans le secteur public, les conditions de travail des enseignants se détériorent et les conventions collectives sont en train d’être unilatéralement révoquées.

Pour revenir à l’essence même du mandat de l’OIT, les Conventions de l’OIT No. 87 et 98 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical et sur le droit d’organisation et de négociation collective sont menacées par les mesures d’austérité rigides. Les États qui ne respectent pas les normes fondamentales du travail aux citoyens qu'ils emploient, entraînent l’émergence d’une démocratie en déficit.

Une éducation de qualité est la base d’une démocratie et de justice sociale. L’IE soutient intégralement les initiatives de l’OIT quant à l’établissement de partenariats entre gouvernements, employeurs et organisations de travailleurs afin de concrétiser les engagements à l'emploi décent des jeunes. De plus, l’IE accorde une importance particulière aux activités sectorielles de l’OIT. La dimension sectorielle du travail de l’OIT doit être renforcée, dans le cadre de sa contribution stratégique, permettant aux syndicats, employeurs et gouvernements de confronter leurs visions, analyses et stratégies. Nous nous réjouissons d’apporter notre collaboration à l’OIT afin de mettre en application la boîte à outils des Ressources humaines de l’OIT des Bonnes Pratiques de la Profession Enseignante.

Avec Guy Ryder, l’OIT détient l’avantage d’avoir quelqu’un qui a été sur les lignes de front pour garantir des conditions de travail décentes et travailler sans relâche pour le respect des normes fondamentales de travail. Je connais peu d’individus, capables de relater, avec une telle précision et autorité, des cas de personnes victimes de violations de droits humains dans des pays tels que le Bahreïn, la Colombie ou le Fidji. Je suis convaincu que les travailleurs de l’éducation et tous les travailleurs partagent et bénéficient dorénavant de la valeur de son leadership, ses compétences et ses principes.

L'Internationale de l'Education est la voix des enseignants et des employés de l'éducation à travers le monde. En tant que fédération mondiale d'environ 400 syndicats répartis dans plus de 170 pays et territoires, elle représente 30 millions d'enseignants et d'employés du secteur de l'éducation dans les institutions éducatives, des établissements d'éducation de la petite enfance aux universités.